Éditorial / Castillo sur la brèche
Le président péruvien Pedro Castillo est toujours sur la corde raide. Outre les attaques constantes de la droite, l’ancien enseignant et dirigeant syndical fait également face à une réalité sociale complexe.
Le pays andin subit l’impact du conflit en Ukraine avec l’augmentation du prix des carburants et des engrais et les conséquences ne se sont pas faites attendre.
Les routiers ont convoqué une grève nationale qui dure depuis la fin mars pour protester contre la hausse des prix du carburant. Les protestations se sont atténuées lorsque le président a annoncé l’exonération de l’Impôt Sélectif sur la Consommation de carburants à indice d’octanes 84 et 90 et le pétrole, mesure qui a eu pour effet une baisse immédiate des prix.
Cependant, quelques jours plus tard, les manifestants ont repris leurs revendications et bloqué les routes dans diverses régions du pays. A la suite de quoi, la plupart des syndicats de transporteurs ont pris leurs distances par rapport à ces actions, les jugeant violentes.
Néanmoins, ces manifestations ont fait au moins quatre morts à Huancayo. À cet égard, le ministre de la Défense, José Luis Gavidia, a déclaré que les décès n’étaient pas dus à l’action de la police mais qu’ils étaient la conséquence des blocages eux-mêmes.
L’instabilité ayant également atteint les villes, le président Pedro Castillo a réagi à la hâte et décrété un ensemble de mesures répressives à Lima et Callao notamment un couvre-feu et une suspension des droits.
Suite à cela, les partis sociaux-démocrates qui dirigent le Congrès et dont les abstentions constituent le soutien institutionnel du gouvernement, se sont alignés contre le président. Les mesures ont également suscité un rejet généralisé, avec des manifestations dans les rues obligeant le gouvernement à faire marche arrière immédiatement et à annuler ces mesures.
Ce revers a réussi à réduire les tensions dans les régions concernées. Mais les quartiers hauts et moyens de Lima ont profité de cette vague pour organiser des “casserolades” et appeler à des mobilisations, où il y a eu des affrontements avec la police, des incendies de postes de garde, des pillages et des attaques contre des biens publics.
Dans le même temps, le Congrès péruvien a approuvé un document non contraignant qui exhorte le président à démissionner de ses fonctions. De même, la troisième vice-présidente du Congrès péruvien, Patricia Chirinos, a déposé une nouvelle plainte constitutionnelle contre Castillo pour avoir prétendument violé la Constitution en décrétant un couvre-feu. La majorité de l’opposition demande la destitution et l’inhabilité de Castillo à exercer des fonctions publiques pendant 10 ans.
Dans ce contexte, il y a également eu des manifestations en faveur du gouvernement. Le président, qui a pris ses fonctions le 28 juillet, a appelé à respecter le vote du peuple, lequel à son tour, a-t-il dit, appelle au “respect de la démocratie et au maintien de la gouvernabilité”.
Castillo a critiqué ce qu’il qualifie d’affrontements et de confrontations inutiles qui l’ont empêché d’avancer dans la résolution des principaux problèmes qui affligent le pays. “Nous avons perdu des mois entre motions de vacance, fermeture du Congrès, interpellations, censures”, a-t-il affirmé, rappelant que son gouvernement proposait dès le début de mettre “l’agenda du pays” au-dessus de tout et d’écouter la demande populaire.
Face au scénario d’instabilité, le président péruvien a décidé de passer à l’offensive et de dépoussiérer l’une de ses principales promesses de campagne : tenir une Assemblée Constituante pour réécrire la Constitution du pays.
Dans un projet envoyé pour être discuté au Congrès, Castillo voudrait que ce soit les électeurs péruviens qui décident lors du prochain rendez-vous électoral, les élections régionales et municipales d’octobre, s’ils approuvent la formation d’une Assemblée Constituante.
Les chefs de l’opposition et les grands médias ont immédiatement réagi en déclarant qu’une nouvelle Constitution “n’est pas une priorité”.
Cependant, ce n’est pas un hasard si cela a été l’un des principaux étendards de la campagne présidentielle de Castillo. L’instabilité constante du pays a généré un rejet généralisé de la part des leaderships actuels, et une nouvelle Constitution pourrait permettre la création d’une nouvelle architecture politique avec une plus grande participation depuis le bas de l’échelle.
Pour Castillo, ce pourrait être un tournant dans sa présidence. Les 10 premiers mois de son mandat ont été marqués par des renonciations constantes et des concessions à ses ennemis, en abandonnant des priorités telle que la renégociation avec les multinationales et en changeant constamment de cabinet.
