Parce que la pensée unique sur ce sujet, entretenue par les grands médias, me semble bénéficier, comme à chaque fois, d’un panurgisme déconcertant, d’un effet de mode superficiel et d’un oubli irraisonné des nuances de l’histoire.
Novembre 2008 :
Plan de l’enquête :
I – Entre les sirènes de l’illusion et le murmure de la lucidité
II – Un nom qui sonne comme une exclamation et qui s’articule comme un sourire
III – Un air de revanche
IV – « Change », un mot SDF : sans destination fixe
V – Ce qu’incarne John McCain aux yeux du monde
VI – La stratégie d’Obama
VII – Marketing politique et rôle digne d’Hollywood
VIII – Barack, la baraka de l’Amérique (ou le candidat qui casse la baraque)
IX – Les fantômes d’un gouvernement d’ouverture au centre et à droite
X – Quand Philippe Val loue « la beauté de la démocratie américaine »
XI – Mister America 2008-2012
XII – Finies les promesses hivernales
XIII – Quand un candidat français et ses communicants empruntaient à Rimbaud son « changer la vie »
XIV – Simple retour à la normale de la politique américaine
XV – La vraie bonne nouvelle de cette élection est ailleurs.
Version agrémentée de mini-vidéos à:
http://www.youlountas.net/spip.php?article302
Mini-vidéo-ante-scriptum (3mn05) :
I – ENTRE LES SIRÈNES DE L’ILLUSION ET LE MURMURE DE LA LUCIDITÉ
L’être humain aspire au rêve autant qu’à la vérité. Il désire s’évader dans l’imaginaire autant que bâtir sur des fondations raisonnées. C’est pourquoi il est sans cesse tiraillé entre les sirènes de l’illusion et le murmure de la lucidité. Pour rendre le réel supportable, la conscience critique fatiguée se couche souvent dans le lit des promesses. Un lit de taille enfantine qui rappelle des souvenirs. Un lit dans lequel chacun se rassemble et se retrouve en se repliant, à l’étroit mais réconforté, bercé, apaisé. Ce lit s’appelle l’espoir.
II – UN NOM QUI SONNE COMME UNE EXCLAMATION ET QUI S’ARTICULE COMME UN SOURIRE
Durant ces premiers jours de novembre, partout à la surface du globe, l’espoir porte un même nom : Barack Obama. Sa silhouette s’étire et grandit au fur et à mesure que la majorité de l’humanité se réfugie et se blottit contre elle. Obama : un nom qui brille comme une étoile dans la nuit à la une de la presse du monde entier. Un nom qui sonne comme une exclamation et qui s’articule comme un sourire. Un nom qui se rapproche et s’amplifie comme la marche de ceux qui se sentent portés par un élan nouveau. Cet élan universel, c’est le désir de changer la mondialisation, jusqu’ici inquiétante, agressive, guerrière. Changer. Tel est le mot qui résume ce désir, cet élan, cet espoir. Changer.
III – UN AIR DE REVANCHE
Il y a une génération, durant l’irrésistible montée en puissance de l’idéologie libérale, Margaret Thatcher lançait son fameux There is no alternative qui semblait sonner le glas des points de vue divergents. L’américain Fujiyama publiait alors sa Fin de l’histoire. Les figures de l’économisme officiel le confirmaient à l’unisson et les gouvernements socialistes nouvellement élus renonçaient, les uns après les autres, à leurs programmes comme les dominos d’un jeu savamment orchestré.
IV – « CHANGE », UN MOT SDF : SANS DESTINATION FIXE
Change. Voilà le mot d’ordre aujourd’hui. Le mot qui s’échange et se répète d’un bout à l’autre de la planète mondialisée. Change. Un mot simple et court qui se comprend et se traduit aisément dans la plupart des langues. Change. Un mot vague cependant, dans lequel chacun peut placer sa propre vision de l’alternative désirable. Change. Un mot SDF : Sans Destination Fixe, que chacun peut prendre en supposant une direction plutôt qu’une autre. Change. Un mot libre d’usage que chacun peut interpréter comme il l’entend… au risque du malentendu et de la déception.
