Former US President and Republican presidential candidate Donald Trump leaves the stage after a campaign rally at the Bryce Jordan Center in State College, Pennsylvania, October 26, 2024. (Photo by Charly TRIBALLEAU / AFP)AFP

Bruno Drweski : « Les rapports de force sont défavorables aux États-Unis, Trump n’y pourra pas grand-chose »

Relations avec l’Union européenne et guerre en Ukraine, conflits au Proche-Orient, montée des BRICS et compétition avec la Chine, risque de Troisième Guerre mondiale… Que présage un second mandat de Donald Trump sur les grands dossiers internationaux ? Historien et politologue à l’INALCO, Bruno Drweski répond à nos questions. (I’A)

I’A : Malgré les sourires de façade, les relations entre les États-Unis et l’Union européenne n’étaient pas au beau fixe : la guerre en Ukraine attisée par Washington et le sabotage des gazoducs Nord Stream ont causé beaucoup de tort aux économies du Vieux Continent. Les dirigeants européens doivent-ils craindre que ces relations empirent avec la présidence Trump ?

Bruno Drweski : D’un point de vue politique, ils vont certainement vivre une période plus difficile, car ils ne sont pas habitués à l’équipe Trump. Nous avons pu en avoir un aperçu lors de son premier mandat. Mais Trump reste un outsider. Les dirigeants européens sont plutôt liés aux cercles néoconservateurs et démocrates.

Un autre problème concerne le volet économique. Trump veut défendre les intérêts du territoire étasunien. Si bien qu’il va chercher à faire peser davantage sur les dirigeants européens certains coûts militaires, dont la guerre en Ukraine.

Faire reposer le coût de ce conflit sur les épaules européennes, n’était-ce pas déjà en route sous la présidence de Joe Biden ?

Certes, mais Trump ira plus loin. Il est allé jusqu’à menacer de se retirer de l’OTAN. Je ne pense pas qu’il mettra sa menace à exécution. Mais son objectif paraît assez clair : se désengager de l’Europe et de l’Ukraine pour se concentrer sur ses priorités, à savoir la Chine en Asie orientale et le Proche-Orient en Asie occidentale.

La menace du retrait de l’OTAN, n’était-ce pas un coup de bluff pour conduire les pays européens à augmenter leurs dépenses militaires ? Historiquement, l’alliance atlantique est un instrument de domination des États-Unis sur l’Europe. Pourquoi Trump s’en priverait-il ?

C’est certainement du bluff. L’OTAN est à la fois le bras armé des Américains dans le monde, mais aussi contre les peuples d’Europe. Les États-Unis ont tout intérêt à garder ce gendarme en place. Tout comme les élites européennes. Mais pour Trump, le financement de cette alliance ne doit pas coûter grand-chose pour les États-Unis et reposer plus lourdement sur les Européens. Reste à voir dans quelle mesure Trump pourra faire bouger ces lignes : il devra composer avec une bureaucratie et des institutions bien enracinées et qui ont toujours travaillé différemment.

Trump n’aura-t-il pas justement les coudées un peu plus franches avec ce second mandat ? Tout d’abord, les Républicains ont obtenu la majorité au Congrès. Par ailleurs, l’ascension de Trump est la conséquence d’une fracture au sein des élites US. Or, ceux qui le soutiennent  – les déçus de la mondialisation néolibérale et de la pax americana notamment[1] – semblent peser davantage aujourd’hui qu’il y a huit ans.

Tout à fait. Et on peut ajouter que depuis son premier mandat, Trump semble avoir mis de l’eau dans son vin. Il se montre moins radical dans son discours sur les affaires internationales. Nous assistons à une sorte de compromis qui va sans doute se prolonger durant les quatre prochaines années. Mais toute la bureaucratie de Washington ne disparaît pas pour autant. Ni le puissant complexe militaro-industriel qui, certes, se remplit les poches avec les conflits en Asie et au Moyen-Orient, mais qui profite aussi largement de la guerre en Ukraine et des tensions avec la Russie. Nous allons donc voir dans les prochaines semaines, notamment avec la composition du cabinet Trump, où le curseur va se placer.

Pour conclure sur les relations avec l’Europe : du point de vue économique, Trump veut faire contribuer davantage ses alliés dans les efforts militaires, mais il annonce aussi des mesures protectionnistes qui devraient pénaliser l’Union européenne considérée comme une « petite Chine ». De quoi pousser nos dirigeants à se montrer plus indépendants à l’égard de Washington ?

