Chris N’sengi : « La Fédé congolaise de foot me doit plus d’un demi-million de dollars »

Les images de Félix Tshisekedi félicitant les Léopards pour leur performance à la CAN 2024 ont contrasté avec celles de la poursuite des massacres à l'Est du pays ou celles - moins visibles encore - de la corruption qui plombe ce géant d'Afrique centrale. A cet égard, l'histoire de Chris N'sengi, ex-sélectionneur de l'équipe de foot congolaise, est révélatrice. Jusqu'à ce jour, le Belgo-Congolais n'a jamais été payé pour les deux années où il a entraîné les Léopards... Entretien avec cet entraîneur dont la plainte, définitivement reconnue par la FIFA, risque de frapper de « sanctions sportives » la Fédération Congolaise de Football.  


Investig’Action : Pouvez-vous vous présenter pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas ?

Chris N’Sengi : Je m’appelle Christian N’sengi et je me suis construit autour de ma passion, le football.

Mon père, décédé en 1996, était politicien au Congo et a travaillé avec feu le président Mobutu. Je suis le troisième d’une famille de six enfants. Ma petite sœur est récemment décédée, le 6 janvier dernier ; après mon père, sont morts mon petit frère, en 2000, et mon frère aîné, en 2007… Cela a été très rapide : nous ne sommes plus que trois. Mon père aurait souhaité que je devienne diplomate mais j’ai toujours voulu être entraîneur de football. J’ai été formé ici, en Belgique, et ai obtenu ma licence pro en 2018. Au début, j’ai suivi mon frère qui a été un bon joueur en Division 1, au Sporting Club de Charleroi. Mais je n’étais pas un joueur doué, plutôt moyen, et ma carrière n’a pas été terrible. En revanche, ma reconversion en tant qu’entraîneur s’est mieux déroulée. De 2007 à 2012, j’ai travaillé comme entraîneur-adjoint du noyau A de la RDC et été entraîneur des U-23. De 2019 à 2021, j’ai été sélectionneur et entraîneur des équipes nationales congolaises. Entre ces périodes, j’ai travaillé à former les jeunes du RSC d’Anderlecht.

I’A : Quel a été votre parcours au Royal Sporting Club d’Anderlecht (RSCA) ?

C.N : Lors de mon retour en Belgique, en 1996, j’ai vu tout le potentiel des jeunes joueurs afro-descendants. Avec un ami, on a ficelé une convention que nous avons proposé à la direction de Mouscron. Celle-ci s’est montrée intéressée et on a pu faire venir 4 joueurs Congolais. L’un d’entre-eux a réussi une carrière de footballeur ; les trois autres n’ont pas réussi au niveau sportif mais se sont très bien recyclés professionnellement. Aujourd’hui, l’un est devenu ardoisier, le second, maçon à Paris, et le troisième, Koffi Kalukembi, est devenu le responsable d’une société d’électricité à Mouscron qui emploie une dizaine de personnes. Je les désigne souvent en exemples dans ma Masterclass qui traite du recyclage dans le milieu du foot…

En 1996, Philippe Saint-Jean est à l’époque entraîneur-adjoint de l’équipe nationale des espoirs belges. Il a été mon mentor, celui qui m’a mis le pied à l’étrier dans le milieu du foot professionnel. Un jour, je dis à Philippe : « On pourrait organiser un match, ici, entre les espoirs belges et les espoirs congolais ? ». Il a immédiatement été enthousiaste !

J’ai donc planché sur un noyau de jeunes congolais, binationaux, sélectionnés ici en Europe, pour jouer contre les jeunes espoirs belges. J’ai composé une équipe avec de joueurs de D3 et nous sommes allé au tournoi de Croix (Lille) où on a obtenu la cinquième place. C’était notre niveau mais on engrangé un succès d’estime… On est donc revenu les années suivantes et j’ai vu plein de joueurs congolais qui jouaient dans différents Clubs (Lens, Lille, Chelsea ou Birmingham). J’ai noté plusieurs noms et, en 2001, je leur ai proposé d’intégrer ma sélection pour le tout premier match Belgique-Congo du 21ème siècle. Celui-ci a eu lieu le 9 octobre 2002 à Wavre (Belgique). Comme joueurs congolais, il y avait Hérita Ilunga, Christian Kinkela, Trésor Luntala ou Malongo Maheta. Ensuite, le bruit positif autour de ce match est arrivé jusqu’à Kinshasa, où mon nom était cité comme l’entraîneur qui l’avait organisé. C’est comme ça que je me suis vraiment fait connaître en RDC.