V – CE QU’INCARNE JOHN MCCAIN AUX YEUX DU MONDE
Ce mouvement d’opinion ne vient pas de nulle part. Il est l’écho de la voix qui s’est faite entendre, il y a six ans, dans le monde entier. La voix d’un consensus contre la guerre en Irak. La voix des millions de personnes qui ont manifesté un peu partout, y compris aux Etats-Unis, pour demander à Georges W. Bush et à ses faucons de ne pas partir en guerre une fois de plus, qui plus est dans un pays sans rapport avec les motifs invoqués pour le punir. Une foule incrédule devant les prétextes fallacieux et révoltée face à « la raison du plus fort ». Un mouvement de protestation mondiale qui rappelait alors celui qui s’était opposé à la guerre au Vietnam. Il aura fallu deux élections présidentielles pour que cet écho parvienne à se faire entendre suffisamment fort et clairement. Il aura fallu qu’adviennent les preuves irréfutables de l’échec et, surtout, celles du mensonge délibéré du pouvoir, sous couvert de raison d’État. Certes, le candidat républicain à cette élection n’est pas un proche du clan Bush. Mais il n’a échappé à personne que c’est un homme de guerre : un de ces pilotes de bombardiers qui ont déversé des millions de tonnes de bombes sur les populations civiles vietnamiennes, plus que tous les belligérants réunis durant la seconde guerre mondiale. John McCain incarne à l’envi l’agresseur américain, du Vietnam à l’Irak, usant de toute sa puissance pour imposer ses caprices et son hégémonie. Tout le monde sait que derrière les leçons de morale du bon père de famille et du militant pro-life – qui, sous prétexte de « droit à la vie », culpabilise les femmes voulant avorter – il y a un criminel de guerre qui a démembré des corps de tous âges, décimé d’innombrables familles, et anéanti des villages entiers. John McCain incarne précisément ce que le monde reproche le plus à l’Amérique. De plus, ce candidat refuse toute remise en question, examen et infléchissement de la dérégulation libérale. En ces temps de folie boursière et de violence économique, il est le candidat désigné d’un système qui marche sur la tête, inquiète presque tous, malmène la plupart, saccage l’environnement et accroît la misère. Son programme, c’est, encore et toujours, la guerre sous toutes ses formes. En d’autres termes, John McCain est le candidat de l’inhumanité.
VI – LA STRATÉGIE D’OBAMA
Face à lui, le candidat Obama n’a d’autre but que de se positionner en alternative, au moyen d’un slogan qui tient lieu, à lui seul, de programme. Ce faisant, il symbolise aussi par son âge et sa couleur de peau, cette jeunesse mondiale qui s’inquiète de l’héritage catastrophique que lui laisse l’actuelle gérontocratie. Une jeunesse qui, plus que ses aînés, se soucie de la planète et du Bien Commun et de son avenir. Une jeunesse qui peine à trouver un emploi et un logement au Nord et qui meurt de faim au Sud. Certes, Barack Obama présente une image et un discours différents. Mais qu’en est-il en réalité, au-delà de l’invitation au rêve, à l’espoir et, par conséquent, au vote for change ?
Mini-vidéo-entracte (0mn31) :
VII – MARKETING POLITIQUE ET RÔLE DIGNE D’HOLLYWOOD
Barack Obama est un pur produit de marketing politique. Ce qu’il donne à voir et à entendre est méticuleusement calculé comme aucune candidature politique ne l’a peut-être été dans l’histoire. L’apparence ne laisse rien au hasard. Aucun détail n’est négligé. Aucun procédé rhétorique. Aucune posture. Et surtout aucun symbole pouvant toucher la mémoire, les affects et l’inconscient du public. Tout est mis en scène. Le contenu du programme est complètement éludé par son titre emblématique et la personne charismatique qui le propose. Rien ne compte plus que l’image de l’acteur politique et le rôle qu’il interprète dans un scénario digne d’Hollywood. Un scénario qui l’oppose diamétralement à McCain, et pour cause : le film s’appelle Change, et doit convaincre que l’alternative est à portée de main.
