Théo et Naithy ou l’ardeur d’avance négrophobe des médias belges

En Hexagone, l’affaire du viol policier perpétré contre Théo est devenue, en 4 jours, un dossier politico-médiatique national, emblématique de la négrophobie et des violences policières systémiques. En Belgique, l’agression au couteau de Naithy Nelson par un chauffeur de bus de la société De Lijn a donné lieu à… une indifférence médiatique quasi-totale, aussi ahurissante que méprisante, emblématique de la féroce négrophobie structurelle belge.

 
Le 3 février, suite à la révélation et au traitement pro de l’affaire par La Dernière Heure (1), il n’y eût aucune reprise de la part des autres médias belges ! Rien le lendemain et surlendemains dans les autres titres de presse quotidienne. Rien dans les hebdos d’informations générales. Rien dans les débats télés du dimanche (en Belgique, il n’ y a pas d’autre jour accordé aux débats sociopolitiques comme il n’existe aucune chaîne d’infos en continu). Et bien entendu : rien de rien émanant du microcosme politicien qui, pour la plupart, est toujours incapable de donner une définition au terme négrophobie…
 
 
 
Le Soir, La Capitale, La Libre Belgique, L’avenir, RTBF, RTL-TVi, Le Vif-l’Express ou Paris Match Belgique auraient-ils eu tous raison contre la seule Dernière Heure ? Aucun de ces médias n’a-t-il jamais traité et médiatisé des agressions contre des conducteurs de bus commises par de jeunes usagers ? Aucun de ces médias n’a-t-il jamais traité et médiatisé des grèves ou manifs de personnels (Stib, TEC, De Liin) suite à une « énième » agression de chauffeur ? La réponse est doublement positive. Pourquoi lorsque l’inverse se produit, en l’occurrence contre un jeune usager noir, ce n’est plus une information « digne d’intérêt public » ?
 
 
 
Que se passe-t-il ? Que devient le vieux repère des écoles de journalisme qui postule que « Si un chien mord un homme, ce n’est pas une information ; si un homme mord un chien, c’est un scoop ! » ? Cet adage aurait-il disparu à l’heure du numérique et des déclinaisons de la presse en « sites d’infos » ? Cessons là l’ironie. Même si on vit en Belgique, y a pas toujours de quoi rigoler ! Question dérangeante, nécessaire et d’intérêt public : Naithy est-il moins qu’un « chien » pour la presse belge francophone ? Cette presse, à rédactions majoritairement blanches, qui ne pourra faire valoir une incompétence isolée, un manque d’effectifs ou un autre prétexte-bidon pour « justifier » le black out sur cette information inédite. Soit une agression inhabituelle au cours de laquelle – rappelons-le puisque les médias ne le font pas -, sans un formidable réflexe de sa part, le jeune homme y aurait probablement laissé la vie…
Seconde question journalistique et toujours dérangeante : si l’irréparable était advenu, si Naithy s’était vidé de son sang entre les mains des policiers qui l’ont (évidemment) pris pour l’agresseur, une large reprise médiatique aurait-elle fait défaut ? Poser la question, c’est y répondre. Et finalement se conformer à cet autre adage traditionnel emprunté à nos «modèles » nord-américains : « Un bon nègre est un nègre mort ».
 
 

Silence, mépris et bêtise

 
Avec plus d’efficacité que d’écueils, les médias français, eux, ont fait leur boulot après les révélations du Parisien dénonçant le viol de Théo. En reprenant et relayant cette «énième» violence policière raciste qui a écoeuré sinon horrifié une partie de l’opinion française. En ouvrant le débat et en assurant un certain pluralisme, sans pour autant aborder la question centrale de la négrophobie systémique (dont la terreur et les barbaries policières constituent la partie la plus spectaculaire).
 
 
En Belgique, face à un cas semblable d’agression et sur fond de violences policières similaires, les médias se sont montrés plus incompétents et négrophobes que leurs homologues français. Silence, mépris et bêtise ont conduit à zéro sujet, zéro articles, zéro débats, zéro interpellations d’hommes ou de femmes politiques. Oui, la négrophobie médiatique belge se consolide aussi dans ce type choix buté, dans cette insistante arrogance à ne pas couvrir, à ne pas traiter, à ne jamais enquêter !
 
Dans les médias belges, une ou un « noir » doit correspondre à des catégories sinon « ça » n’existe pas. Ça doit rapporter des médailles aux JO, marquer des buts pour les Diables Rouges, exploser les ventes de disques, collectionner les prix littéraires à l’étranger ou – catégorie récente – « réparer » depuis plus de 20 ans l’intimité violée et torturée des femmes de l’Est du Congo. Ouais, ça, c’est vendeur, coco ! Et puis «ça» nous met en valeur… Mais se faire agresser au couteau par un chauffeur de bus blanc négrophobe ; puis se faire arrêter et prendre pour l’agresseur par des policiers négrophobes qui laissent filer le chauffeur au couteau ensanglanté ; puis voir sa famille se faire enfumer pendant 8 heures d’affilée dans un commissariat bruxellois qui refuse finalement d’enregistrer leur plainte… Naaan, dans ce sens-là, coco, c’est pas intéressant ; pas une « good story » ni un aimant à clics. Et puis, «ça» ne nous mettra pas en valeur : laisse tomber !
 
