Trois questions à Bernard Christian Rekoula sur le coup d’Etat au Gabon

“Il est étonnant que cette opération ait pu se produire sans que les autorités françaises n’en soient informées.”

Ce 30 août au matin des militaires de l’armée régulière et des membres de Garde Républicaine sont apparus à la télévision gabonaise annonçant l’annulation de l’élection présidentielle. Les résultats venaient d’être proclamés, maintenant Ali Bongo au pouvoir dans la continuité des 56 ans de la dynastie initiée par son père, emblématique de la Françafrique. Nous interrogeons Bernard Christian Rekoula avec qui nous nous étions déjà entretenus à propos de l’adoubement par Macron de Ali Bongo et des agissements de Perenco. A l’approche des élections et des multiples agissements du pouvoir, il a été agressé par des gendarmes gabonais la semaine passée devant l’ambassade du Gabon dans le 16ème arrondissement à Paris. Il nous raconte avoir découvert qu’il y avait une liste de personnes autorisées à voter (celles votant pour Bongo) et toutes les autres interdites de vote en France pour ces élections.

 

Quelle est votre interprétation de la situation, ce coup d’État qui met de côté Ali Bongo?

Mon interprétation est que le nouveau pouvoir a permis pour la première fois en plus de 50 ans de faire en sorte que les Bongo ne soient plus à la tête du pays. Pour une fois, les Gabonais peuvent se sentir libérés de la dictature des Bongo, libérés du joug, de la tyrannie. Mais au-delà de l’euphorie, lorsque l’on réfléchit à tête reposée, la situation est confuse.

Au-delà de ce qui est dit et fait, on se pose la question comment l’armée a pu être unanime dans ce coup de force. Quand on sait qu’elle est formée par des instructeurs français, que les moyens de communication de l’armée gabonaise passent automatiquement par des moyens de communication français, il est étonnant que ça ait pu se produire sans que les autorités françaises n’en soient informées. Vu la manière dont c’est organisé, ça signifie que ça a été muri de longue date. Le Gabon ayant un service d’écoute assez performant et aux mains en partie des services de renseignement français, je suis assez perplexe quant au fait que la France n’ait pas été au courant de ce qui se tramait. Surtout quand je vois la réaction timide de la France et d’autres partenaires occidentaux, même si elle a réagi, ce n’est pas avec la même vigueur que pour le Niger ou pour d’autres.

Le communiqué des Etats-Unis, ils disent observer la situation avec inquiétude, en langage diplomatique ça veut dire que les choses ont été actées.

Au delà de la joie, la surprise, l’euphorie, je reste perplexe et dubitatif. Surtout quand je vois les premières déclarations où monsieur Oligui s’est autoproclamé président d’une transition. Alors que jusque là la société civile et les politiques sont totalement écartés. Le président Albert Ondo Ossa n’a pu faire aucune déclaration. (1)

En temps normal, si monsieur Oligui prétend faire ce coup de force à cause de la situation du pays, la logique voudrait qu’il remette le pouvoir à Albert Ondo Ossa et que tous travaillent la main dans la main.

Lorsque l’on parle de transition les militaires ne sont pas en principe habilités à poursuivre une transition. C’est normalement une affaire de civils. Qu’est-ce qui justifierait que des militaires puissent prétendre relever l’économie d’un pays? D’autant plus que monsieur Oligui jusqu’il n’y a pas longtemps c’était le bras armé du système Bongo. Une grande partie des officiers sont des irréductibles du cercle Bongo et sa famille.

 

Quel est le rôle des États impérialistes compte tenu des différents intérêts économiques? Peut-être que ça ne les dérangeaient pas de laisser partir Bongo vu la fatigue de la population.

Antoine Glaser sur France 24 disait que les amis de Bongo c’est les Etats-Unis, le Maroc, il affirmait : “la France et ses 350 militaires ce n’est pas grand-chose”, précisant également que le principal intérêt c’est le manganèse. Qu’en pensez-vous ?

Stratégiquement, le Gabon est un pays extrêmement important pour la France de Macron. Il ne peut rien se passer sans que les politiques français soient informés. Si il y a un pays où les renseignements français sont extrêmement bien implantés par leur représentation militaire, tous les postes clés de l’armée, c’est bien le Gabon.

Quand on regarde les gisements gaziers découverts récemment, dont les accords font que d’ici début 2024 Perenco exportera ce gaz en France. Avec le contexte actuel où la Russie met des bâtons dans les roues de la France, il est impossible pour l’État français de risquer de perdre le contrôle sur le Gabon. D’où la réaction timide de la France, qui condamne ce qu’il s’est passé dans un sens protocolaire mais ne pousse pas le bouchon plus loin comme elle l’a fait pour le Niger en incitant les différentes organisations politiques et militaires de la sous région a organiser un blocus sur le pays, à faire en sorte que les putschistes soient totalement isolés. Ce n’est pas possible que la France soit étrangère à ce qui se passe. Je pense plutôt que ça a été fait avec l’aval de la France. Si elle n’est pas totalement derrière, elle a laissé faire sachant qu’elle avait de très bons contacts avec les nouveaux hommes forts du pays.

Un des points qui nous laisse croire que la France a laissé son aval, elle savait que si Ali Bongo faisait un passage en force, le pays allait être fortement déstabilisé. Et si le Gabon était déstabilisé, pire en guerre civile, les intérêts français auraient été perturbés. Les exportations de pétrole ne pouvaient pas se dérouler, ainsi que les exportations de manganèse. Je précise aussi que cette année il est prévu que le Gabon exploite ses terres rares. N’oublions pas que le Gabon a toujours des réserves importantes d’uranium qui appartiennent toujours à Orano (anciennement Areva). Le Gabon, contrairement à certains pays d’Afrique de l’Ouest, n’est pas une terre de zone d’influence mais plutôt un pays de ressources économiques.

On voit le traitement d’Ali Bongo, il est bien traité. Le tenant du pouvoir est le propre cousin de Ali Bongo. Je pense que nous sommes dans un changement dans la continuité.

Pour moi le principal intérêt de la France ce n’est pas que le manganèse. Au Gabon les intérêts français ne se limitent pas aux ressources, il y a aussi l’intérêt militaire. Le Gabon héberge l’une des plus grandes bases militaires françaises d’Afrique. Au niveau des entreprises installées au Gabon, il n’y a pas seulement le pétrole, la plupart des grosses entreprises de BTP sont françaises, il y a Bouygues et plusieurs de ses filiales, plein d’autres gros noms du bâtiment français. Il y a la famille Castel, mais aussi les entreprises laitières, de blé, de farine,…Lorsque l’on parle des intérêts français on parle le plus souvent des mines mais il y a toutes les autres entreprises dans tous les secteurs. Il y a Casino, Kiabi, des entreprises corses qui ont le monopole du secteur aérien au Gabon.

 

Comment s’organiser, compte tenu des difficultés pour l’opposition après tant d’années de parti unique et répression de toutes les voix résistantes?

Ça arrange aussi d’une certaine manière la classe politique gabonaise. Parce qu’elle a été contrainte de s’unir, d’organiser des unions contre nature.

Le peuple gabonais a posé des conditions qui étaient l’union de l’ensemble des acteurs politiques. Ils ont du mettre leur orgueil de côté et s’unir. Certains ont appelé positivement ce coup de force, parce que simplement ça remet les compteurs à zéro, si les putschistes jouent le jeu et permettent de véritables élections démocratiques.

 

Source : https://www.investigaction.net/fr/trois-questions-a-bernard-christian-rekoula-sur-le-coup-detat-au-gabon/

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