Ventes d’armes : le silence et la honte

Alors que le Parc des expositions de Paris-Nord accueillera la semaine prochaine le Mondial de la Défense et de la Sécurité terrestres et aéroterrestres, coup d’oeil sur le marché des armes. Un marché particulièrement nébuleux qui viole tous les beaux principes affichés par nos gouvernements à l’abri du regard de la société civile. (IGA)


Dans quelques jours, se tient le salon de l’armement Eurosatory au Parc des expositions de Villepinte (Seine St Denis). Il réunira plus de 1 000 exposants venant de 60 pays. La tenue de ce supermarché international de la mort coïncide avec la publication d’un numéro spécial de la revue Alternatives Non-Violentes, « Vendre des armes et après ? ». C’est l’occasion de regarder en face la réalité de ce commerce honteux qui comporte de nombreuses zones d’ombre. A l’heure où les occidentaux fournissent quantité d’armes à la résistance ukrainienne et où la course aux armements repart de plus belle, il est temps de se pencher sur ce commerce morbide, de le dénoncer et de s’y opposer.

La France vend des armes à l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Inde, le Qatar, le Brésil et les Émirats arabes unis, des pays « qui ont une renommée douteuse en matière de violations des droits humains », explique Alice Privey, chargée de recherche pour l’association Stop Fuelling War (Cesser d’alimenter la guerre). Dans son article, on apprend que les exportations d’armes françaises ont bondi de 59 % depuis 2012. Elle rappelle les processus d’autorisation des ventes d’armes à l’étranger, tout en soulignant leur manque de transparence et l’absence de contrôle du Parlement. Officiellement, l’exportation d’armes et de matériel de guerre est prohibée en France… Pour être autorisées, ces ventes doivent passer par le filtre d’une commission appelée la CIEEMG (la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre), composée de plusieurs représentants de ministères et des services du Premier ministre. Ni le Parlement, ni la société civile n’ont accès aux informations et aux décisions de cette commission.

Elle rappelle que le Traité sur le commerce des armes (2014), adopté grâce à la mobilisation de la société civile mondiale, n’est pas appliqué en France. L’État investit des sommes faramineuses pour les programmes d’armement qui ont besoin de trouver des débouchés à l’étranger pour être rentabilisés. Tout cela se fait au détriment d’autres priorité comme la transition énergétique et les besoins sociaux et dans l’indifférence de l’opinion publique tenue à l’écart de ces décisions.

Amnesty International mène un combat depuis de longues années pour dénoncer la complicité de la France dans la vente d’armes à des pays qui violent le droit international. Aymeric Alluin, chargé de mission à Amnesty International, précise que l’opacité qui règne autour des décisions concernant les ventes d’armes de la France rend impossible de vérifier si la France respecte le Traité sur le commerce des armes (TCA). Il rappelle qu’ « un État a l’interdiction d’autoriser un transfert s’il a connaissance que les armes en question pourraient servir pour commettre des crimes de guerre ». Au mois de février, l’organisation de défense des droits de l’homme a remis une pétition de 146 000 signatures à l’Elysée : « Ventes d’armes : stop à la complicité de la France ». En novembre 2021, un rapport parlementaire issu d’une mission d’information sur le contrôle des exportations d’armement soulignait « le besoin urgent d’un véritable contrôle parlementaire des ventes d’armes françaises », reprenant ainsi une revendication ancienne de nombreuses ONG. Pour quel effet ? Aucun à ce jour.

Le numéro d’Alternatives Non-Violentes ne se contente pas de traiter des ventes d’armes de la France. Claude Serfati, membre du conseil scientifique d’Attac, élargit la focale à la question de la « mondialisation armée », autrement dit la militarisation de la planète. Les dépenses militaires mondiales sont toujours en augmentation. Elles représentent près de 2 000 milliards de dollars en 2020 selon le SIPRI (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm), « soit une augmentation de près de 80 % depuis 1995 ».

