S’ils étaient honnêtes avec eux-mêmes, les hommes politiques et les
journalistes qui accusent la Syrie d’être derrière l’assassinat de Rafic
Hariri se poseraient la question qui vient automatiquement à l’esprit au
début d’une enquête : « A qui profite le crime ? »
Dimanche 20 février 2005
On le sait aujourd’hui, les Etats-Unis et Israël ne tenaient pas à ce
que Rafic Hariri dirige la campagne électorale aux prochaines élections
législatives au Liban parce qu’il aurait ensuite gêné la mise en oeuvre de
leurs projets dans la région. Si l’homme d’affaires libanais était considéré
comme « pro – américain » par les islamistes du courant Ben Laden, il ne
l’était pas assez pour les néo – conservateurs américains, les likoudniks et
leurs affidés du Comité US pour un Liban Libre. Pour les partisans du «
Grand Moyen-Orient », Rafic Hariri était un « nationaliste arabe », tout
simplement parce qu’il n’était prêt à accepter la partition du monde arabe
en une multitude d’entités ethniques ou religieuses.
Ennemis mortels
Il faut savoir qu’un projet de partition du Liban circule dans les
milieux néo – conservateurs américains et libanais. Il est soutenu par
Elliott Abrams, nouveau n°2 du Conseil national de sécurité, chargé de
destabiliser la Syrie. Ce document appelé « la voie modèle » projette de
diviser le pays en deux Etats : un Etat chrétien créé pour devenir un «
second Israël » et un Etat musulman où seraient implantés les Palestiniens
réfugiés dans le pays depuis 1948.
Comme Rafic Hariri ne voulait pas entendre parler de démembrement, il
ne fallait surtout pas qu’il prenne la tête d’une opposition susceptible de
gouverner le pays. Sa déclaration au quotidien libanais Daily Star
(15/12/04) en faisait aux yeux des néo-conservateurs, un « pro- palestinien
» indécrottable. « Un Etat palestinien avec Jérusalem comme capitale »,
avait-il dit, « est le droit du peuple palestinien ». Ses contacts avec des
hommes politiques européens pour empêcher l’inscription du Hezbollah sur la
liste des organisations terroristes, ne leur avaient pas échappé. Il
rencontrait discrètement Sayyed Hassan Nasrallah toutes les semaines pour le
tenir au courant de ses démarches. Quelques jours avant l’attentat, il
s’était entretenu à deux reprises avec le cheikh chiite et s’était dit «
optimiste sur le résultat » (AFP – 15/2/05). Il avait peut être signé là son
arrêt de mort.
La main du Mossad
De toute évidence, s’il y a un pays qui n’avait pas intérêt à
assassiner Rafic Hariri, c’est bien la Syrie. Elle n’en avait pas, non plus,
la capacité. Comme Rafic Hariri se déplaçait dans un véhicule muni d’un
radar qui brouillait les mécanismes de mise à feu des explosifs commandés à
distance, ses assassins devaient posséder du matériel de contre- brouillage
très sophistiqué. De plus, quand il quittait un endroit, trois convois
blindés partaient dans des directions différentes. Comment le commando
pouvait-il être sûr de sa présence dans un véhicule autrement que par un
système de surveillance aérien à haute altitude ? Dans la région, seuls les
Etats-Unis et Israël peuvent mettre en branle de tels moyens.
La revendication de l’opération par un groupe inconnu appelé « La
victoire et le Djihad en Grande Syrie » n’est pas crédible. On voit mal
comment le Palestinien Ahmed Abou Adas aurait pu disposer des moyens
logistiques et techniques nécessaires à sa réalisation, comment il aurait pu
camoufler 300 kg d’explosif C4 dans un égout sans se faire remarquer et
aurait su que l’ancien Premier ministre libanais allait passer par là.
Selon la résistance irakienne, l’attentat de Beyrouth ressemble à ceux
dont l’origine demeure inexpliquée à Bagdad. Pour Rime Allaf, de l’Institut
royal des affaires internationales de Londres (Reuters – 14/2/05), il est «
l’oeuvre de services secrets, pas d’une petite organisation ». Il a pour
but, dit-elle, de « plonger le Liban dans le chaos » et de « faire accuser
la Syrie ». Mustafa Al-Naser, conseiller de Rafic Hariri, va plus loin : il
accuse le Mossad de l’assassinat (Iran News Agency – 15/2/05). La presse
arabe est quasi unanime à montrer Tel Aviv du doigt, mais on cherche en vain
un article développant cette hypothèse dans la grande presse occidentale…
Complot
Demander le retrait des troupes syriennes du Liban est une chose, mais
en profiter pour accuser les services secrets de ce pays – sans la moindre
preuve et contre toute logique – d’être coupable du meurtre de l’ancien
Premier ministre libanais n’est pas admissible. Cela relève de la mauvaise
foi et du complot.