VIII – BARACK, LA BARAKA DE L’AMÉRIQUE (OU LE CANDIDAT QUI CASSE LA BARAQUE)
Et pourtant, dans la réalité, les différences sont faibles et peu nombreuses. C’est même un numéro de trapéziste hors pair de la part de Barack Obama. Si ce n’est un numéro de magicien et, ce, avec l’aide de la plupart des médias. Et pour cause… Ce dernier point à lui seul aurait dû éveiller les soupçons de contrefaçon. Pourtant, l’obamania est générale en France comme ailleurs. Elle est rarement modérée par de sporadiques et discrètes critiques (se positionner ici en Cassandre est donc périlleux en pleine vague obamaniaque !). On ne cesse d’encenser son talent d’orateur, sa silhouette gaullienne, sa supposée indépendance, son sourire permanent, son charme ténébreux. Sa couleur est idéale : il est noir mais pas trop au goût de certains ! Gendre poli et propre sur lui, politicien différent puisqu’il le dit, vendeur d’un programme invisible mais vendeur sympathique et rassurant qu’on croit sur parole… et, surtout, incarnation « irréfutable » du fameux changement au moyen d’une flopée de symboles. En d’autres termes : c’est l’homme providentiel, peoplisé comme il se doit sur toute la surface du globe, à part peut-être le Kansas, le Texas et l’Arizona, mais partout ailleurs reconnu en sauveur du monde. Barack, la baraka de l’Amérique ! Barack, le candidat qui casse la baraque ! Qu’importe si les obamaniaques deviendront obamaniaco-dépressifs puis obamécontents d’avoir été obamanipulés. Car on peut d’ores-et-déjà prévoir que l’enthousiasme actuel retombera à la fin de l’été 2009 et que la morosité reviendra comme l’hiver.
IX – LES FANTÔMES D’UN GOUVERNEMENT D’OUVERTURE AU CENTRE ET A DROITE
Prenons deux exemples clés, tout d’abord : celui de la politique économique puis celui de la politique militaire. Qui Barack Obama a-t-il publiquement envisagé pour assurer les fonctions de Secrétaire au Trésor (ministre de l’économie) et de Secrétaire à la Défense (ministre de la guerre) ? Pour ce qui est du Trésor, il a pensé au même Secrétaire que McCain ! Ils ont l’un comme l’autre convenu de proposer ce poste clé à l’homme le plus riche du monde : le milliardaire américain Warren Buffet [1], l’un des principaux actionnaires de la Coca-Cola Compagny et grand ami de Bill Gates. Obama rappellerait aussi le groupe poussiéreux d’économistes libéraux de l’ère Clinton. Bref, rien de bien nouveau dans le pays du billet vert. Au point, que les marchés financiers ne s’inquiètent certainement pas de la campagne des Présidentielles ni de son résultat ! Les programmes ? Ce sont les mêmes ou, pour mieux dire, il n’y a pas de programme : Obama a même convenu d’une différence minuscule voire négligeable sur le plan économique avec son adversaire et précisé qu’il souhaitait gouverner « au centre » sur ce plan-là, c’est-à-dire ni à droite ni à gauche [2].
