Dans la nuit du 27 au 28 avril, Bahar Kimyongur, ressortissant belge membre du bureau d'informations du DHKC en Belgique, a été arrêté en Hollande alors qu’il s’y rendait pour organiser une activité culturelle. Des indices sérieux font penser que son intégrité physique et sa vie sont menacées.
La question n'est pas de savoir ce qu'on pense de la stratégie de certaines organisations révolutionnaires turques. La question est d'empêcher que la Belgique et la Hollande copient les lois liberticides de Bush et violent même leurs propres lois pour collaborer avec les services turcs dont les tortures sont largement prouvées. (MC)
Le Comité pour la liberté d’expression et d’association dénonce une arrestation qui viole le droit belge et international
Suite aux attaques subies par le Clea dans la presse (le comité serait « complice du DHKP-C [qui] a tué plusieurs fois en Turquie » -La Libre Belgique, 2 mai 2006-) et face à l’urgence d’aider Bahar Kimyongur dont la vie est menacée, il nous est apparu important de clarifier auprès des citoyens belges notre positionnement en tant que collectif.
La loi contre le terrorisme menace nos libertés
La création du Clea Au début de l’année 2006, le Comité pour la liberté d’expression et d’association s’est constitué en réaction à l’annonce suivant laquelle Bahar Kimyongur risquait 7 ans d’emprisonnement en Belgique au motif qu’il serait le chef d’une organisation terroriste. Rassemblés autour de professeurs, de chercheurs et d’étudiants de l’Université Libre de Bruxelles -où Bahar a reçu un diplôme en Histoire de l’Art en 1996-, des citoyens ont décidé de s’organiser en posant la question suivante : « pourquoi Bahar est-il qualifié de terroriste ? ».
La loi antiterroriste belge de 2003 Rapidement, il a semblé évident au comité que la nouvelle législation sur le terrorisme constituait une menace contre nos libertés. Le cas de Bahar est, à cet égard, emblématique. Cet universitaire belge de 32 ans n’a commis aucun crime, aucun délit ni n’a eu l’intention d’en commettre en Belgique, en Turquie ou ailleurs. Ce que la justice belge lui reproche c’est d’avoir traduit, diffusé et commenté un communiqué de l’organisation communiste turque DHKC et d’être membre du bureau d’informations de ce parti en Belgique. Ainsi, si l’on rapporte les faits reprochés à Bahar aux qualifications juridiques, on se rend compte que s’exprimer et s’organiser deviennent, suite à l’introduction de la nouvelle législation antiterroriste, des actes terroristes. De ce fait, la justice belge trahit un caractère politique car des principes essentiels comme les libertés d’expression et d’association, garantis par la constitution, sont attaqués ; ce qui participe à un processus plus large de criminalisation de l’action politique et citoyenne. De plus, cette loi remet en question des principes élémentaires de notre droit pénal comme celui de la responsabilité individuelle et celui de la territorialité du droit pénal.
Le Clea comme collectif d’information La prise de conscience par les membres du comité que cette loi possédait un caractère liberticide a conduit le Clea à organiser deux conférences. L’idée centrale qui y était véhiculée peut se résumer comme suit : si, dans les discours, le terrorisme est présenté comme le danger qui menace la démocratie ; on se rend compte, dans la pratique, que c’est sous prétexte de lutte contre le terrorisme que les libertés d’expression et d’association sont mises à mal. Lors de ces conférences, Zoé Genot (députée Ecolo), Manuel Lambert (Ligue des Droits de l’Homme), Paul Bekaert (vice bâtonnier du barreau de Bruges), Jean-Claude Paye (sociologue) ont pu participer à la promotion d’un débat critique sur cette législation. Plus de 200 citoyens ont ainsi pu réfléchir sur cette proposition : « s’exprimer, s’organiser, contester : ce n’est pas du terrorisme ».
Par ailleurs, le Clea a organisé une délégation pour soutenir Bahar lors de son procès –connu sous le nom de « procès Erdal» où 11 prévenus étaient regroupés- en première instance à Bruges et pour observer la manière dont la loi était concrètement appliquée. Lors du verdict -le 28 février-, Bahar a été condamné à quatre ans de prison ferme tout en restant libre de ces mouvements. Il a immédiatement interjeté appel contre la décision.
Non à l’extradition de Bahar vers la Turquie!
Le travail de Bahar Kimyongur Depuis plusieurs années, Bahar s’est consacré à faire connaître la situation des détenus politiques en Turquie. Tortures (chocs électriques, abus sexuels…) et assassinats sont monnaie courante pour les prisonniers comme il ressort également des rapports d’Amnesty International et des condamnations prononcées par la Cour européenne des Droits de l’Homme à l’encontre de l’Etat turc. Bahar, dans son engagement contre l’impunité, à multiplier les interventions publiques pour sensibiliser les citoyens et à organiser plusieurs missions d’observation des prisons pour les parlementaires européens. Ceci lui permet d’affirmer : « Ainsi, durant toutes ces années, je n’ai fait que me battre contre le terrorisme, pour la démocratie et la justice en Turquie et dans le monde, dans un cadre toujours démocratique et légal ».
