On applique avec une rigueur extraordinaire le principe de précaution, soit. Mais pourquoi ne l’appliquer qu’au Covid-19 et pas à d’autres maux tout aussi néfastes voire davantage ? Si l’on était logique, il faudrait élargir cette attitude compréhensible de prévention du risque.
De la campagne où, je l’avoue, j’ai passé de délicieuses vacances, on observait depuis deux semaines une étrange obsession urbaine : dans la confusion de spécialistes pas vraiment unanimes et de dirigeants manifestement ignorants de toute biologie, on comprenait que la pandémie était aux portes et qu’il fallait porter le masque en tout temps et en tout lieu. Et me voici dans la métropole où le brouhaha mascophile ne cesse pas.
Loin de moi l’envie de minorer la gravité du Covid-19.
Loin de moi l’intention de tirer la moindre conclusion du fait qu’il serait utile de rapporter les quelque onze morts qu’a provoqués quotidiennement cette maladie en août aux 1.676 morts de toutes causes qui surviennent en moyenne chaque jour.
Loin de moi l’idée de suggérer qu’il pourrait y avoir une disproportion entre les remèdes imposés par les autorités dans une ambiance étonnamment anxiogène et la réalité du mal.
Parce qu’en fait, je n’en sais pas assez pour juger, et que la prudence continue à rester l’option la plus raisonnable pour l’instant. Donc portons un masque quelque temps.
Mais il est permis de s’étonner de la focalisation univoque sur cette pandémie et sur le moment présent. On applique avec une rigueur extraordinaire le principe de précaution, soit. Mais pourquoi ne l’appliquer qu’au Covid-19 et pas à d’autres maux tout aussi néfastes voire davantage ? Si l’on était logique, il faudrait élargir cette attitude compréhensible de prévention du risque.
Depuis huit mois, on a compris que le virus Sars-Cov-2 provenait d’animaux de forêts tropicales mis en contact avec les humains du fait de la destruction de leurs habitats. L’urgente nécessité pour éviter que de nouveaux virus tels que le Sars-Cov-2 surgissent serait de lutter contre la destruction de ces forêts et plus largement de la biodiversité. Mais où voit-on la moindre amorce en Europe et en France de changement de la politique à l’égard des forêts africaines ? Quelle mesure a été prise pour limiter l’importation de soja d’Amazonie, pourtant dramatiquement détruite au Brésil par le gouvernement Bolsonaro ? Quand l’Europe et la France ont-ils affirmé nettement qu’ils ne signeraient pas le Mercosur, l’accord de libre-échange avec le Brésil et d’autres pays d’Amérique latine, tant que la déforestation ne cesserait pas ?
Un autre domaine où l’on attendrait la même mobilisation qu’à propos du port du masque serait d’engager une vraie politique de santé environnementale et alimentaire. On sait depuis le début de la pandémie que les personnes les plus à risque face au virus sont celles qui souffrent d’obésité et de diabète, des maladies largement déterminées par les usages sociaux et les pratiques alimentaires. Une des meilleures défenses face aux maladies épidémiques qui surviennent et qui surgiront de nouveau est d’être en bonne santé. Mais la politique de santé environnementale est en France en pleine régression, et rien n’a bougé depuis quelques mois dans le bon sens.
Les pandémies ne sont pas les seules nuisances qui menacent la santé collective. D’autres domaines mériteraient eux aussi l’attention sourcilleuse que les autorités déploient face au Covid. Un exemple majeur en est la pollution de l’air, qui est responsable en France de plus de 48.000 morts prématurées chaque année et de neuf millions dans le monde. L’État français n’en continue pas moins de ne rien faire à ce propos, et il a même été condamné lourdement en juillet dernier pour son inaction. Un constat ironique est que le confinement a eu des effets bénéfiques sur la santé : il aurait permis de réduire de 11.000 le nombre de morts dus à la pollution de l’air en Europe.
De même, on pourrait se mobiliser bien davantage pour éviter l’aggravation du changement climatique, dont les conséquences sanitaires envisagées par les experts sont dramatiques, notamment par les vagues de chaleur. Selon une étude parue en 2018, en l’absence d’importantes réductions des émissions de gaz à effet de serre, jusqu’à trois personnes sur quatre courront le risque de mourir de chaud à l’horizon 2100.
Donc, le masque, d’accord. Mais à condition qu’il ne nous cache pas la réalité des autres menaces tout aussi importantes que celle que pose le Covid. Et que l’on agisse aussi sérieusement à leur propos qu’à celui du coronavirus.
Source: Reporterre