Les pressions exercées sur le Président Bashar Al-Assad n’ont pas
seulement pour objectif de lui interdire de soutenir la résistance
irakienne. Le vote de la résolution 1559, l’assassinat de Rafic Hariri, le
chaos annoncé au Liban, et la mise en application du Syrian Accountability
Act, sont les dents d’un engrenage dont le but ultime est le renversement du
régime baassiste et la partition du pays. Quand on lit que la Syrie soutient
le terrorisme, menace les forces américaines et celles de leurs alliés avec
ses missiles, on se dit que le Cabinet Benador Associates et le Rendon
Group, liés au Pentagone et spécialistes en médias- mensonges, sont à
nouveau à l’œuvre. Un ami libanais me disait que l’assassinat de Rafic
Hariri lui faisait penser à celui de l’Archiduc François- Ferdinand à
Sarajevo en juin 1914. L’attentat avait servi de prétexte au déclenchement
de ce qui deviendra le premier conflit mondial. Faut-il en déduire que la
Quatrième guerre du Golfe a commencé ?
· Sources :
Rafic Hariri tué dans un attentat à Beyrouth par Nadim Ladki (Reuters
– 14/2/05)
Thierry Oberlé – Qui a tué Rafic Hariri (17/2/05)
Les souvenirs de la guerre civile soudain réveillés, par Gilles Paris
(Le Monde – 16/2/05)
Israel and/or America implicated in killing of Rafik Harriri, par Sam
Hamod (Information Clearing House – 14/2/05)
Hariri : “Le Mossad ou Al Qaïda », par Barah Mikaïl (TF1 – 14/2/05)
1701Epargnez à ma patrie vos fâcheuses expériences, par Karim
Pakradoumi (France-Pays Arabes, février 2005)
Dans le même sens :
Who killed Rafik Hariri?
Patrick Seale
02/23/05 "The Guardian" – – If Syria killed Rafik Hariri, Lebanon's former prime minister and mastermind of its revival after the civil war, it must be judged an act of political suicide. Syria is already under great international pressure from the US, France and Israel. To kill Hariri at this critical moment would be to destroy Syria's reputation once and for all and hand its enemies a weapon with which to deliver the blow that could finally destabilise the Damascus regime, and even possibly bring it down.
So attributing responsibility for the murder to Syria is implausible. The murder is more likely to be the work of one of its many enemies. This is not to deny that Syria has made grave mistakes in Lebanon. Its military intelligence apparatus has interfered far too much in Lebanese affairs. A big mistake was to insist on changing the Lebanese constitution to extend the mandate of President Emile Lahoud – known for his absolute allegiance to Syria – for a further three years. Syria's military intelligence chief in Lebanon, General Rustum Ghazalah, was reported to have threatened and insulted Hariri to force him to accept the extension. This caused great exasperation among all communities in Lebanon. Hariri resigned as prime minister in protest.
Syria appears to have recognised its mistake. President Bashar al-Assad last week sacked General Hassan Khalil, head of military intelligence, and replaced him with his own brother-in-law, General Asaf Shawkat. A purge of the military intelligence apparatus in Lebanon is expected to follow.
It remains to be seen whether this will calm Syria's opponents in Lebanon, who have declared a "democratic and peaceful intifada for independence" – in other words, a campaign of passive resistance to drive Syria out.
Hariri was not a diehard enemy of Syria. For 10 of the past 12 years he served as Lebanon's prime minister under Syria's aegis. A few days before his murder on February 14 he held a meeting with Syria's deputy foreign minister, Walid Muallim. They were reported to have discussed a forthcoming visit by Hariri to Damascus. Hariri had not officially joined the opposition in Lebanon, but was thought to be attempting to mediate between Syria and the opposition.
If Syria did not kill Hariri, who could have? There is no shortage of potential candidates, including far-right Christians, anxious to rouse opinion against Syria and expel it from Lebanon; Islamist extremists who have not forgiven Syria its repression of the Muslim Brotherhood in the 80s; and, of course, Israel.
Israel's ambition has long been to weaken Syria, sever its strategic alliance with Iran and destroy Hizbullah. Israel has great experience at "targeted assassinations" – not only in the Palestinian territories but across the Middle East. Over the years, it has sent hit teams to kill opponents in Beirut, Tunis, Malta, Amman and Damascus.
Syria, Hizbullah and Iran have stood up against US and Israeli hegemony over the region. Syria continues to demand that Israel return the Golan Heights, seized in 1967. Damascus will not allow Lebanon to conclude a separate peace with Israel unless its own claim is also addressed.
Hizbullah, in turn, is possibly the only Arab force to have inflicted a defeat on Israel. Its guerrillas forced Israel out of south Lebanon after a 22-year occupation. Hizbullah continues to be a big irritant to Israel because it has acquired a deterrent capability. Israel can no longer attack Lebanon with impunity – as it did for decades – without risking a riposte from Hizbullah rockets.
Iran's nuclear programme threatens to break Israel's regional monopoly of weapons of mass destruction, which is the main reason it is under immense pressure to abandon uranium enrichment.
The US and Israel have been trying to rally international support against Iran, Syria and Hizbullah. The US secretary of state, Condoleezza Rice, has condemned Iran as a prime sponsor of international terror. Syria has been condemned as a "destabilising" force in the region, and is in the dock because of Hariri's assassination.
The US and Israel have also been urging European governments to declare Hizbullah a "terrorist organisation". France has its own quarrel with Syria, and President Jacques Chirac is outraged at the murder of his close friend Hariri, but Paris does not consider Hizbullah a terrorist organisation. For France, and for the vast majority of Arabs, Hizbullah is a national liberation movement as well as a big political actor in Lebanon.
There is far more to this crisis than a struggle between rival clans in Lebanon.
Patrick Seale is author of Assad of Syria: The Struggle for the Middle East
Copyright: The Guardian.