I’A : La Fédération Congolaise de Foot (FECOFA) vous propose alors de venir à Kinshasa entraîner les jeunes « Fauves » congolais ?

C.N : Oui, en 2007, j’ai été choisi comme entraîneur-adjoint du noyau A [des Léopards], comme premier collaborateur de l’entraîneur de l’équipe nationale congolaise, Henri de Pireux [décédé en 2022]. Ensuite, j’ai entraîné les U-23 congolais avec notamment, dans mon groupe de l’époque, Chancel Mbemba [capitaine des Léopards à la CAN 2024]. On a fait une belle campagne, pour se qualifier pour les JO, au bout de laquelle on a perdu contre le Maroc…

Il faut savoir qu’au Congo, quand on te donne la charge et la responsabilité d’une équipe, surtout au niveau des jeunes, on te donne la charge de tout ! C’est-à-dire que tu dois te débrouiller pour tout trouver (transports, nourriture, logements, maillots, etc.). Durant les 5 ans ou j’ai travaillé dans ces « conditions », je me suis concentré sur les promesses de contrats que les Autorités congolaises m’avaient faites (dont un de 10.000 € par mois pour une campagne sportive de 4 mois). Je ne pensais pas me faire arnaquer puisque ces opportunités venaient soit du ministre soit d’autres officiels des Sports. Donc, en principe, des gens sérieux en qui j’ai eu totalement confiance.

J’ai patienté, mais rien ne s’est jamais concrétisé, en termes de rémunérations. En plus, au bout de la campagne sportive, on a été éliminés. Au Congo, quand tu perds, tu es considéré comme un paria… Par exemple, le soir de l’élimination de mon équipe, je rentre à mon hôtel : mon pass ne fonctionnait plus ! La réception m’informe que « la Fédération et le ministère des Sports ne vous prennent plus en charge ». C’était quelques heures à peine après notre défaite qui avait eu lieu à 18h… En 2012, j’ai donc dû revenir à Bruxelles où je n’avais plus rien.

I’A : Sans poste, sans revenus, comment rebondissez-vous à Bruxelles ?

C.N : J’étais quasiment à la rue et j’ai du m’inscrire au CPAS. Un jour, je discute avec une amie qui voulait m’aider à sortir de la précarité. Elle m’a dit de postuler comme préfet de discipline à l’école Marius Renard d’Anderlecht (qui scolarise les jeunes francophones du RSC d’Anderlecht se destinant à une carrière footballistique). Son fils était joueur et élève à Marius Renard, mais il « déconnait », brossait des cours, n’était pas assidu. Pour ma part, j’étais un peu perplexe. Je me considérais comme un sélectionneur-entraîneur et non comme un garde d’enfants. Cependant, sa tentative de me faire embaucher n’a pas fonctionné.

Ne lâchant rien, cette amie m’a ensuite présenté à Jean-François Lenvain, connu dans le milieu du sport professionnel belge pour son management de jeunes sportifs prometteurs, comme, par exemple, Remco Envenpoel [cycliste professionnel] ou Alexis Saelemaekers [footballeur pro et Diable rouge]. On se rencontre. Jean-François me dit qu’il a besoin de quelqu’un pour diriger « une asbl qui s’occupe de surveiller des jeunes footballeurs pendant les heures d’étude ». Il me propose cet emploi et, après réflexions, j’accepte !

