Notre consoeur, Me Selma Benkhelifa a débuté ce vendredi 30 mars 2007 une grève de la faim aux côtés des 16 ressortissants afghans eux-même en jeûne à l’église des Minimes de Bruxelles depuis 25 jours.
Le geste posé par notre consoeur, aussi fort soit-il, a un sens et les points qu’elle entend dénoncer en menant son action doivent appeler à la solidarité
En tant qu’avocats pratiquant le droit des étrangers, nous constatons que, confrontés à des situations où une régularisation devrait intervenir (impossibilité de retourner dans son pays d’origine, circonstances humanitaires graves, …), nous nous heurtons à des refus incompréhensibles et (quasi) systématiques.
Nous travaillons dans un domaine où l’arbitraire règne et où il nous est devenu difficile voire impossible d'exercer notre métier correctement.
Beaucoup d’entre nous en expriment un découragement certain.
Nous devons de plus en plus déplorer l’absence de recours effectif à l’encontre des différentes décisions prises en la matière : les recours au Conseil d'Etat n'ont pour ainsi dire aucune chance d'aboutir dans des délais raisonnables dans les dossiers « étranger ».
Nous avons manifesté à plusieurs reprises et de différentes manières pour faire part notamment de la nécessité d'obtenir "l'adoption d'une procédure permanente devant une juridiction indépendante dotée d'un pouvoir de pleine juridiction, chargée d'appliquer des critères clairs dans le respect du contradictoire et des droits de la défense" (pour reprendre les termes de la motion du conseil de l’ordre du barreau de Liège du 9 mai 2006).
Nous avons dénoncé le système de prime à la grève de la faim instauré par le Ministre de l’Intérieur qui a régularisé les personnes participant à des actions de grève de la faim (les afghans en 2003, les kurdes en 2004, les occupants de l’église Saint-Boniface en 2006 pour prendre les exemples les plus médiatisés).
Le cas des Afghans est très symptomatique de ce problème: leur pays est en guerre, c'est l'évidence, on ne peut pas les expulser et pourtant on ne les régularise pas.
En 2003, après une grève de la faim, le Ministre a constaté l’impossibilité de retour des ressortissants afghans et, en accord avec le gouvernement, a pris une circulaire pour résoudre le problème. Selon cette circulaire, tous les Afghans arrivés avant le 1er janvier 2003 reçoivent le droit de séjourner temporairement de six mois en six mois et sont régularisés quand ils atteignent 3 ou 4 ans de séjour en Belgique. Ils ont également le droit de travailler.
Tous les six mois, cette circulaire est renouvelée, le Ministre admettant par là que la situation en Afghanistan se détériore et qu’il est tout à fait impossible de retourner en Afghanistan.
Les Afghans arrivés après le 1er janvier 2003 sont exclus du champ d’application de cette circulaire. Pourtant, aucun changement n’est survenu en Afghanistan justifiant cette différence de traitement.
Dans la pratique, les Afghans arrivés après le 1er janvier 2003 reçoivent un ordre quitter le territoire.
En avril 2006, une nouvelle grève de la faim a débouché sur la régularisation des grévistes uniquement. D’autres ressortissants afghans ont décidé alors d’entamer à leur tour une grève de la faim durant l’été 2006. Il fut cependant mis un terme à celle-ci devant la promesse du directeur-général de l’Office des Etrangers de trouver une solution à leur situation par le biais d’une nouvelle forme de protection qui devait entrer en vigueur en octobre.
En octobre 2006, le statut de protection subsidiaire entre en vigueur. Celle-ci vise notamment la protection et l’octroi d’un titre de séjour aux civils qui risquent d’être exposés à des menaces graves contre leur vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
La situation en Afghanistan répond aux critères de cette protection : le pays est en guerre et en proie à une violence aveugle. Cependant, l’Office des étrangers a refusé de prendre en considération les demandes de protection de quasi tous les afghans les empêchant ainsi d’accéder à la procédure elle-même.
Face à ce type de décision, seules des requêtes en suspension et en annulation devant le Conseil d’Etat peuvent être introduites. Le Conseil d’Etat a suspendu des décisions dont il a eu connaissance (c’est-à-dire les décisions attaquées en extrême urgence, uniquement pour les détenus). Tous les autres cas sont confrontés aux délais habituels que le Conseil d’Etat prend pour se pencher sur une requête en suspension (deux ou trois ans).
En bout de course, les Afghans se retrouvent dans une situation de non droit complète. Les avocats qui les défendent ont épuisé les recours juridiques. Ils se trouvent particulièrement désarmés face à ces applications totalement arbitraires de la loi et au refus de se conformer à l’interprétation donnée à celle-ci par le Conseil d’Etat.
C’est suite à ces évènements que 16 Afghans ont débuté une grève de la faim depuis le 5 mars 2007.
Ils attendent que les autorités belges reconnaissent l’impossibilité de retour en Afghanistan et en tirent les conséquences en terme de séjour.
Notre consoeur, Selma Benkhelifa, s’occupe de ce dossier. Depuis 2003, elle a épuisé toutes les possibilités que lui offre notre métier pour trouver une solution juridique qui réponde à leur situation.
Face à l’incompréhension et l’arbitraire, elle estime ne plus pouvoir exercer son métier autrement qu’en se joignant personnellement à la grève de la faim menée par les Afghans de l’église des Minimes.
En sa qualité d’avocate, notre consoeur entend aussi réclamer des critères et une commission indépendante qui permettent de rompre avec l’arbitraire du Ministre de l’Intérieur ainsi qu’une procédure respectueuse des étrangers et qui permette aux avocats de faire leur travail.
Sans soutenir spécialement le mode d’action choisi par notre consoeur, nous estimons qu’il est impératif de se montrer solidaire avec les revendications qu’elle porte actuellement.
Avocats cosignataires :
Dominique Andrien, Georges-Henry Beauthier, Axel Bernard, Jacques Berten, France Blanmailland, Joke Callewaert, Grégor Chapelle, Vincent Decroly, Alexis Deswaef, Philippe Favart, Jan Fermon, Ivo Flachet, Guérric Goubau, François-Xavier Groulard, Emmanuelle Halabi, Valentin Henkinbrant, Thomas Mitevoy, Carole Kalenga, Lieve Peppermans, Sylvie Sarolea, Emmanuelle Schouten, Olivier Stein, Alexandra Tempels, Véronique Van Der Plancke