« Attaques soniques » contre des diplomates américains de La Havane : une nouvelle étude de l’Université d’Édimbourg offre une autre réfutation significative

Quelle sera la réaction du Département d’État américain à la lumière de cette récente controverse scientifique?

 

Les commentaires et éditoriaux explicatifs publiés dans Cortex les 9 et 13 octobre 2018 arrivent à point nommé, étant donné que les États-Unis intensifient depuis quelque temps leur discours contre Cuba. Le commentaire et l’éditorial de cette nouvelle publication scientifique apparaissent à l’approchait du vote de l’ONU sur le blocus, le 31 octobre, alors que Washington accentuait ses hostilités envers Cuba, peut-être pour justifier son vote à l’ONU contre la levée du blocus. Les États-Unis ont désespérément tenté de trouver des prétextes pouvant servir de fondement aux prétendues attaques sonores, que le Département d’État américain attribue directement ou indirectement à Cuba. Le 1er novembre 2018, John Bolton, conseiller à la sécurité nationale du président Donald Trump, a déclaré dans une interview accordée au Nuevo Herald à propos des “attaques sonores:” “Vous ne pouvez pas faire de mal aux Américains à l’étranger sans en assumer les conséquences.”

 

Mon article sur cette question a été publié dans Investig’Action le 7 septembre 2018, suivant une entrevue exclusive avec le Dr Robert D. McIntosh, l’un des deux scientifiques du Département de neuroscience cognitive humaine et psychologie de l’Université d’Édimbourg, à Édimbourg, au Royaume-Uni, dont l’étude conjointe avec le Dr Sergio Della Sala conteste le rapport de l’Université de Pennsylvanie commandé par le Département d’État américain et publié dans le Journal of the American Medical Association (JAMA). L’entrevue avec le Dr McIntosh était basée sur le rapport publié dans l’European Journal of Neurology et avait trouvé écho à l’époque parmi certains médias grand public comme The Guardian (Royaume-Uni).

 

Dans le rapport scientifique, les auteurs démontrent notamment, comme l’indique l’article, que le rapport de l’Université de Pennsylvanie manquait de « rigueur scientifique », de « fiabilité » et était « peu étoffé ». L’approche professionnelle acceptable pour les tests cognitifs consiste à mesurer les performances individuelles par rapport à la moyenne de la population. Et quelle est la mesure standard acceptée par la profession? On considère qu’une personne présente un trouble cognitif si celle-ci se classe parmi les cinq pour cent inférieurs par rapport à la population. Le seuil doit être aussi bas afin de prendre en compte divers facteurs. L’un d’eux détermine que seule une très faible proportion de la population est considérée avoir une déficience cognitive.

 

Pourtant, le rapport de l’Université de Pennsylvanie a déterminé de manière arbitraire que le seuil pour être considéré avoir une déficience cognitive était de quarante pour cent, ce qui signifie par le fait même que quatre personnes sur dix qui sont soumises au test seront jugées « déficientes ». Ainsi, les scientifiques d’Édimbourg ont conclu par euphémisme que « le seuil de 40 % ne constitue certainement pas un détail ».

 

Si les lecteurs ont encore des doutes quant à cette affirmation, permettez-moi de vous assurer que les scientifiques de l’Université d’Édimbourg n’ont négligé aucune tâche. Ils ont en fait reproduit le modèle de Pennsylvanie qui examinait la probabilité de réussite de tous les tests lorsque le seuil de défaillance était fixé à 40%. De plus, les deux scientifiques ont reproduit les tests 1000 fois ! Les sujets étaient tous classés comme ayant une déficience.

 

L’article du InvestigAction conclut comme suit : « L’Université de Pennsylvanie n’a jamais répondu à une question très précise sur le critère des 40 %, même si une partie très importante des mesures de rétorsion du Département d’État américain contre Cuba est basée sur la référence de 40 %. »

 

Depuis la publication du rapport, les auteurs du JAMA de l’Université de Pennsylvanie ont été contraints de faire face à la question soulevée par l’Écosse en publiant un autre article dans la revue JAMA. Cependant, outre la réponse des professeurs de l’Université d’Édimbourg à la réfutation de l’Université de Pennsylvanie dans le JAMA, d’autres scientifiques européens et américains ont également publié leurs points de vue respectifs dans cette revue universitaire américaine. La vapeur s’accentuait.