Le mandat d’arrêt international lancé par la Turquie Alors qu’il préparait une activité culturelle, Bahar a été arrêté par la police hollandaise dans la nuit du 28 avril 2006. A cette occasion lui a été signifié l’existence d’un mandat d’arrêt international dressé à son encontre par la Turquie. La raison invoquée : appartenance à une organisation terroriste, les faits reprochés : avoir interpellé un ministre turc lors d’une séance du Parlement Européen en 2000. Depuis lors, il est incarcéré et a entamé une grève de la faim. Le 1er mai, la légalité du mandat a été confirmée par les instances hollandaises compétentes. Dans un délai de 40 jours les autorités bataves doivent prononcer une décision quant à l’extradition.
Le rôle de la Belgique
L’Etat belge savait depuis plusieurs jours que le mandat existait mais n’a pas jugé utile de prévenir l’intéressé. Bien au contraire, dès que Bahar est sorti du territoire national, il a été arrêté par deux voitures de police banalisées. Dans cette affaire, rien n’est plus laissé au hasard : l’Etat belge a sciemment sacrifié un de ses ressortissants pour satisfaire l’Etat turc – qui s’était senti offensé par la disparition d’Erdal – et la condamnation du 28 février a créé le climat conduisant à cette situation dramatique.
Bahar entre les mains des tortionnaires qu’il dénonce : jamais ! On peut s’interroger sur le bien-fondé de la loi antiterroriste belge, le Clea est de ceux qui pensent qu’elle constitue une menace pour la démocratie. Mais les risques qui pèsent actuellement sur l’intégrité physique de Bahar Kimyongur sont réels et nous placent donc devant une nouvelle problématique. Bahar, mieux que quiconque en Belgique, est conscient que s’il est extradé par les Pays-Bas vers la Turquie, il se retrouvera dans la situation des prisonniers politiques pour qui il se bat et à l’encontre desquels l’Etat turc commet des atrocités. Il n’est même plus question ici de savoir si l’on considère l’action de Bahar comme un engagement politique ou comme un acte terroriste. Nous nous trouvons dans le cas de figure où la vie d’un homme est en danger. S’il doit répondre de ses actes, c’est devant le tribunal de Gand où son procès en appel s’ouvre le 8 mai. Le Clea est confiant dans le fait qu’il pourra y prouver son innocence. Mais laisser Bahar Kimyongur à la merci de la police turque, aucun démocrate un tant soit peu conséquent ne peut l’accepter.
Le Clea comme comité de soutien Nous refusons que Bahar soit extradé vers la Turquie où sa vie est menacée. Nous exigeons que l’Etat belge protège son ressortissant et fasse pression sur les Pays-Bas pour qu’ils le rapatrient dans notre pays. Nous demandons la libération immédiate de Bahar pour qu’il puisse se défendre lors de son procès en appel en Belgique. Ces trois revendications sont reprises dans une pétition que l’on peut signer sur l’adresse http://perso.wanadoo.fr/clea.be . Le Clea appelle tous les citoyens à remplir cette pétition qui sera remise prochainement aux autorités belges afin qu’elles prennent une position officielle en faveur de Bahar et cessent leur hypocrisie. Depuis l’arrestation de Bahar, près d’un millier de personnes ont déjà signé l’appel. La mobilisation s’organise : dès le 1er mai, une centaine de personnes (dont des avocats et des parlementaires) se sont rassemblées devant l’ambassade des Pays-Bas à l’appel du Clea pour exiger la satisfaction des trois revendications. Le combat pour soutenir Bahar continuera et s’amplifiera jusqu’à sa libération.
C’est quoi le Clea ? Le Clea n’est pas une organisation terroriste, le Clea n’a aucun lien avec le DHKP-C, le Clea ne se positionne pas sur le bien-fondé de la lutte de cette organisation. Par contre, le Clea s’inquiète de l’utilisation des nouvelles législations antiterroristes contre ce mouvement en Belgique car elle a provoqué la situation surréaliste actuelle : elle conduit à offrir Bahar en pâture aux bourreaux dont il dénonce les agissements. Le Clea a donc pour vocation de promouvoir un débat critique sur l’usage de cette loi.
Les événements récents prouve la pertinence de l’analyse et de l’action du Clea mais contraint également le comité à investir toutes ses forces dans la création d’un front large pour éviter que Bahar ne soit extradé vers la Turquie. Nous appelons tous les citoyens à se ranger aux côtés du Clea pour défendre les trois revendications portées par notre pétition.
Le Clea n’a rien à gagner dans ce combat. Au contraire, les intimidations de la part de la police dont ses membres font l’objet et les tentatives de déstabilisation menées par une certaine presse ne sont pas évidentes à gérer par le comité. Mais nous sommes persuadés que le cas de Bahar mérite notre soutien, votre soutien. C’est en tous cas notre conviction de citoyens soucieux de préserver la démocratie des attaques portées contre les libertés d’expression et d’association.
VOIR AUSSI, SUR LE DANGER DE L'AFFAIRE ERDAL POUR NOS LIBERTES POLITIQUES :
http://www.investigaction.net/articles.php?dateaccess=2006-05-04%2006:12:40&log=invites