Éclipsé par la pandémie de coronavirus, un scandale sur les marchés financiers pourrait éclater à la figure des grandes banques. Il couvait bien avant que le covid-19 se répande à travers le monde. Ces dernières années en effet, les États-Unis ont investi sans compter dans le pétrole de schiste au point de passer du statut d’importateur à celui d’exportateur d’or noir. Mais à quel prix? L’industrie du pétrole de schiste a une dette six fois plus importante que ses revenus. Et la chute du prix du baril pourrait faire s’effondrer le château de cartes avec de dangereuses répercussions. Explications. (IGA)
Avant même que le premier cas de coronavirus COVID-19 ne soit confirmé aux États-Unis, des lignes de faille apparaissaient sur les marchés financiers de ce pays. L’endettement des entreprises atteignait 75 % du produit intérieur brut américain. Il avait plus que triplé pour atteindre le chiffre record de 16.000 milliards de dollars, soit trois fois l’économie mondiale de 2008. (New York Times, 3 mars 2020)
L’industrie énergétique reste l’un des plus gros moteurs de cette dette. Au sein de l’industrie du pétrole de schiste tant vanté, la dette – conduite par un coût excessif de la fracturation du gaz naturel et du pétrole, et par la nécessité de rembourser les investisseurs – est aujourd’hui six fois plus importante que les revenus de l’industrie. Une bonne partie de cette dette est détenue par les principales banques d’investissement mondiales, qui ont augmenté l’année dernière leurs avoirs de près de 40 % .
Ces banques dominent le financement des combustibles fossiles. JP Morgan Chase est en tête du peloton, avec près de 257 milliards de dollars d’investissements. Parmi les autres, citons Wells Fargo, Citibank et Bank of America.
Début mars, le banquier de l’énergie Mike Lister de JP Morgan Chase rapporta que : “Les banques ont amorti jusqu’à 1 milliard de dollars en 2019 en prêts basés sur les réserves de schiste, plus qu’elles n’en ont fait en 30 ans d’existence.” Le 9 mars, desmogblog.com a indiqué que “40 milliards de dollars supplémentaires de dettes liées au schiste devraient arriver à échéance en 2020, suivis de plus de 160 milliards de dollars de dettes sur les trois années suivantes“.
Cette soudaine ruée vers le déversement de la dette d’investissement dans les schistes est peut-être survenue trop partiellement et trop tardivement. Depuis sa création, l’industrie américaine du schiste a subi des coûts de production extrêmement élevés – 30 à 50 dollars par baril contre 4 à 12 dollars en Arabie saoudite. Pourtant, cela n’a guère découragé les investisseurs qui prennent des risques. Même avec l’effondrement des marchés boursiers, il ne serait guère surprenant que le Congrès et l’administration Trump se glissent une fois encore dans un plan de sauvetage de l’industrie de l’énergie.
Pendant des années, l’industrie a attiré les investisseurs en utilisant des puits modèles ayant une capacité productive supérieure à la moyenne – tout en étant pleinement consciente que la plupart des puits cesseraient d’être productifs après quelques années. Leur solution à ce dilemme a été de forer encore plus de puits, ce qui a nécessité des investissements toujours plus importants. Il y a dix ans, les compagnies énergétiques ont promis “un approvisionnement de 100 ans” en gaz de schiste. Mais à mesure que de nouveaux puits étaient forés, le prix du gaz naturel est tombé à un niveau des plus bas. Lorsque les puits ont été épuisés au bout de quelques années, d’autres ont été forés. Il en a résulté une surabondance de production.
À cette époque, la solution de l’industrie fut de pousser à l’exportation du gaz naturel et du pétrole, malgré des décennies de restrictions prohibitives. Sous l’administration Obama, des mesures ont été prises pour inverser la direction du flux dans les pipelines, de telle manière qu’au lieu d’amener le gaz et le pétrole dans le pays, ils étaient livrés à de nouvelles installations portuaires pour l’exportation. Soudain, les exportations n’ont pas seulement été autorisées, mais aussi encouragées. Les obstacles juridiques restants ont disparu du jour au lendemain.
Sous l’administration Trump, le pétrole et le gaz naturel de schiste sont devenus des moteurs essentiels de l’économie américaine, le pays étant devenu l’un des plus gros exportateurs mondiaux. Impulsant un programme de “domination énergétique” des États-Unis, M. Trump a promu l’argument fallacieux selon lequel la production nationale de pétrole et de gaz de schiste bénéficie à la sécurité nationale en isolant les États-Unis contre les actions d’autres pays. Pour assurer cette domination, tout en levant simultanément les restrictions environnementales, M. Trump a également étendu les sanctions économiques contre deux des plus grands concurrents des États-Unis – la Russie et le Venezuela.
Il apparait maintenant que se reposer sur l’industrie du schiste pour sauver l’économie a pu rendre les États-Unis plus vulnérables en période de crise – comme avec la pandémie mondiale de COVID-19.
Un grand trou dans le baril
À la clôture des échanges de matières premières du 18 mars, le pétrole est tombé à 22,46 dollars le baril, soit un tiers de son prix de la mi-février. Goldman Sachs prévoit actuellement qu’il pourrait tomber à 20 dollars le baril. Si l’Arabie saoudite continue de sabrer les prix, une baisse prochaine à 10 dollars le baril est possible.
Au début du mois de mars, l’OPEP et la Russie ont convenu de baisser le prix du baril. Ces deux acteurs bénéficient de faibles coûts de production qui rendent cette baisse possible. Ce n’est pas le cas des États-Unis. Actuellement, le prix devrait être d’au moins 48 dollars le baril pour que le Bassin permien du Texas récupère ses coûts de production. En revanche, les coûts de production actuels en Arabie saoudite sont d’environ 2,80 $ le baril.
Bien que l’OPEP ait annoncé qu’elle réduirait sa production, la Russie, déjà fortement touchée par les sanctions américaines, a annoncé qu’elle maintiendrait sa production aux niveaux actuels, car elle a besoin de ces revenus. Avec une production déjà touchée par les sanctions US, il n’y a aucune incitation pour la Russie à supporter le fardeau de la dette énergétique américaine.
Karl Marx a compris que la source de tous les profits sous le capitalisme provient de l’exploitation du travail : la production est destinée au profit, et non au besoin humain. La concurrence pour le contrôle du marché conduit à l’introduction de la technologie, ce qui conduit à une exploitation accrue du travail afin de maximiser la production. Mais l’augmentation de la production peut également faire baisser les prix.
Afin de compenser, encore plus de technologie est introduite, ce qui entraîne une surabondance de produits sur le marché et engendre la surproduction et le chômage. Si le capital ne peut pas vendre tout ce qu’il produit tandis que la surproduction réduit les profits puisque les prix baissent, la production est arrêtée.
La fracturation peut être exemptée de régulations gouvernementales, mais elle ne peut échapper aux lois du capitalisme.
Source originale: Workers World
Traduit de l’anglais par M-L Lefebvre pour Investig’Action