 

Ainsi, les scientifiques mentionnés précédemment se sont réunis pour publier, les 9 et 13 octobre, un commentaire explicatif et un éditorial dans la prestigieuse revue scientifique internationale européenne Cortex. Fondée en 1964 par Ennio De Renzi, la revue se consacre à l’étude de la connaissance et des relations entre le système nerveux et les processus mentaux, en particulier dans le comportement des patients présentant des lésions cérébrales acquises, des volontaires sains, des enfants présentant un développement typique et atypique, ainsi que dans l’activation des régions et des systèmes cérébraux enregistrés par les techniques de neuro-imagerie fonctionnelle.

 

Dans le commentaire d’introduction, les deux pionniers de l’Université d’Édimbourg (Della Sala et McIntosh) sont rejoints, dans leur quête pour la vérité relativement à cette méthodologie discutable, par les voix suivantes :

 

– Roberto Cubelli, Département de psychologie et des sciences cognitives, Université de Trento, Rovereto, Italie

– Jason A. Kacmarskic, section de la psychologie de la santé, Veterans Affairs Eastern Colorado Health Care System, Denver, Colorado, États-Unis

– Holly M. Miskey et Robert D. Shurad, ligne de service en santé mentale et science du comportement, Salisbury Veterans Affairs Medical Center, Salisbury, Caroline du Nord, États-Unis

 

Le titre du commentaire dans Cortex est éloquent : « Cognitive Symptoms in U.S. Government Personnel in Cuba: The Mending Is Worse than the Hole » (qui signifie « Symptômes cognitifs chez le personnel du gouvernement américain à Cuba : la correction est pire que l’erreur. ») Les six scientifiques affirment avoir vivement critiqué les procédures de l’Université de Pennsylvanie qu’ils jugent incompatibles avec une pratique professionnelle courante en neuropsychologie fondée sur des données probantes (Della Sala et Cubelli, 2018; Shura, Kacmarskic et Miskey, 2018) et avec la logique statistique (Della Sala et McIntosh, 2018). Ils n’étaient donc pas surpris que l’étude de l’Université de Pennsylvanie ait révélé que les six patients étaient « déficients ». Ils précisent qu’en ayant recours au 40e percentile, 40 % des personnes échoueront à chaque test et que les chances de réussir tous les tests sans diagnostic d’une déficience seront négligeables.

 

Ce commentaire cinglant souligne que les auteurs de l’Université de Pennsylvanie n’ont pas défendu leur choix « idiosyncrasique » de seuil à 40 %. Ils ont plutôt laissé entendre qu’ils utilisaient une autre norme. Sur le même ton, ils disent ne pas comprendre ce que signifie cette réponse ambiguë et peu claire.

 

Par une pirouette littéraire, ils font valoir leur point de vue en déclarant : « An old Venetian saying seems very apt here: ‘Xe pèso el tacòn del buso’ – the mending is worse than the hole. » (ou : « Un vieil adage vénitien semble très à propos ici : ‘Xe pèso el tacòn del buso’ – la correction est pire que l’erreur »). Les spécialistes de l’Université de Pennsylvanie ont tenté d’établir un seuil indéfendable pour les déficiences dans l’article initial, avec un argument moins cohérent pour défendre leur critère dans leur réfutation. Ainsi, les auteurs de Cortex concluent, peu convaincus, que seules deux choses sont claires : premièrement, le critère universellement accepté pour la déficience cognitive a été présenté de manière erronée dans le document original de l’Université de Pennsylvanie; et deuxièmement, les données neuropsychologiques transmises ne permettent pas de conclure que tout ce qui s’est passé à Cuba a entraîné un déclin cognitif persistant.

 

L’éditorial publié par le comité de rédaction de Cortex a pour titre « Responsibility of Neuropsychologists: The Case of the ‘Sonic Attack,’ » Cortex Editorial Board (qui signifie : « Responsabilité des neuropsychologues : le cas de l’attaque sonique », comité de rédaction de Cortex).

 

En se référant aux deux déclarations contradictoires, la première et la réfutation par des scientifiques européens et américains opposés, toutes deux publiées par l’Université de Pennsylvanie dans le JAMA, le comité de rédaction de Cortex aborde un enjeu moral important qui touche le monde réel extérieur et les médias, à savoir que les déclarations ne sont pas scientifiquement fondées.