Pour ce qui est du Secrétaire à la Défense, les conseillers d’Obama lui ont carrément conseillé de garder l’actuel chef du Pentagone : le belliqueux Robert Gates [3], nommé par Georges W Bush en décembre 2006 en remplacement de Donald Rumsfeld. D’après les dits conseillers, Gates serait utile pour « contrôler » les velléités russes. Et il permettrait à Obama de prouver l’amplitude de l’ouverture annoncée dans son gouvernement. En effet, Obama a promis de rassembler des démocrates et des républicains, en essayant de les faire cohabiter du mieux possible aux destinées des Etats-Unis. Est-ce cela, le changement ? Et Joe Biden, sénateur depuis 1972 et Président de la sinistre commission des Affaires Étrangères : est-ce le Vice Président du changement ? De plus, en Robert Gates, on reconnaît le mélange de genres propre à la plupart des hommes politiques américains de l’école de Chicago : membre du conseil d’administration de grandes entreprises, de sociétés d’investissements internationales, parmi lesquelles des lobbies, et même de VoteHere, producteur controversé de machines à voter électroniques ! Même s’il est possible, voire probable que ni Buffet ni Gates ne seront finalement Secrétaires d’État, ces effets d’annonces devraient nous inciter à un minimum de méfiance.
X – QUAND PHILIPPE VAL LOUE « LA BEAUTE DE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE »
D’aucuns trouvent que la façon dont s’est déroulée la campagne est le signe de la bonne santé de la démocratie américaine. Même Philippe Val est allé jusqu’à louer « la beauté de la démocratie américaine » (dans Le Grand Journal de Canal +, le 31 octobre 2008) et d’autres la « démocratie participative » en faisant un parallèle Obama-Royal. La démocratie participative consisterait-elle à accumuler les amis sur facebook (un million pour Obama) et les inscrits sur son site (un million également) ? En terme de « participation », s’agit-il uniquement de faire voter Obama en harcelant de coups de fil son entourage et de malheureux inconnus sélectionnés au hasard dans le bottin ? À moins qu’il ne s’agisse de récolter des fonds pour la campagne électorale la plus chère de l’Histoire ? Est-ce vraiment ça la démocratie participative ? Je n’ose imaginer ce que serait la démocratie directe (chacun choisit et apporte lui-même son pique-nique à la convention démocrate ?). Les 650 millions de dollars dépensés dans cette campagne démocrate sont-ils également le signe de « bonne santé de la démocratie américaine » voire de sa fameuse « beauté » ?
Deux mini-vidéos-entracte (0mn39 et 1mn26) :
XI – MISTER AMERICA 2008-2012
Plus que jamais, la politique est un produit publicitaire [4]. Plus que jamais, les communicants pèsent dans les coulisses pour en tirer les ficelles. Plus que jamais le marketing promotionnel ne lésine pas sur les moyens pour arriver à ses fins, c’est-à-dire remporter le marché (l’élection et, par conséquent, les bonnes places qui en découlent). Plus que jamais, la politique se confine à la marchandise. L’élection américaine n’est qu’un concours de personnalités dont l’une est has been et l’autre tendy. Sauf qu’il ne s’agit pas de Miss América 2008, mais de Mister América 2008-2012 !
Certes, me dira-t-on, Obama a proposé une forme de Couverture Maladie Universelle dans un discours s’adressant aux 60% d’afro-américains qui composent la frange de la population la plus démunie. Mais en a-t-il reparlé depuis le printemps ? Non. Pourquoi ? Pour la même raison que Bill Clinton en son temps (qui n’est jamais allé jusqu’au bout de son projet initial).
