Après une période marquée par un virage à gauche important, l’Amérique latine a été le théâtre de bouleversements politiques importants. De l’Argentine au Brésil en passant par le Honduras ou encore l’Équateur, la droite est revenue aux affaires. Là où la gauche est restée au pouvoir, les tentatives de déstabilisation sont nombreuses. Pourtant, Atilio Boron estime qu’il serait fallacieux de penser qu’une longue période de gouvernements de droite se profile en Amérique latine. Explications. (IGA)
Ils ont été nombreux ceux qui vers le milieu de cette décennie – et en lien, causal, involontaire ? avec le déploiement de l’offensive restauratrice de l’empire–, se sont hâtés d’annoncer la « fin du cycle » progressiste en Amérique Latine. L’échec du kirchnerisme en 2015 et le renversement illégitime et illégal de Dilma Rousseff en 2016 ainsi que le jugement grotesque et l’emprisonnement de Lula apparaissait comme des signes indubitables du commencement d’un nouveau cycle historique.
Seulement les prophètes de cette Épiphanie ne se sont jamais aventurés à risquer quelque chose de très élémentaire : qu’il y aura-t-il après ? Un cycle se terminait, bien, mais cela voulait-il dire qu’un autre commençait ? Silence absolu.
Deux voies. Ou bien ils adhéraient aux thèses de Francis Fukuyama sur la fin de l’histoire, chose absurde si elles existent ; ou comme les plus audacieux insinuaient, avec un souci feint, nous étions au commencement d’un long cycle de gouvernements de droite. Je dis feint parce que, hypercritiques avec les gouvernements du cycle à ce qu’on suppose en banqueroute in pectore [« dans la poitrine »] préféraient l’arrivée d’une droite pure et dure qui accentuerait, à ce qu’on suppose, les contradictions du système et ouvrirait magiquement la porte à qui sait quoi… parce que, d’une façon surprenante, aucun de ces critiques acerbes du cycle progressiste ne parlait d’une révolution socialiste ou communiste, ou de la nécessité d’approfondir la lutte anti-impérialiste. Par conséquent, leur argument simplement rhétorique et académique mourait dans la simple certification de la fin présumée d’une étape et rien de plus.
Cependant : tous ces discours se sont abruptement écroulés durant ces dernières semaines. En réalité, déjà ils venaient en piqué depuis le triomphe inespéré de López Obrador au Mexique et son intégration tardive dans le « cycle progressiste ». Sa victoire démontrait que bien que blessé sérieusement celui-ci n’était pas mort. La débâcle du macrisme et son échec presque certain lors des présidentielles d’octobre de cette année et la récente révélation des arguties immorales et illégales forgées entre le juge corrompu Sergio Moro et les procureurs du pouvoir judiciaire brésilien pour envoyer en prison Lula assène un coup dur aux deux piliers sur lesquels reposait le début du supposé cycle « post-progressiste ».
En Argentine, les macristes s’attendent au pire, en sachant que seul un miracle les sauverait d’un échec. Et Bolsonaro est au bord de l’abîme à cause de la crise économique du Brésil et pour avoir désigné comme super-ministre de la justice un avocat sans scrupule qui donne un démenti sonore à sa prétention d’offrir un gouvernement transparent, propre, inspiré des principes moraux les plus élevés du christianisme que lui ont inculqué les pasteurs de l’église évangélique quand – de manière dédiée et opportuniste – ils l’ont rebaptisé au bord du Jourdain comme Jair « Mesías » Bolsonaro.
Les fuites des chats via WhatsApp et des conversations entre Moro et les procureurs révélées par The Intercept, des multiples plaintes pour corruption contre lui et ses enfants, révèlent que ce saint homme appelé à laver de ses péchés la politique brésilienne n’est pas autre chose que le chef d’une bande des délinquants, un imposteur, un charlatant de foire, un énergumène dont les jours dans le Palais du Planalto semblent être comptés. Et maintenir Lula en prison sera chaque jour plus difficile compte tenue de la farce juridique perpétrée à son encontre et maintenant exhibée en pleine lumière du jour. Et un Lula libre est un danger de plus grande marque pour l’actuel gouvernement du Brésil.
Le précédent ne doit pas être interprété comme une affirmation que le cycle commencé avec le triomphe de Chávez aux présidentielles de décembre 1998 au Venezuela poursuit sa marche imperturbable. Il a beaucoup souffert ces derniers temps de par l’œuvre de destruction réalisée par Macri, Piñera, Duque, Bolsonaro et la vraie « armada de Brancaleone » que Trump et son prédécesseur ont installée en Amérique Latine.
Mais la réalité est obstinée et un faux pas n’est pas un échec, comme non plus ne l’est un recul ponctuel. La longue marche pour l’émancipation de nos peuples, qui n’a jamais été linéaire et invariablement ascendante, suit son cours et finira par déloger ces gouvernements collabos, réactionnaires et cipayes qui écrasent aujourd’hui l’Amérique Latine. Et voilà qu’il ne faudra pas beaucoup attendre pour le voir.
Traduit de l’espagnol par Estelle et Carlos Debiasi pour El Correo de la Diaspora
Source : Pagina 12