C’est ce que les dirigeants européens disent. Mais nous avons vu que cela relevait purement du discours. Les États-Unis sont clairement engagés dans une guerre économique contre l’Europe. Et nos dirigeants ont accepté ces dernières années toutes les couleuvres que Washington voulait leur faire avaler. Je ne vois pas pourquoi ça changerait. En fait, les dirigeants européens sont liés à cette mondialisation qui est absurde non seulement pour les intérêts des peuples, mais aussi pour les intérêts de leur propre capitalisme industriel. Cette mondialisation est essentiellement liée au capital financier et pénalise la production en Europe, surtout en Allemagne. Berlin est le grand perdant de toute cette configuration, mais n’a pas l’air de se révolter.

Trump promet de régler rapidement la guerre en Ukraine. Mais pas les conflits du  Proche-Orient. Si Israël bénéficiait déjà d’un large soutien des Démocrates, Trump avait la préférence de Netanyahou. Ira-t-il encore plus loin dans le soutien à Israël ?

Théoriquement oui, si on s’en tient à son discours qui est extrêmement belliciste et intimement lié à la politique génocidaire de Netanyahou. On se rappelle par ailleurs que durant son premier mandat, Trump avait déjà offert pas mal de cadeaux à Israël. Il ne faut donc pas s’attendre à de grands changements en Palestine. La Syrie pose davantage question. Durant son premier mandat, Trump avait pris des mesures qui allaient vers un retrait des troupes US. Mais va-t-il poursuivre sur cette lancée dans le contexte actuel ? J’en doute, dans la mesure où la Syrie est une base arrière stratégique de la résistance libanaise.

Quid de l’Iran ? La tension monte avec Israël. Mais jusqu’à présent, l’administration Biden semble avoir tenté de prévenir un conflit ouvert.

L’Iran est évidemment le grand adversaire stratégique de Netanyahou. Trump est très virulent dans ses discours. Mais il y a tout de même chez lui et dans ses cercles une vision plus réaliste des rapports de force que chez Biden et les démocrates. Il ne s’engagera pas dans une guerre contre l’Iran aux côtés d’Israël s’il sait qu’elle sera perdue d’avance. Le seul espoir est donc que l’aspect réaliste prenne le dessus si Trump et ses alliés prennent conscience que le rapport de force est défavorable à Israël. Et il l’est. Cela n’empêchera pas Trump de soutenir Israël et même la faction que représente Netanayhou au sein du jeu politique israélien. Or, le Premier ministre israélien est un aventurier…

Si l’Iran est le grand adversaire stratégique de Netanyahou, la Chine est celui de Trump. Comment les relations entre Washington et Pékin vont-elles évoluer ?

On peut s’attendre à des tensions majeures en Asie, que ce soit en Corée, à Taïwan, en mer méridionale de Chine et dans n’importe quel autre foyer susceptible d’être allumé. Mais la situation évolue. Lors du dernier sommet des BRICS, la Chine et l’Inde se sont rapprochées. Or, les États-Unis comptaient sur l’Inde comme partenaire clé dans leur guerre d’influence contre la Chine. Pas sûr que l’équipe Trump y renonce cependant. Il y a déjà des rumeurs de révolution colorée qui se répandent en Inde.

Le rapprochement entre l’Inde et la Chine illustre parfaitement l’analyse développée par Jude Woodward lorsque les États-Unis avaient amorcé leur pivot vers l’Asie. L’historienne expliquait que Washington peinait à créer un front anti-chinois, car la plupart des pays de la région entretiennent des relations économiques fructueuses avec la Chine et ne sont pas intéressés par la guerre. Trump ne va-t-il pas buter sur ce même problème, encore plus aigu aujourd’hui ?

Le seul pays sur lequel Washington peut compter, ce sont les Philippines. Clairement, tous les autres pays asiatiques sont extrêmement prudents. L’idée de laisser l’Asie aux Asiatiques fait consensus, notamment dans des organisations telles que l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) où l’on retrouve pourtant des pays qui ont des différends avec la Chine. On le voit même en Corée du Sud qui a un gouvernement très droitier et extrêmement répressif. C’est pour ça que le rapprochement entre la Chine et l’Inde marque un coup dur dans la stratégie US. On pourra évidemment rétorquer que les États-Unis marquent des points dans des pays comme le Bangladesh, le Pakistan et le Sri Lanka où les nouveaux pouvoirs en place semblent plus alignés sur Washington. Mais les États-Unis n’ont pas de véritables partenaires anti-chinois dans la région, à l’exception des Philippines. Notons enfin que ce pays traverse une situation économique et sociale assez complexe. Ce qui pourrait déboucher sur des changements majeurs dans les rapports de force internes et externes.