Je me suis donc retrouvé à surveiller des ados comme Nicolas Raskin (aujourd’hui pro aux Glascow Rangers), Sambi Lokonga (qui joue à Arsenal), Orel Mangala (Olympique de Lyon et Diable rouge), Samuel Bastien (Kasimpaça SK), Behar Ismael (RSC Anderlecht) ou le petit frère de Michy Batshuayi (Fenerbahçe SK et Diable Rouge) : Aaron Leya Iseka (Ofi Crète). Ces jeunes sont devenus de grands professionnels et, avant cela, je les ai surveillés pour qu’ils s’accrochent, cèdent le moins possible aux tentations et/ou au découragement. Au fur et à mesure, visiblement, mon travail a fait impression auprès de la direction qui a renouvelé mon contrat. Un jour, je suis invité à déjeuner par Mme Kiki Van Den Stock [l’épouse de Roger Vanden Stock, ex-président du RSCA de 1996 à 2018] qui voulait relancer sa Fondation avec un nouveau coordinateur d’activités liées au football.

Et c’est parti comme ça : j’ai signé ce contrat avec voiture et portables de fonction. On a commencé à travailler sur trois communes (Ixelles, Saint-Gilles, Uccle). Se sont ensuite ajoutées Evere, Etterbeek, Boitsfort, les 2 Woluwé (Saint-Pierre et Saint-Lambert). En tout, on a travaillé sur 11 communes bruxelloises dans lesquelles on recrutaient – via les CPAS, services de la jeunesse et asbl – des enfants, filles et garçons, âgé de 10 à 14 ans. Anderlecht fournissait le matériel (trainings, chaussettes, chaussures) et, nous, certains jours, on venait avec des joueurs-vedettes du RSCA disponibles (c’est-à-dire, souvent, parce qu’ils étaient blessés) dans les communes pour saluer les enfants.

A cela, s’ajoutaient les deux matchs annuels auxquels les 300 enfants bruxellois pouvaient assister ainsi que le grand tournoi de foot, entre eux, au terme duquel chaque équipe recevait un prix. La finale du tournoi avait lieu avant le dîner de gala pour récolter une partie des fonds afin de pouvoir travailler l’année suivante. Tout cela, sous l’autorité de Mme Vanden Stock dont j’ai été le bras droit. Par la suite, j’ai été nommé assistant-entraîneur des U-17 du RSCA. J’y ai passé les 7 meilleurs années de ma vie professionnelle, après mon retour de Kinshasa duquel j’étais revenu plus bas que terre.

I’A : C’est à ce moment-là que la FECOFA vous rappelle ?

C.N : Tout d’abord, en 2018, j’ai obtenu ma pro-licence d’entraîneur avec plusieurs de mes camarades belgo-maghrébins. Cette même année, après avoir financé une partie de ma pro-licence, le président de la Fédération Congolaise de Football de l’époque, Constant Omari, me propose de revenir à la direction technique des Léopards. A la demande de Roger Vanden Stock, je conserve une consultance à distance pour Anderlecht et je choisis de retourner travailler en RDC. Mais, cette fois, pas sans un véritable contrat ferme et officiel. Le président de la Fédération congolaise me dit : « Oui, tu seras salarié via un contrat de la FIFA ».

Je suis donc double consultant : pour les jeunes d’Anderlecht en Belgique et directeur technique de l’équipe nationale congolaise. Après la CAN 2019 en Égypte, notre équipe, éliminée en huitième de finale, arrive, disons, « à la fin d’un cycle » sous l’ère du sélectionneur Florent Ibenge. Et l’idée du président de la FECOFA était de me nommer sélectionneur des Léopards, malgré les réticences d’une partie des gens de la Fédération. Ceux-ci ne me trouvaient pas assez « malléable » par rapport à certaines choses, pratiques ou croyances qui avaient lieu au sein de la Fédé et auxquelles je n’adhérais pas. Finalement, le président Omari me nomme sélectionneur des équipes A et B de la sélection nationale. J’ai donc eu les 4 fonctions en mains : sélectionneur et entraîneur des 2 équipes, tout en gardant toute la direction technique. J’avais tout mais j’ai travaillé près de deux ans avec des moyens limités à disposition.

AFP



I’A : Pourquoi n’avez-vous pas été reconduit après 22 mois à la tête de la sélection congolaise ?