 

Cet éditorial du Cortex mentionne que plusieurs des critiques émanant des scientifiques mentionnés dans le présent article, et qui ont suivi dans le JAMA, soulignaient d’importants problèmes évidents dans l’approche technique des déficits cognitifs rapportés dans leur article du JAMA, ainsi que dans l’analyse et l’interprétation qui en ont résulté. Apparemment stupéfait par cette approche, l’équipe de rédaction poursuit en montrant que la réaction attendue de l’Université de Pennsylvanie à ces critiques n’était pas de défendre ou d’expliquer les méthodes initiales, mais d’affirmer que les méthodes utilisées étaient en réalité différentes de celles énoncées dans le texte d’origine (Hampton, Swanson et Smith, 2018). « Les deux descriptions des méthodes, qui sont toutes deux hautement discutables, ne peuvent pas être toutes deux véridiques : soit ce qui a été rapporté dans l’article original est faux, soit ce qui est énoncé dans la réfutation est faux (ou peut-être les deux). »

 

Cet éditorial aborde un problème de plus grande ampleur, à savoir comment de telles déclarations contradictoires arrivent à être publiées et, qui plus est, dans une revue d’envergure internationale comme le JAMA. On ne peut pas, expliquent-ils, permettre que de telles explications de processus et de contrôle, décalées et incompatibles, ne soient pas contestées. Autrement, cela mènerait vers « une pente glissante pour la science et dangereuse pour la société en général ». Produire de l’information non étayée par la science sur les déficiences cognitives « invite à une couverture médiatique qui pourrait susciter des malentendus généralisés quant à la nature de ce phénomène ».

 

Le comité de rédaction de Cortex appelle les neuropsychologues et tous les scientifiques à se préoccuper de cette affaire en raison de ses implications plus vastes. Cortex est sans nuance : les auteurs du rapport du JAMA de l’Université de Pennsylvanie « devraient maintenant soit publier un Erratum officiel, pour expliquer leurs méthodes réelles, de manière claire et non ambiguë, ou retirer le texte original ».

 

J’espère sincèrement que la communauté scientifique internationale donnera suite à cette affaire et montrera la nature arbitraire des mesures prises par le gouvernement américain contre son ambassade à La Havane, la Mission cubaine à Washington DC., et les peuples américain et cubain touchés par cet incident.

 

Quelle sera la réaction du Département d’État américain à la lumière de cette récente controverse scientifique?

 

 

Références au comité de rédaction de Cortex :

 

Della Sala, S., McIntosh, R.D., Cubelli, R., Kacmarskic, J.A., Miskey, H.M. et Shura, RD (2018). « Cognitive Symptoms in US Government Personnel in Cuba: The Mending Is Worse than the Hole ». Cortex.

 

Hampton, S., Swanson, R.L. et Smith, D.H. (2018). « In Reply: Neurological Symptoms in US Government Personnel in Cuba ». JAMA, 320 (6), 604–605.

 

Swanson, R.L., II, S. Hampton, J. Green-McKenzie, R. Diaz-Arrastia, M.S. Grady, R. Verma, et autres (2018). « Neurological Manifestations Among U.S. Government Personnel Reporting Directional Audible and Sensory Phenomena in Havana, Cuba ». JAMA, 319 (11), 1125–1133.

 

Références citées dans le commentaire Cortex :

 

Della Sala, S. et Cubelli, R. (2018). « Alleged ‘Sonic Attack’ Supported by Poor Neuropsychology ». Cortex, 103, 387–388.

 

Della Sala, S. et McIntosh, RD (2018). « Cognitive Impairments That Everybody Has ». Journal of Neurology, 265 (7), 1706–1707.

 

 

Arnold August est auteur et journaliste de Montréal. Ses ouvrages comprennent Democracy in Cuba and the 1997-1998 Elections (1999), Cuba and its Neighbours: Democracy in Motion (2013) et Cuba-U.S. Relations: Obama and Beyond (2017). En tant que journaliste, ses articles sont publiés sur de nombreux sites Web. Il est collaborateur de InvestigAction Suivez-le sur Twitter et Facebook. Site Web : www.arnoldaugust.com

 

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