Royaume-Uni : le Labour mène une guerre contre sa propre base électorale depuis des décennies

Depuis les élections de 1935, le Parti parlementaire travailliste n’avait jamais été aussi diminué. Au temps où les dinosaures politiques parcouraient la terre, le parti travailliste, divisé, s’était effondré face au défi de la Grande dépression, et semblait voué à l’extinction. Dix ans plus tard, il remportait la victoire électorale la plus importante de son histoire, balayant Mr Churchill, le chef de guerre, hors de son poste.

Mon propos n’est pas seulement de remettre ce qui s’est passé lors des élections générales britanniques dans une perspective historique, mais aussi d’illustrer la célèbre vérité selon laquelle il n’y a pas de « victoire finale », ni de « défaite finale ». Ce n’est jamais fini.

J’ai toujours prédit, sur RT et partout ailleurs, que les sièges des travaillistes tomberaient comme des dominos, que les travaillistes perdraient des dizaines de sièges dans les Midlands, le nord-ouest, le nord-est de l’Angleterre et le Pays de Galles. Toutes mes attentes se sont concrétisées pendant que les bulletins de vote étaient en cours de dépouillement dans un Vendredi 13 grandeur nature pour les travaillistes.

C’était le Brexit, bien sûr – seuls des inconscients tournent le dos à leur propre électorat sur une telle question, et de manière si impudente, et pendant si longtemps – mais pas seulement le Brexit. Selon les mots de l’ancien premier ministre Harold MacMillan, « Ce n’est jamais un satané problème, c’est un satané problème après l’autre. »

La défiance des travaillistes envers leurs propres partisans situés derrière le « mur rouge » – des bastions qu’ils occupaient dans certains cas depuis cent ans – semblait mettre fin au débat sur les régions industrielles et postindustrielles britanniques. Pour les lecteurs américains, imaginez le Michigan, le Connecticut et la Pennsylvanie.

Et c’est après de nombreuses années de tolérance tout aussi amusée qu’étonnée à l’égard d’un Parti travailliste de plus en plus libéral et urbain – qui parachutait régulièrement ce type de libéraux en livrée travailliste dans ce qui avait été jusque là des bastions travaillistes historiques. Ainsi, par exemple, le célèbre mineur de charbon Tony Blair a siégé pendant un certain temps en tant que député de la ville minière de Sedgefield, avec ses manières frivoles d’avocat londonien…

Parce que ce genre de travailliste n’avait aucun lien avec l’industrie elle-même – ils pensaient probablement que le Swarfega était une île des Baléares [1] – ils considéraient que leur tâche n’était pas de pester contre la mort des mines et de l’industrie, mais de convaincre leur peuple d’entrer tranquillement dans l’oubli. Fermer la mine, ouvrir un parc naturel régional à sa place, fermer l’usine, construire un centre commercial à sa place. Alors qu’autrefois, les emplois de 40 heures des cols bleus syndiqués étaient rémunérés décemment, l’économie des petits boulots devrait suffire. Elle est « flexible », voyez-vous…

La descente du Labour dans la fosse aux serpents de la politique communautariste a commencé il y a longtemps. Je le sais bien, j’étais là. Sous l’influence des « euro-communistes » en rupture idéologique avec Moscou dans les années 1980, on a imaginé que la classe ouvrière – et donc ses intérêts de classe – s’était envolée, et que de nouvelles « communautés » (dont beaucoup étaient imaginaires) devaient être les composantes du pouvoir politique travailliste. [2]

C’est un peu comme si quelqu’un vous persuadait qu’il y avait quelque chose qu’on appelait une « communauté du football » qui pouvait être traitée collectivement. Mais les membres de la communauté du football – des gens comme moi qui sont fans de football – n’ont rien en commun les uns avec les autres. En fait, en tant que supporters d’équipes rivales, nous nous détestons souvent. Les « offres » politiques à une communauté aussi imaginaire peuvent donc souvent exacerber des divisions, outre qu’elles exaspèrent ceux qui pensent que le football, c’est 22 idiots qui courent en rond autour d’une vessie de porc.

Transposez cela ainsi : Si vous êtes un homme ou une femme blanc(he), hétérosexuel(le), marié(e), avec des enfants, voir votre soi-disant parti parler sans cesse de race, de genre, de politiques sexuelles et des merveilles du libéralisme, de l’UE et tout ça, pourrait bien commencer à vous faire sentir, disons, exclu.

Si vous êtes une dame d’un certain âge, vous vous sentirez peut-être un peu exclue parce que votre parti communie sur l’autel de la jeunesse, dont les soubresauts peuvent être pour vous un lointain souvenir.

Lorsque votre parti soutient, comme politique de choix, un accès haut débit gratuit et nationalisé, vous vous demandez peut-être même de quoi il parle.

Si vous vivez derrière le « mur rouge », vous vous demanderez peut-être pourquoi presque TOUS les leaders d’un parti qui dépend des électeurs du nord du pays avaient des circonscriptions pratiquement adjacentes au nord de Londres.

La politique de gauche londonienne doit être imaginée comme une serre chaude où seules les fleurs politiques les plus exotiques fleurissent. C’est agréable pour une visite, mais cela a peu de choses en commun avec le climat plus froid de chez vous.

J’ai longtemps fait du prosélytisme pour l’opinion, largement confirmée lors de l’élection, selon laquelle depuis des décennies, les travaillistes mènent une sorte de guerre culturelle contre leur propre base électorale. Au lieu de pays et de patriotisme, le parti vénère le supra-nationalisme de l’UE. Il est plus à l’aise avec le drapeau de la Bolivie ou du Venezuela qu’avec celui de son propre pays. Il est plus intéressés par les droits humains des criminels que par ceux de leurs victimes. Il cherche sans cesse de petits blocs minoritaires à protéger, sans se soucier du fait que la sur-identification à un bloc puisse se faire au prix de l’aliénation d’un autre bloc bien plus numériquement important.

Boris Johnson vient de traverser le « mur rouge » du Parti travailliste comme une lame de couteau chauffée dans du beurre. Il ne sera ni rapide ni facile à reconstruire. Il n’y a pas eu de « séisme pro-Labour » de la part des jeunes [3] – seulement un séisme sur le Brexit. Les dommages sont manifestement étendus et considérables. On ne connaît pas encore le nombre de victimes, mais il est clair qu’il y en aura beaucoup. Le parti travailliste lui-même n’est que le premier d’entre eux.

George Galloway a été membre du Parlement britannique pendant presque trente ans. Il présente des émissions de radio et de télévision (y compris sur RT). C’est un célèbre réalisateur, écrivain et tribun. 

 

Traduction Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
Photo : dans un symbole saisissant des priorités de la gauche libérale actuelle, cette oeuvre d’art contemporain, une banane scotchée à un mur, s’est vendue 120 000 dollars. Elle a été décrite comme « la plus grande oeuvre d’art depuis La Joconde » (sic).

Notes de la traduction :

[1] Le Swarfega est un savon industriel.[2] La France a vécu le même processus avec le « tournant libéral » des années Mitterrand (les 80, comme au Royaume-Uni). Plus tard, le clou a été enfoncé par l’orientation communautariste du célèbre rapport de Terra Nova « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 », avec les résultats qu’on sait pour le PS : il n’existe plus que sous forme ectoplasmique.[3] Lors des dernières élections britanniques comme pour le référendum sur le Brexit, les politiciens et médias pro-Remain avaient tablé – à tort – sur un « séisme électoral » de la part des jeunes.

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.