XII – FINIES LES PROMESSES HIVERNALES
Autre promesse : fermer Guantanamo. Très bien ! Mais que sont devenues les promesses de paix et de retrait des troupes en Irak ? Le « retrait rapide » est devenu « retrait en 16 mois » puis « pas de retrait sans consultation des chefs de l’Armée et du gouvernement irakien ». Sur la question afghane, Obama n’a pas envisagé de retrait, mais s’est engagé, au contraire, à y envoyer plus de troupes, notamment pour entrer si nécessaire dans la zone frontalière du Pakistan, même sans l’accord de ce dernier [5]. Finies les promesses hivernales de rencontrer les chefs d’États de « l’axe du mal », comme l’Iranien Ahmanidejad « pour essayer de mieux se comprendre » : plus de négociations sans pré-conditions [6]. De même, sur le plan économique, Obama est, depuis quelques mois, beaucoup moins critique envers les accords de libre-échange. Certes, il parle d’une politique de grands travaux qui fait songer au New Deal [7], mais il promet simultanément une importante baisse des impôts ! De même qu’il se dit favorable aux énergies renouvelables tout en promettant aux industriels américains une augmentation du parc nucléaire, emboîtant le pas à McCain sur ce sujet. Interrogé sur une éventuelle abolition constitutionnelle de la peine de mort, Obama s’est déclaré hostile à la disparition de cette peine absolue et irréversible, la considérant « nécessaire pour punir certains crimes odieux » [8]. Certes, il n’est pas membre de la National Rifle Association, mais il se tait sur le second amendement qui autorise la possession d’armes, ainsi que sur l’influence des grands lobbies sur la campagne électorale et sur la politique américaine (industries automobiles, d’armements et pharmaceutiques, lobbies pétroliers, financiers, militaires, religieux…). Il est qualifié de « laïque » dans la presse française, mais il est favorable au serment du nouveau Président sur la Bible et à tous les aspects religieux du fonctionnement des chambres. Dans son discours du 18 août à Saddleback, entre deux réflexions de politique générale sur l’avenir du pays et du monde, il a précisé : « Je crois que Jésus est mort pour mes pêchés et que je connais la rédemption à travers lui » [9]. Le 2 juillet 2008, Barack Obama s’est déclaré finalement favorable aux lois antiterroristes [10] et en particulier aux écoutes des citoyens, à la surprise de son auditoire, au sein duquel Michael Moore s’est peut-être demandé s’il ne s’était pas trompé d’adresse !
En fait, ce qui permet à Barack Obama de se faire passer pour très différent de John McCain, c’est tout simplement l’absence d’autres candidats vraiment différents dans le champ médiatique. Le poids du bipartisme à l’américaine fait quasiment passer à la trappe des candidats chevronnés comme l’écologiste Ralph Nader [11] sauf quand il s’agit de les critiquer. Ainsi, Nader a-t-il été accusé par les démocrates d’avoir fait perdre Al Gore en 2000, à cause des quelques voix manquantes en Floride [12]. De plus, l’immense budget des deux campagnes principales a aussi pour but d’écraser toutes les autres à grands coups de bombardements publicitaires.
XIII – QUAND UN CANDIDAT FRANÇAIS ET SES COMMUNICANTS EMPRUNTAIENT À RIMBAUD SON « CHANGER LA VIE »
Alors, est-ce à dire qu’il ne faut pas se réjouir de la victoire de Barack Obama ? Non, bien sûr, mais sans s’illusionner. Se réjouir d’un rajeunissement de la représentation politique, mais sans oublier que l’exemple Français actuel ne garantit rien de bon. Se réjouir de la reconnaissance d’une catégorie de population oppressée dans l’histoire et encore sous représentée (femmes, personnes de couleur, membre de minorités sexuelles…), mais sans oublier que Margaret Thatcher est une femme, que Colin Powel est noir, et Condolezza Rice les deux ! Se réjouir sans s’illusionner, c’est se prémunir d’une déception similaire à celle des années 1981-1983 en France. Quand François Mitterrand, décrit comme une « force tranquille » par ses communicants, promettait de « changer la vie ». Après avoir été usée jusqu’à la corde durant les années 70, la devise empruntée à Rimbaud allait tomber lettre morte dans le tiroir doré d’un ministère cossu, après un détour par le Panthéon en mai 1981.