C.N : Malheureusement, les résultats sportifs n’ont pas suivi et cela commencé à mettre du plomb dans ma réputation de sélectionneur. En perdant contre le Gabon (0-3) lors des éliminatoires, notre équipe ne s’est pas qualifiée pour la CAN 2021. Et, adieu veaux, vaches, moutons, j’ai recommencé à tout perdre…

I’A : Que voulez-vous précisément dénoncer aujourd’hui ?

C.N : Lorsque j’ai été licencié ou écarté de la sélection nationale congolaise, il y a eu un lynchage sur ma personne. Cela se passe souvent comme ça au Congo et je peux encore le comprendre. Mais ce que je ne peux admettre ni pardonner, c’est l’attitude de gens qui m’ont « encadré ». Si Constant Omari m’a donné ma chance (comme il en a lancé d’autres avant moi, tel que Florent Ibenge), il était aussi encadré par un staff qui faisait n’importe quoi et qu’il a eu la faiblesse de souvent couvrir.

Les gens de ce staff – voyant que je n’étais pas « malléable » et que je refusais d’entrer dans leurs combines – m’ont mis des bâtons dans les roues. Principalement, Théo Binamungu, le coordinateur des équipes d’âge qui – de son propre aveu – ne connaissait rien au football et Roger Bondembe, magistrat et trésorier de la FECOFA. Il y avait une incompatibilité flagrante avec ces deux erreurs de casting placées par copinage à ces fonctions décisives ! Ces deux protagonistes n’ont pas seulement eu ma peau de sélectionneur mais celle d’une « nation du football ». En croyant me couper la tête, ils ont indirectement coupé la leur, puisque leur plan censé combler mon départ n’a pas tenu et, eux aussi, sont passés à la trappe ! Ils m’ont savonné la planche, par diverses manœuvres, parce qu’ils pensaient que j’étais capable de réussir à la tête de la sélection.

I’A : Quel genre de manœuvres exactement ?

C.N : Relations avec la présidence la République, ministère des Sports, voitures, logements, visas, voyages, qualification des joueurs, tout cela était soit manquant soit problèmes à résoudre. Peu après mon « remerciement », tous ces éléments de base ont été, comme par magie, convenablement assurés au bénéfice de mes successeurs… Les Binamungu et Bondembe sont aujourd’hui vomis dans le football congolais : plus personne ne veut de ces gars-là ! Le premier est ancien politicien douteux, désormais en exil, et le second est un magistrat, toujours en place au Congo, qui a démontré toute son incompétence au plus haut niveau du foot congolais. Je souhaite attirer l’attention sur ma situation parce que cela a assez duré. Je me suis tu pendant 3 ans mais là, maintenant, c’est exagéré…

I’A : Qu’est-ce qui est « exagéré » ?

C.N : D’abord, j’ai gagné mon procès devant la FIFA. J’ai déposé plainte contre la FECOFA auprès de la FIFA car je n’ai toujours pas été payé durant les 22 mois ou j’ai travaillé à la tête de la sélection nationale congolaise. La FIFA m’a donné raison sur toute la ligne (1) ; même l’ex-président de la Fédération, Constant Omari a confirmé que j’avais bel et bien bénéficié d’un contrat d’engagement en tant que sélectionneur. La FIFA a jugé que la FECOFA me devait 25.000 dollars fois 22 mois. Ce qui fait un plus d’un demi million de dollars [550 000 $, exactement] ! Pendant 2 ans, ils ont refusé de reconnaître l’existence de mon contrat ; puis ils ont été obligé de le reconnaître mais ont continué à ne pas payer pendant 3 ans. Cela fait donc 5 ans qu’ils ne m’ont pas payé !

