Les médias occidentaux voient en Ukraine une « révolution de velours », comme en Europe de l’Est après la chute du Mur de Berlin, en 1989. Le peuple s’exprime, résiste pacifiquement et met fin à la non-démocratie. C’est romantique, certes, mais à cent lieues de la vérité (01/12/04).
Après l'effondrement de l'Union soviétique, en 1991, les multinationales ouest-européennes et américaines estiment que le temps est venu pour ce que Hitler appelait le Drang nach Osten, la « conquête de l'Europe de l'Est ». A l'époque, le principal stratège américain, l'ancien conseiller national à la sécurité Zbigniew Brzezinski publie son ouvrage Le grand échiquier.
On peut y lire : « Sans l'Ukraine, la Russie n'est plus qu'une grande puissance asiatique. Si la Russie reprend le contrôle de l'Ukraine, de ses 52 millions d'habitants, des richesses de son sous-sol et de son accès à la Mer Noire, elle redeviendra une grande puissance s'étendant sur l'Europe et l'Asie. L'Europe doit être un tremplin pour poursuivre la percée de la démocratie en Eurasie. Entre 2005 et 2010, l'Ukraine doit être prête à des discussions sérieuses avec l'Otan. Après 2010, le principal noyau de sécurité en Europe consistera en: la France, l'Allemagne, la Pologne et l'Ukraine. Via un partenariat transatlantique plus consistant, la tête de pont américaine sur le continent eurasien doit se renforcer. »
On ne peut comprendre correctement les événements d'aujourd'hui sans ce contexte : l'Ukraine doit faire partie de l'Otan et ne peut en aucun cas constituer une alliance avec la Russie. Brzezinski est allé assister personnellement aux débats parlementaires à Kiev afin de pousser l'Ukraine dans cette voie. Non sans succès : en 1997, le président Koutchma signait à Madrid la Charte de partenariat de l'Ukraine avec l'Otan. La même année, l'Ukraine recevait 47 millions de dollars des Etats-Unis afin de financer la collaboration militaire.
En 1997 et 1998, le port d'Odessa a vu se dérouler les manoeuvres navales Sea-Breeze, auxquelles ont pris part des navires de guerre ukrainiens, américains, turcs, allemands, français, britanniques, italiens et grecs. L'Ukraine a signé le pacte du GUUAM, qui réunit également la Géorgie, l'Ouzbékistan, l'Azerbaïdjan et la Moldavie sous les auspices de l'Otan. L'Ukraine a également envoyé 1700 soldats en Irak afin de participer à la force d'occupation.
Le peuple veut du changement
Le président sortant Koutchma et son ex-Premier ministre, Viktor Ianoukovitch, dont la victoire aux présidentielles est aujourd'hui contestée, ont donc particulièrement abondé dans le sens des multinationales occidentales, des dirigeants politiques occidentaux et de l'Otan. Mais les Américains (et les Européens) estiment que tout cela ne va pas assez vite à leur goût ni, surtout, assez loin. Et ils craignent un nouveau rapprochement entre la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine. Tel est l'enjeu des élections présidentielles et de la lutte qui fait rage actuellement.
Longtemps avant les élections, Viktor Iouchtchenko a annoncé qu'il ne reconnaîtrait le résultat… que s'il était déclaré vainqueur. Il peut compter sur une machine bien payée pour organiser la « résistance populaire ».
Cette machine peut fonctionner avec succès parce que le peuple est en colère, mécontent et inquiet. Le démantèlement de l'Union soviétique, en décembre 1991, n'a apporté au peuple ukrainien qu'effroi et misère. Les entreprises occidentales ont racheté les meilleurs morceaux de l'économie et mis la majorité en faillite. L'économie s'est effondrée. En dix ans, la population est passée de 52 à 50 millions d'habitants.
Au début des années 90, des épidémies de diphtérie et de syphilis ont éclaté. Les médicaments en provenance de Moscou ne sont plus disponibles et les médicaments occidentaux sont hors de prix. Le nombre d'homicides et de suicides est en hausse, les décès dus à l'alcoolisme ont doublé. Dans les charbonnages privatisés, les mineurs ne reçoivent plus de lampes, ni de vêtements de sécurité. En mars 2000, quatre-vingts d'entre eux perdent la vie dans une catastrophe, à Krasnodon.
Déjà 21 millions de dollars investis dans la « résistance populaire »
Le peuple veut du changement. Mais dans quelle direction? Les Américains ont créé une machine censée pousser le pays et les gens dans la direction de Washington. Et, comme toujours, cela se fait sous le masque de la « liberté » et de la « démocratie ». Cette machine est le fruit d'une collaboration intense entre l'Etat américain et le multimilliardaire George Soros.
L'Etat américain a mobilisé un certain nombre d'organisations : le National Democratic Institute (du Parti démocrate), l'International Republican Institute (des Républicains), USAID (du ministère des Affaires étrangères) et l'organisation prétendument non gouvernementale Freedom House (1). Ces organisations auraient déjà mis 13 millions de dollars sur la table afin d'organiser la « résistance populaire spontanée » à Kiev (2).
Freedom House et le National Democratic Institute ont fait en sorte que des milliers d'« observateurs », formés et payés par eux, se postent à la sortie des bureaux de vote. Ceux-ci ont demandé aux électeurs pour qui ils avaient voté. Ce sondage à la sortie, affirment nos médias, prouverait que le candidat de l'Occident a largement gagné. Il a été l'arme principale pour faire descendre immédiatement des milliers de gens dans la rue et lancer ainsi la « résistance populaire ».
Le candidat occidental Iouchenko est également soutenu financièrement et organisationnellement par le multimilliardaire George Soros. Cet homme a déjà investi 8 millions de dollars sur Iouchtchenko. En Ukraine, Soros a créé le Fonds Vosrodgeniye, ce qui signifie « Renaissance ». A la veille des élections, ce fonds avait alloué d'importantes sommes d'argent à Gromadskje Radio et à l'Institut des Mass Media. Il finance également le Syndicat indépendant des médias, dirigé par Andrei Chevtchenko, le rédacteur en chef d'Express-Inform, qui exploite cinq chaînes de télévision.
Les organisations américaines et George Soros ont fait en sorte que des milliers de manifestants soient encadrés, même si, à l'extérieur, il fait dix degrés sous zéro. Ils reçoivent à manger et, si nécessaire, un toit pour se loger. Les organisateurs distribuent gratuitement des vêtements chauds tels pull-overs, cache-nez, manteaux et gants fourrés.
Jusqu'à présent, Américains et pro-Américains ont suivi la voie pacifique. C'est la tactique qui suscite le plus de sympathie. Mais elle connaîtra un revirement si nécessaire. L'an dernier, Soros et les organisations américaines ont financé le mouvement Kmara (« Assez ») en Géorgie. Les partisans de Kmara ont envahi le Parlement, certains armés de roses, mais d'autres de revolvers. Ils ont recouru à la violence pour faire tomber le président Chevardnadze et ont mis au pouvoir Saakatchvili, l'homme des Occidentaux.
Notes
(1) The Guardian, 26/11/04.
(2) ORT-TV, 25/11/04.