 
 
Quant à débattre des conséquences de cette négrophobie structurelle devant le plus grand nombre, sur un plateau-télé ou dans un studio de radio nationale ? Repassez quand le génocidaire Léopold II aura ressuscité, vous aurez peut-être une chance… Ou lorsque la presse belge aura décidé de retrouver et d’interviewer le citoyen noir photographié derrière Miss Belgique, que celle-ci avait assimilé à un étron pour plaire à un de ses amis racistes… En France, par contre, la candidate à la présidentielle Rama Yade, la journaliste et militante afroféministe Rokhaya Diallo ou l’activiste et chroniqueur Rhost ont été invités à s’exprimer en télévisions suite au viol policier de Théo. Invités à relayer une parole française et afro-descendante, critiquable comme toute intervention, mais qui a tranché avec les habituelles hypocrisies des défenseurs du statu quo négrophobe comme de la perpétuation du privilège blanc. Et chez nous ? Le vide organisé, la résignation programmée, un silence entretenu par des médias négrophobes qui contesteront se voir stigmatisés par ce qualificatif, pourtant mille fois démontré à travers leurs choix comme leur pratique journalistiques. Selon leurs dirigeants, Naithy ne rime ni avec sujet , ni avec article, ni avec débat et encore moins avec couverture de manifs de solidarité. Comme celle de ce samedi 11 février, lancée à l’initiative de plusieurs associations (dont Bamko, Bruxelles Panthères ou Change), pour dénoncer le racisme et contraindre la police à enfin enregistrer la plainte de Naithy (plus de 8 jours après les faits). Fort d’un soutien de 200 personnes déterminées, ils obtiendront gain de cause. Sans qu’un seul média traditionnel ne soit présent pour en rendre compte. Au contraire du cinéaste et réalisateur Mourad Boucif (2), de l’agence Belga et du suivi de l’affaire par 7sur7.be, pendant virtuel francophone du quotidien flamand Het Laaste Nieuws (3).

 

Invisibilisation, infériorisation, censure

 
En Belgique, parce qu’elle est souvent invisible et féroce, la négrophobie structurelle a encore de beaux jours devant elle. Stratégiquement niée par ceux qui la pratiquent, elle est aussi tolérée par ceux qui refusent de la nommer comme de la combattre. Interdite de débat médiatique pour ne pas risquer de voir des mains noires arracher son étiquette de «sous-problème identitaire dont personne n’a rien à foutre ». Parce qu’également nombre de ceux qui l’endurent croient qu’en niant sa réalité oppressive ou en multipliant courbettes serviles et sourires factices, cela aboutira à ce que leurs enfants n’endurent plus pareilles infériorisation et domination.
 
 
Illusions aussi criminelles que temporaires. C’est en nous invisibilisant d’un point de vue sociopolitique, en nous traitant moins que des chiens d’un point de vue sécuritaire, en nous censurant systématiquement en radios et en télés que les médias belges francophones jouent leur sordide partition à la continuité de la négrophobie structurelle. De plus en plus nombreux sont les Belges afro-descendant-e-s qui l’ont compris et surtout le dénoncent.
 
A l’instar de Mireille-Tsheusi Robert, présidente de l’asbl Bamko (4), qui écrivait dimanche dernier sur sa page Facebook : « Les médias belges parlent des violences raciales aux USA, en France (c’est déjà bien) mais pas grand chose sur la situation en Belgique. nous ne sommes pas représentés lors des débats télévisuels qui servent, bien souvent, à disculper les agresseurs… Pour eux, nous sommes trop revendicatifs. Alors, je demande: combien de voitures de police avons-nous déjà brûlé à cause des violences raciales ? Aucune. Au contraire, dans l’idée culturelle du “compromis à la belge”, nous cherchions les voies et moyens de trouver un terrain d’entente. Mais nous ne sommes pas entendus et au final, nous nous compromettons, malgré nous. Décrétons ensemble qu’avec ou sans les médias, 2017 est un tournant car les Afro-Belges et leurs allié-e-s ne laissent plus rien passer !»
 
Leur faudra-t-il brûler et casser pour se faire entendre ? Leur faudra-t-il se comporter comme des dockers d’Anvers en fureur (5) afin que leurs constats soient reconnus, la négociation sociopolitique enfin ouverte ? Une chose est certaine : le microcosme politique belge n’est pas connu pour ses facultés d’anticipation. Avant que les choses ne bougent dans le bon sens et de quelques centimètres, il faut souvent des morts et des blessés… Violences ou patience ? Par leur imperturbable mépris négrophobe, cela fait plusieurs années que les médias bleus-blancs-belges invitent à choisir la première partie de l’alternative.
 
 
Olivier Mukuna
 
© photo de Naithy Nelson : Nganji Laeh
 
Notes:
(4) Et auteure de l’ouvrage « Racisme anti-noirs – Entre méconnaissance et mépris », avec la collaboration de Nicolas Rousseau, éditions Couleur livres, Bruxelles, 2016.

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