Prenez, par exemple, l’Argentin Hector Cùper qui a repris la sélection congolaise [en 2021] et a abouti un véritable désastre en termes de résultats : il a été payé et n’a pas dû attendre deux mois  ; son successeur, le Français Sébastien Desabre a fait un excellent travail avec les Léopards : il a été payé avec 1 ou 2 mois de retard (de tels retards de payement arrivent aussi en Europe)… Écoutez, lorsque le Roi Philippe regardait un match des Diables rouges à la télé, il savait qui était Roberto Martinez [ex-sélectionneur de l’équipe nationale belge de 2016 à 2023] ! Eh bien, c’était pareil pour moi : lorsqu’un garagiste, un ministre ou le président de la République regardait un match des Léopards, tous savaient que j’en étais le sélectionneur et entraîneur ! Qu’on m’insulte ou non en RDC, chacun sait que j’ai entraîné les Léopards pendant près deux ans.

J’en suis d’autant plus amer que, pendant plus d’une décennie, j’ai travaillé bénévolement pour le Congo. Par exemple, le match Belgique-RDC en 2002, au terme duquel les Léopards ont réussi à tenir le nul face aux Diables rouges (1-1). C’était un match amical que j’ai largement financé de ma poche (tenues, équipements, logements…) ; un match dont j’ai gardé la facture, mais la fierté, elle, nous l’avons tous eue ! Tellement de gens sont venus me féliciter  : « On est fier de toi, Chris : faire match nul contre les Belges, en Belgique, s’il te plaît ! ». A l’époque, qui, parmi ces gens, savaient que j’étais inscrit au chômage ; que j’avais demandé une aide financière à des stars congolaises qui m’avaient dit « Oui » mais dont les téléphones sont tous restés fermés au moment décisif ; que, grâce à ce match, plusieurs joueurs sont sortis de l’ombre et ont pu accélérer leur carrière ; que « la génération Marbella » s’est directement appuyée sur ce match Belgique-RDC de 2002 ; que c’est encore suite à ce match que la Fédération Française de Football (FFF) est venue récupérer Rio Mavuba afin qu’il joue en équipe de France…



I’A : Cinq ans que la FECOFA refuse de rémunérer votre travail de sélectionneur et d’entraîneur, quel recours vous reste-t-il ?

C.N : Je viens d’apprendre qu’un service de la présidence congolaise est prêt à examiner mon dossier à la fin de cette semaine. Il faut savoir que la décision de la FIFA a aussi menacé la FECOFA de « sanctions sportives » en cas de non-versement de mes émoluments… Depuis le début, je tente de régler le problème à l’amiable mais lorsque j’ai vu que certains de mes frères, les jeunes, des sportifs qui n’y sont pour rien, risquent d’être impactés, j’ai tout fait pour être enfin reçu par le président de la République. Sans succès jusqu’à… cette nouvelle ! Pour l’instant, on en est à 140 000 dollars pour rupture de contrat auxquels s’ajoute les 550 000 dollars de salaires impayés. Il me semble qu’on doit arrêter les frais et ne pas risquer des sanctions sportives contre les sélections du football congolais. Après 5 ans d’attente, j’espère que mon dossier va enfin être examiné et solutionné par les services du président Tshisekedi…

I’A : Ce qui vous arrive semble lié à l’un des cancers de la RDC : une corruption systémique, quasi incurable, qui détruit parcours et ambitions professionnelles de nombre de personnes intègres…

C.N : Encore une fois, il ne s’agit pas seulement de mon cas personnel mais de mettre fin à un système, à une habitude de détournements, de « disparition », d’argent au détriment de celles et ceux qui participent à reconstruire et à donner une image positive du pays. Un autre exemple : avec l’équipe des Pol-José Mpuku et Cédric Bakambu, nous avons joué contre l’Algérie, la Côte d’Ivoire, le Burkina-Faso et le Maroc. Sur ces 4 match amicaux : aucune prime n’a été payée ! Pour les joueurs, c’est moins grave (lorsque tu gagnes 300.000 € par mois, ça va…), mais pour de simples employés, comme moi, pendant 3 ans, je n’ai pas été payé et me suis accroché à mon salaire d’Anderlecht. Lorsque je ne l’ai plus perçu, je suis retombé au chômage et… 2021, 2022, 2023, 2024 : maintenant, ça suffit ! Il faut que tout le monde le sache ! Y compris le président de la République Démocratique du Congo. Car c’est bien beau de faire des photos avec les Léopards mais il faut aussi que ses services s’occupent des gens, des Congolais, qui ont à cœur le pays !


