Les oligarques au pouvoir préfèrent parler de races, de genres ou de religions plutôt que d’évoquer un concept désormais banni, celui des classes sociales. Il faut oublier qu’il y a des riches et des pauvres. La gauche et la droite s’accordent sur cette vision de la société. Chris Hedges nous rappelle pourtant qu’aux États-Unis, des mesures importantes avaient été prises dans les années 30, quand l’économie était au bord de l’effondrement. Inconcevable aujourd’hui? (IGA)
Aristote, Nicolas Machiavel, Alexis de Tocqueville, Adam Smith et Karl Marx ont fondé leurs philosophies sur la compréhension qu’il existe un antagonisme naturel entre les riches et le reste d’entre nous. Les intérêts des riches ne sont pas nos intérêts. Les vérités des riches ne sont pas nos vérités. Les vies des riches ne sont pas nos vies. La grande richesse ne suscite pas seulement le mépris pour ceux qui ne l’ont pas, mais elle permet aux oligarques de payer des armées d’avocats, de publicitaires, de politiciens, de juges, d’universitaires et de journalistes pour censurer et contrôler le débat public et étouffer la dissidence. Le néolibéralisme, la désindustrialisation, la destruction des syndicats, la réduction et même la suppression des impôts pour les riches et les grandes entreprises, le libre-échange, la mondialisation, l’État de surveillance, la guerre sans fin et l’austérité — les idéologies ou les outils utilisés par les oligarques pour servir leurs propres intérêts — sont présentés au public comme une loi naturelle, les mécanismes du progrès économique et social, même lorsque ces oligarques dynamitent les fondements d’une démocratie libérale et exacerbent une crise climatique qui menace la vie humaine d’extinction.
Les oligarques sont heureux de parler de race. Ils sont heureux de parler d’identité sexuelle et de genre. Ils sont heureux de parler de patriotisme. Ils sont heureux de parler de religion. Ils sont heureux de parler d’immigration. Ils sont heureux de parler d’avortement. Ils sont heureux de parler de contrôle des armes à feu. Ils sont heureux de parler de dégénérescence culturelle ou de liberté culturelle. Ils n’aiment pas du tout parler de classe sociale. Race, genre, religion, avortement, immigration, contrôle des armes à feu, culture et patriotisme sont des questions utilisées pour diviser la population, pour monter le voisin contre son voisin, pour alimenter des haines et des antagonismes virulents. Les guerres culturelles donnent aux oligarques, les Démocrates comme les Républicains, la couverture nécessaire pour poursuivre le pillage. Il y a peu de différences importantes entre les deux partis dirigeants aux États-Unis. C’est pourquoi les oligarques comme Donald Trump et Michael Bloomberg peuvent passer sans effort d’un parti à l’autre. Une fois que les oligarques s’emparent du pouvoir, a écrit Aristote, une société doit soit accepter la tyrannie soit choisir la révolution.
Les États-Unis étaient au bord de la révolution — un fait que le président Franklin Roosevelt a reconnu dans sa correspondance privée — lors de l’effondrement du capitalisme dans les années 1930. Roosevelt a répondu en réduisant agressivement le pouvoir des oligarques. Le gouvernement fédéral a traité le chômage massif en créant 12 millions d’emplois à travers la Works Progress Administration (WPA), faisant du gouvernement le plus important employeur du pays. Il a légalisé les syndicats, dont beaucoup avaient été interdits et, par le biais du National Labor Relations Act [Loi nationale sur les rapports syndicaux) il a permis de se syndiquer. Il a approuvé les réglementations bancaires, au moyen de l’Emergency Banking Act [loi bancaire d’urgence) du Banking Act et du Securities Act, entrées en vigueur en 1933, pour éviter un nouveau krach boursier. La Federal Emergency Relief Administration [administration fédérale pour les secours d’urgence) a fourni l’équivalent de 9.88 milliards de dollars actuels pour des opérations de secours dans les villes et les États. Le président démocrate a lourdement taxé les riches et les entreprises. (Dans les années 1950, l’administration républicaine de Dwight Eisenhower imposait encore les plus hauts revenus à 91%.) L’administration Roosevelt a mis en place des programmes comme la sécurité sociale et un système de pensions de retraite publiques. Elle a fourni une aide financière aux petits paysans et aux travailleurs migrants. Elle a financé les arts et la culture. Elle a créé la United States Housing Authority [l’aide au logement) et institué le Fair Labor Standards Act [loi sur les normes d’emploi) de 1938, qui fixait le salaire minimum et limitait le nombre d’heures de travail obligatoires. Cette lourde intervention gouvernementale a sorti le pays de la Grande Dépression. Elle a également rendu Roosevelt, qui a été élu pour un quatrième mandat sans précédent, ainsi que le Parti démocrate, extrêmement populaires auprès des familles ouvrières et des classes moyennes. Le Parti démocrate, s’il ressuscitait de telles politiques, gagnerait toutes les élections à une vitesse vertigineuse.
Source originale: Truthdig
Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour Investig’Action
Source: Investig’Action