XIV – SIMPLE RETOUR À LA NORMALE DE LA POLITIQUE AMÉRICAINE
Obama a choisit le 28 août 2008, 45ème anniversaire du discours J’ai fait un rêve de Martin Luther King, pour être officiellement investi par le parti démocrate à Denver. De même qu’il s’est entouré des survivants de la famille Kennedy. Deux grands symboles. Mais cela fait-il de lui l’homme providentiel du rêve de MLK et l’héritier de JFK ? N’a-t-il pas également rassemblé parmi les géants de la finance, les magnats des médias et même les célébrités militaires ! Par l’implication de ses sympathisants dans l’immense levée de fonds, sa campagne a été qualifiée de populaire. Mais n’y avait pas aussi dans le total une bonne moitié des millions de dollars gracieusement donnée par d’augustes hommes d’affaires qui souhaitent simplement un retour à la normale de la politique américaine ? Et que reste-t-il d’ailleurs du mot populaire quand on sait l’usage qui en est fait en France, par le mouvement du Président élu, dont l’une des premières décisions au pouvoir fut d’offrir un paquet fiscal en remerciement aux grandes richesses qui ont soutenu financièrement et médiatiquement sa fulgurante ascension ? Nicolas Sarkozy n’était-il pas d’ailleurs, aux yeux de beaucoup, un homme politique également jeune et ambitieux, issu de l’immigration, opportuniste et persévérant, promettant qu’ensemble tout serait possible, prêt à toutes les acrobaties dialectiques pour tirer son épingle du jeu au point de surprendre, parfois, jusqu’à son propre camp ? N’y a-t-il pas là suffisamment de signaux d’alerte et d’avertissements de l’histoire pour être un peu plus mesurés dans le regard que nous portons aux événements outre-Atlantique ?
XV – LA VRAIE BONNE NOUVELLE DE CETTE ÉLECTION EST AILLEURS
Le monde n’a pas seulement besoin de rêver, mais de changer, enfin, vraiment, profondément. Certes, le rêve précède parfois l’initiative. Certes, pour libérer l’action, il faut libérer l’imaginaire. Certes, du rêve à la réalité, il n’y a qu’un pas, un pas au-dessus d’un précipice parfois difficile voire impossible à enjamber. Mais au final, c’est l’action qui détermine le changement. Je crains que l’Amérique d’Obama soit un rêve planétaire qui ne sera pas suivi d’actes. Une illusion savamment entretenue à des fins électorales. Ainsi qu’une opportunité, saisie par l’élite américaine, d’améliorer son image dans un monde qui majoritairement la déteste.
Mais la vraie bonne nouvelle de cette élection est ailleurs. C’est tout simplement qu’à force de faire campagne sur le thème du changement, le désir qu’il advienne vraiment va peut-être persister et croître suffisamment pour qu’il devienne un jour réalité, du propre fait des gens eux-mêmes, où qu’ils se trouvent et quelle que soit l’alternative voulue.
Y.Y.
Notes
[1] Dont la fortune est évaluée à 62 milliards de dollars par le magazine Forbes.
[2] The Economist, 30 juin 2008.
[3] Entré en 1966 à la CIA, Robert Gates est un spécialiste de la Guerre Froide, titulaire d’un doctorat d’histoire de l’Union Soviétique, devenu membre de l’équipe rapproché de Reagan, puis de Bush père puis de Bush fils. Il a notamment été le Directeur de la CIA de 1991 à 1993, malgré son implication probable dans l’Irangate (ventes secrètes d’armes à l’Iran pour financer des « opérations noires », notamment au Nicaragua).
[4] Cf. Critique de la demoscopie, Du débat démocratique confisqué par son propre spectacle, éditions La gouttière 2005, dont voici un extrait ici judicieusement commenté par Minga.
[5] Reuters, 21 mai 2008.
[6] New-York Times, 29 mai 2008.
[7] Quelques mois après la crise de 1929.
[8] 25 juin 2008.
[9] Sans doute pour convaincre les 12% d’américains qui croient encore qu’il est secrètement musulman, sans oublier les sites Internet délirants qui voient en lui l’antéchrist annoncé dans L’Apocalypse ou la réincarnation de Saddam Hussein à cause de son second prénom !
[10] Dont certaines issues du scandaleux Patriot Act adopté au lendemain du 11 septembre 2001.
[11] Dont c’est la quatrième candidature.
[12] N’est-ce pas la même critique qui est souvent faite par la gauche gouvernementale à l’encontre de la gauche radicale en France ?