I’A : A 61 ans, quelle est votre situation professionnelle ?

C.N : Je travaille à mi-temps avec le RWDM. Cependant, d’une part, ce n’est pas ce que je souhaite faire à long terme et, d’autre part, ma situation est financièrement très difficile. Raison pour laquelle je n’ai d’autres choix que de continuer à me battre pour être enfin payé par les Autorités de la RDC.

I’A : Quel est votre analyse de la performance des Léopards arrivés 4 ème à la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2024 ?

C.N : Cela m’a fait quelque chose… J’ai aimé les voir réaliser cette performance en tant qu’ancien sélectionneur. J’ai formé plusieurs des « Léopards » qu’on a vu briller à cette CAN 2024. J’ai eu comme jeunes joueurs Cédric Bakambu, Yoane Wissa, Samuel Moutousamy, Gaël Kakuta, Chancel Mbemba (depuis les U-23), Edo Kayembe et, sur le banc, il y avait, entre autres, le gardien Baggio Siadi. Ils ont tous cru en leur chance et sont parvenus à ce résultat : 4 ème de la compétition. C’est pas mal et, comme on dit, ce ne sont pas toujours les meilleurs qui soulèvent la coupe. Un moment, j’ai bien cru que le Congo pouvait gagner cette CAN, mais il y avait un bémol…

Lorsqu’on étudie la qualité du banc de la Côte d’Ivoire [Championne d’Afrique 2024], celle du Maroc, du Nigeria ou du Sénégal, nous, les Congolais, on refait la même erreur : on s’occupe de l’équipe A et de rien d’autre ! On ne s’occupe pas du banc des réservistes, ni des jeunes, ni des formateurs, ni des infrastructures… Par exemple, la post formation de Mbemba a été faite à Anderlecht ou celle de Silas Katompa Mvumpa à Stuttgart. Exceptés Ilunga, Elia Meschack et Fiston Mayele, tous les autres joueurs congolais de cette CAN ont été formés en Europe. Leur beau jeu ne provient pas d’une formation congolaise, mais d’une formation française, suisse, anglaise, etc.

En réalité, il faut cesser avec cet entêtement à faire de l’équipe A un outil de propagande politique. Il faut que ce plaisir et cette efficacité de jeu qu’on a vu chez les seniors, on les voit aussi chez les jeunes joueurs congolais. Comme on le voit partout ailleurs ! L’équipe d’Espagne qui a été championne du Monde de foot en 2012, elle l’a été avant chez les juniors ! Pareil pour le Brésil, la dernière fois qu’ils ont été Champions du monde. Ce sont de très jeunes, des jeunes, puis des adultes qui jouent ensemble durant des années ! Chaque fois qu’on hisse les jeunes d’un pays avec un haut niveau de formation sportive, plus tard, ceux-ci se retrouvent à un haut niveau…

Regardez la formation à Anderlecht, où j’ai formé les 17-21 ans, cela donne quoi au niveau de l’équipe A des Diables rouges ? Eh bien, 80 % de l’effectif national belge a été formé à Anderlecht ! Nicolas Raskin, Youri Thielemans, Alexis Saelemaekers, Leander Dendoncker, le fils des anciens joueurs Michel Ngonge [Cyril Ngonge, attaquant au SC Naples] et de Kalilou Fadiga [Noah Fadiga, latéral droit à La Gantoise] : tous viennent d’Anderlecht ! L’équipe du Congo joue bien mais elle n’a pas joué longtemps ensemble… Il nous faut, en RDC, et de toute urgence, une formation footballistique solide, financée, avec des formateurs correctement payés !

Avec 85 millions d’habitants et une véritable formation, financée et pérenne, le Congo-Kinshasa devrait avoir, chaque année, un prétendant au ballon d’Or… Mais on n’y prête pas attention. Je compare souvent le fonctionnement du Congo à un poteau rouillé : chaque année, on remet une nouvelle couche de peinture, mais la rouille, elle reste.

Propos recueillis par Olivier Mukuna


Source: Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.