Sur le plan militaire, la confrontation semble donc mal engagée pour les États-Unis. Sur le plan économique, Trump sera-t-il en mesure de reprendre le dessus dans la compétition avec la Chine et de manière générale avec les BRICS ?

C’est ce que Trump va tenter. Mais en réalité, lorsque nous regardons l’imbrication des économies chinoises et US, cette partition paraît difficile à jouer. D’autant plus que la Chine s’est préparée aux scénarios les plus durs sur les plans militaire, économique et technologique. Et que l’assise des BRICS lui donne une force considérable. Finalement, le rapport de force continue de jouer en défaveur des États-Unis. Et l’équipe Trump n’y pourra pas grand-chose.

Dans cette évolution du rapport de force, il y a la place du dollar. Imposé comme monnaie d’échange du commerce international, le billet vert a fait de l’économie US un géant aux pieds d’argile. Mais plus les BRICS avancent, plus le rôle du dollar est remis en cause.

Tout à fait. Trump a dit qu’il ferait tout pour défendre le dollar. Dans les faits, il se heurtera à la réalité du monde : de plus en plus de pays se désengagent du dollar. Et les États-Unis n’ont pas la force de guerroyer contre tous ceux-là. Donc l’effritement continuera. Complètement déconnectés de la réalité, les Démocrates y ont réagi de manière très agressive. Malgré ses déclarations tonitruantes, Trump me paraît plus réaliste. Il devrait se montrer moins imprévisible et moins dangereux.

Trump moins imprévisible et moins dangereux… C’est une analyse à contre-courant de ce qu’on entend à longueur de journée !

Évidemment, il a des déclarations très virulentes. Il peut se montrer parfois imprévisible. Mais globalement, si nous observons le bilan des guerres US au cours des dernières décennies, la présidence de Trump n’apparait pas comme la plus agressive. Non pas que Trump soit un grand humaniste. Il a surtout une plus juste mesure des rapports de force qui sont clairement en défaveur des États-Unis. Cette situation pourrait entraîner une réaction d’énervement à Washington. Mais elle pourrait aussi déboucher sur une stratégie d’adaptation à l’état réel du monde.

Pour remporter la bataille économique, les États-Unis pourraient-ils tenter de saboter les BRICS de l’intérieur en s’appuyant sur certains membres de ce bloc relativement hétéroclite ?

C’est clairement la faiblesse des BRICS. On l’a vu lors du dernier sommet, le Brésil a ainsi bloqué le Venezuela. On aurait pu s’attendre à ce que Washington s’appuie sur l’Inde, mais il ne peut plus compter sur cet allié et mise donc sur le Brésil. La situation est complexe dans ce pays. Nous verrons comment les choses évoluent. Reste que le Brésil n’est pas un poids majeur des BRICS à la différence de la Chine et de la Russie. Ces deux États sont assez fermes dans leur politique d’indépendance.

On peut imaginer qu’ils ont conscience de ces risques de sabotage et qu’ils s’y préparent ?

Exactement. Et les plus faibles au sein des BRICS, comme le Brésil, évolueront dans une direction ou dans une autre en fonction de l’évolution des rapports de force.

Finalement, que présage cette nouvelle présidence de Trump pour la planète ?

Nous sommes vraiment dans une zone d’incertitude, car les rapports de force sont changeants. Les personnalités au pouvoir n’y peuvent pas grand-chose. Ce sont des tendances lourdes. On peut avoir un Trump ou une von der Leyen pour le bloc occidental, il faudra bien que ces personnalités s’adaptent à la réalité du monde. En Occident, on commence à sortir des illusions de ces dernières années pour découvrir le monde tel qu’il est. Cela débouchera sans aucun doute sur des déclarations tonitruantes, sur des gestes violents, voire chaotiques, pour tenter de rétablir une forme de confiance dans les États-Unis. Mais globalement, ils sont sur la pente descendante. C’est un fait. Reste à espérer que le réalisme prendra le dessus pour permettre des négociations au cas par cas.

Et si le réalisme ne prend pas le dessus, ce sera la Troisième Guerre mondiale ?

Nous sommes déjà dans une Troisième Guerre mondiale. Même si elle est hybride et se joue sur plusieurs fronts distincts. Va-t-on alimenter ces fronts de telle sorte que cela débouchera sur une guerre mondiale réelle ? Ou bien négociera-t-on front par front, selon des rapports de force variables d’une région à l’autre ? En Ukraine par exemple, cela pourrait déboucher sur une forme de compromis. Pour les Palestiniens en revanche, j’imagine que ça va être très dur.


Source: Investig’Action


Note

[1] Voir Michel Collon et Grégoire Lalieu, “Le monde selon Trump”, Ed. Investig’Action, 2017

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