La chute de l’URSS en 1990 a accentué les rivalités économiques et a renforcé les capacités militaires des États impérialistes. L’OTAN accentue son emprise vers l’Est de l’Europe accompagnant ainsi le développement de l’économie de marché dans les pays de l’ex Union Soviétique. Claude Serfati, au terme de son analyse, estime probable « l’aggravation des antagonismes, entre le bloc transatlantique (États-Unis et Europe) et les pays d’Asie et du Pacifique ». Il estime que « la période ouverte par la guerre en Ukraine va accélérer la croissance des dépenses militaires, qui à leur tour nourriront de nouveaux conflits à la plus grande satisfaction des systèmes militaro-industriels ». Les peuples resteront les victimes de cet engrenage décidé par les États militarisés et nucléarisés.

Plus que jamais se pose la question de la reconversion des industries d’armement. François Vaillant, directeur de la revue Alternatives Non-Violentes, rappelle les efforts réalisés en France dans les années 1970 par certains syndicats et mouvements non-violents pour penser une autre politique de défense. Malgré les espoirs soulevés par l’arrivée de la gauche au pouvoir, celle-ci tournera le dos à ses engagements de campagne concernant « la moralisation des ventes d’armes ». Le commerce des armes repartira de plus belle sous la houlette de Charles Hernu et la France deviendra le troisième marchand de canons au monde. Le Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN) poursuivra seul les réflexions sur le « transarmement », période de transition permettant de passer de l’actuel système de défense militarisé à un autre système de défense, la défense populaire non-violente. Pour le MAN, à cette époque, le transarmement se conjugue avec le contrôle de l’industrie de l’armement par les travailleurs, rendant ainsi possible la reconversion de cette même industrie vers des productions socialement utiles.

Patrice Bouveret, co-fondateur de l’Observatoire des armements, fait remarquer que la reconversion de l’industrie de l’armement « pourrait être facilitée du fait qu’il s’agit d’un secteur de très haute compétence et technicité ». La reconversion n’est pas un problème technique, il doit résulter avant tout d’une « volonté politique ». Patrice Bouveret rappelle également que « la Charte de l’ONU doit rester notre boussole ». Signée en juin 1945, elle précise que la paix n’est possible qu’ « en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde ». Or, les cinq membres permanents de l’ONU, dont la France, représentent à eux seuls plus de 60 % des dépenses militaires et environ 77 % des exportations d’armes dans le monde. L’ONU est bien verrouillé par un club d’États militarisés qui dominent outrageusement la planète et font peser sur son avenir un péril mortel.

Les questions de sécurité et de défense sont des dossiers trop sérieux pour être confiés uniquement aux militaires et aux politiques. Les citoyens doivent se réapproprier ces questions trop souvent confinées dans des cercles de spécialistes. L’une des leçons de la guerre en Ukraine, souligne Etienne Godinot, « est que les sociétés civiles auront de plus en plus un rôle déterminant à jouer pour résister à l’oppression et combattre contre la guerre ». Les menaces qui pèsent sur nos « démocraties » ne sont d’ailleurs pas que militaires, elles sont d’ordre écologique, économique, alimentaire, idéologique. « Face à ces diverses menaces , souligne-t-il, augmenter le volume d’armes conventionnelles ou brandir l’arme nucléaire est totalement inopérant ». Il plaide pour une politique de désarmement qui développe une alternative à la défense armée. C’est ainsi qu’il peut préciser les fondements et les méthodes d’une défense civile non-violente, une réflexion que les mouvements non-violents ont mis de côté depuis la chute du mur de Berlin.

A la veille du salon Eurosatory, ce numéro d’Alternatives Non-Violentes tombe à pic pour rappeler que les armes ne sont pas des marchandises comme les autres. Ce ne sont pas des biens de consommation, mais des biens de destruction. Vendre des armes n’est rien d’autre qu’exporter la guerre et accroître les menaces de guerre aux quatre coins du monde. C’est alimenter, indéfiniment, les conflits régionaux avec des armes toujours plus sophistiquées au détriment des véritables besoins des peuples qui sont les premières victimes de ces exportations d’armement. Jusqu’à quand les citoyens français resteront silencieux face à ce commerce de la honte réalisé en leur nom ?

Toutes les informations pour se procurer ce numéro sur le site d’Alternatives Non-Violentes.

 

Source: Non-violence, Ecologie et Résistances

Photo: Teddy Wade, U.S. Army CC via Wikimedia Commons

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