La leçon que l’on pourrait tirer des 20 dernières années sur le continent, et bien au-delà, est qu’aucun compromis n’apaisera la haine de classe des élites. Les projets politiques, s’ils se veulent véritablement transformateurs, devront à un moment donné imposer leurs principes. Dans le cas contraire, ils perdront leur base de soutien et disparaîtront d’une manière ou d’une autre. La balle est dans le camp de Pedro Castillo.
Brèves
Colombie / Petro promet de ne pas exproprier
Le candidat à la présidence de la Colombie pour le Pacte Historique, Gustavo Petro, s’est engagé à ne procéder à aucune expropriation s’il remporte l’élection.
“Je n’exproprierai pas les richesses ni les biens de leurs propriétaires”, a déclaré Petro, en même temps qu’il a dénoncé une “campagne de peur” menée à son encontre.
La droite a tenté de discréditer Petro du fait de son passé d’ancien guérillero et de le lier au Venezuela, tout comme elle a alerté contre les risques d’expropriations que ferait courir l’arrivée de Gustavo Petro à la présidence.
Le premier tour des élections est prévu le 29 mai et le second tour, si nécessaire, se tiendra le 19 juin. Les sondages donnent Petro grand favori.
Argentine / Fernández veut rétablir les relations avec le Venezuela
Le président argentin et actuel président pro tempore de la Communauté des États d’Amérique Latine et des Caraïbes, (CELAC), Alberto Fernández, veut rétablir pleinement les liens diplomatiques avec le Venezuela.
Dans la foulée, Fernández a appelé “tous les pays” d’Amérique Latine à revoir et à repenser leurs relations avec le Venezuela, notamment parce qu’il estime que cette nation des Caraïbes a réussi à surmonter “nombre” de ses problèmes, main dans la main avec des institutions internationales.
Ainsi, le président argentin a-t-il estimé qu’est venu le “moment d’aider” les Vénézuéliens à retrouver pleinement, par le dialogue, leur “fonctionnement normal”.
Équateur / Asile politique pour Rafael Correa
L’ancien président équatorien Rafael Correa a obtenu l’asile politique en Belgique, mesure qui annulera la demande d’extradition émise par la justice équatorienne.
Correa, président de l’Equateur de 2007 à 2017, a souligné à plusieurs reprises que le dossier judiciaire le concernant n’est rien d’autre qu’une persécution politique menée contre lui par la droite équatorienne actuellement au pouvoir. Différents analystes et intellectuels ont clairement défini cette affaire comme un exemple de “lawfare” contre des dirigeants progressistes.
Andrés Arauz, le candidat soutenu par Correa, a perdu la dernière élection présidentielle remportée par le banquier Guillermo Lasso avec une très faible majorité.
Brésil / Avance en baisse de Lula dans les sondages
La dernière étude de l’institut de sondages FSB Pesquisa révèle une différence de 9 points, (41% à 32%), entre le candidat de gauche “Lula” da Silva et l’actuel président Jair Bolsonaro, pour le premier tour des élections présidentielles.
Dans l’enquête précédente, la différence était de 14 points. Cependant, en cas d’un éventuel deuxième tour, l’avantage de Lula reste solidement estimée à 15 %.
Bolsonaro s’efforce de combler son retard dans la campagne alors qu’il enregistre de forts taux de rejet à cause de la façon dont il a géré l’économie, les questions environnementales et la pandémie de la Covid 19.
Venezuela / Nouvelle Cour Suprême
Le 26 avril, l’Assemblée Nationale du Venezuela a nommé de nouveaux magistrats à la Cour Suprême de Justice [T.S.J. Tribunal Suprême de Justice, en espagnol].
Suite à une réforme qui a réduit le nombre de juges de la plus haute cour de 32 à 20, l’assemblée législative a nommé une commission chargée d’étudier les candidatures. Cette commission est composée de députés et de représentants de la société civile. Les nominations ont été approuvées à la majorité; il en résulte que 12 juges de l’ancienne Cour suprême de Justice sont réélus.
Diosdado Cabello, député du Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV), a déclaré, au cours de la session parlementaire, que d’autres réformes du système judiciaire suivront dans les prochains mois.
Interview
Mexique / Ana Esther Ceceña: “Il faut lire l’abstentionnisme avec beaucoup d’attention”
Le Mexique a récemment organisé un référendum révocatoire qui a donné une large victoire au président Andrés Manuel López Obrador (AMLO), mais avec un taux de participation très faible. Pour mettre cet événement en perspective, ainsi que pour faire le bilan du gouvernement d’AMLO, nous nous sommes entretenus avec Ana Esther Ceceña, économiste, professeur à l’UNAM et coordinatrice de l’Observatoire latino-américain de géopolitique.
Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a obtenu une majorité écrasante lors d’un référendum révocatoire. Cependant, l’opposition avait appelé à ne pas voter. Comment comprendre cet épisode ?
Une grande partie de la population mexicaine pense que ce référendum révocatoire n’avait aucun sens. C’est le président lui-même qui l’avait convoqué, ceci, plus dans le but d’une ratification que d’une révocation. L’opposition ou les groupes qui, à un moment donné, auraient pu être les forces de cette révocation, ont, en réalité, appelé à ne pas participer parce qu’ils estimaient ne pas avoir assez de force pour gagner. De plus, la révocation du président n’avait pas de sens politique.
L’opposition a donc fait le choix de l’absence et de nombreuses personnes n’ont pas voté, non pas parce qu’elles étaient d’accord avec l’opposition, mais parce qu’elles ne trouvaient aucune raison pour aller voter. Il était évident que le résultat allait être ce qu’il a été, c’est-à-dire, que les seules personnes qui allaient se mobiliser de manière importante étaient celles du parti MORENA, qui est le parti du président.
Il ne faudrait donc pas lire les faits si facilement. Cela ne signifie pas que l’écrasante majorité soutient le président, mais que la majorité des gens ne sont pas allés à la consultation. Cet abstentionnisme doit être lu très attentivement, car c’est un signe non seulement de ceux que le président appelle ses adversaires, tels que les représentants des entreprises du secteur de l’énergie, mais aussi du peuple mexicain qui n’est pas d’accord avec certains des projets qui sont mis en oeuvre ni avec l’extrême militarisation du pays.
La réforme énergétique s’est trouvée au centre du débat politique et médiatique ces dernières semaines. Quels changements AMLO cherche-t-il à mettre en œuvre et qui s’y oppose ?
La réforme énergétique présentée par le président a été très discutée, très controversée. De manière générale, il s’agissait de rétablir le contrôle de l’État sur l’activité énergétique, surtout à une époque où il est déjà acquis que nous disposons de réserves de lithium en quantité plus ou moins importante. Cela faisait donc partie de la dispute.
La réforme a déjà été rejetée au Congrès au motif qu’elle insiste sur les énergies fossiles face à des énergies qui pourraient être moins nocives, plus propres, qui ne sont pas forcément celles qui sont déjà installées dans le pays par de grandes multinationales telle qu’Iberdrola.
Mais il semble plutôt que la discussion sur la réforme de l’énergie ait été gagnée par le grand capital, qui souhaite s’assurer que les richesses du Mexique en termes de potentiel hydroélectrique, de pétrole et de gaz, et maintenant de lithium, resteront sous le régime précédent, c’est-à-dire un régime qui les plaçait directement sur le marché, et permettait également l’investissement de capitaux nationaux et étrangers.
Le Mexique est resté fidèle à sa tradition de politique étrangère non interventionniste. Mais son principal “défi” est la relation avec les États-Unis. Comment décririez-vous la relation du gouvernement AMLO avec son voisin du nord ?
Le Mexique a traditionnellement eu des relations très difficiles avec les États-Unis, car il s’agit d’un géant qui fait pression sur le pays en ce qui concerne ses choix politiques, la disponibilité des ressources et son territoire, avec de nombreux mécanismes visant à soumettre le Mexique.
AMLO a essayé d’élargir un peu la marge de manœuvre par rapport aux États-Unis, mais il a également accepté de nombreuses conditions imposées par les États-Unis, comme le contrôle des migrants. Ils sont arrêtés dans le sud du pays et les ressources que le Mexique a dépensées pour cela sont énormes avec la militarisation de cette zone du sud-est pour contenir les caravanes.
Il y a des projets comme le corridor transisthmique et le train Maya qui représentent un grand intérêt pour les États-Unis, même si AMLO dit qu’il s’agit de ses grands projets, qu’il n’en sortira en aucune façon; il leur a consacré la majeure partie du budget et les a, eux aussi, militarisés; les militaires sont désormais les garants de leur mise en œuvre malgré le rejet des communautés.
Veines ouvertes / Le leader mapuche Lautaro
La colonisation espagnole de l’Amérique latine se heurta à une résistance farouche des peuples indigènes, dont celle du peuple Mapuche au Chili.
Lautaro fut l’une des figures légendaires de la résistance mapuche. Né vers 1534, il fut capturé à l’âge de 11 ans et devint alors un indien au service des espagnols. Il passa au service du conquistador Pedro de Valdivia, mais il s’enfuit en 1550 pour organiser la lutte des indigènes.
Il mena plusieurs batailles victorieuses contre les envahisseurs espagnols, notamment lors de la guerre historique d’Arauco. Il mourut au combat en 1557 et devint un symbole de la lutte anticoloniale.
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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.
Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.
Source : Investig’Action