Giorgio Trucchi a parcouru pendant plus de 50 jours les rues du Honduras depuis que, le 28 juin, l’armée et les milieux les plus puissants du pays ont renversé le président légitime Manuel Zelaya. Il a parcouru les barrios de diverses villes du pays ainsi que la zone frontière entre le Nicaragua est le Honduras.
Il a assisté à une multitude de manifestations, conférences de presse, réunions, actions de toute sorte, charges policières, etc… Il a rédigé plus de 75 articles, chroniques… et enregistré des interviews. Il a immortalisé, avec environ 500 photographies et 20 vidéos, les moments les plus intenses, émouvants et dramatiques dont cette nation d’Amérique Centrale est le théâtre.
Giorgio Trucchi est un journaliste italien résidant au Nicaragua. Au cours des trois derniers mois, il a couvert les évènements qui ont lieu au Honduras pour la Regional Latinoamericana de la Unión Internacional de Trabajadores de la Alimentación (Rel-UITA). Il est aussi administrateur du blog Nicaragua et plus en Espagnol. Il m’a fait une petite place sur son agenda et j’ai pu lui parler par téléphone pour qu’il nous explique, de première main, les derniers évènements survenus au Honduras.
– Ma première question, Giorgio, s’impose : Est-ce que tu sens et est-ce que tu constates, au Honduras, une mobilisation populaire puissante, organisée et majoritaire pour la défense du président légitime Manuel Zelaya ?
Catégoriquement, oui. La nuit où nous avons appris que Manuel Zelaya était rentré dans le pays et s’était réfugié à l’ambassade du Brésil a commencé une mobilisation massive, pas seulement dans la capitale, mais dans tout le pays. Lorsque j’ai appris la nouvelle, je me suis rendu une fois encore au Honduras, avec d’autres journalistes des agences internationales. A quelques kilomètres de la capitale, nous avons pu voir de grandes caravanes de voitures et d’autobus qui se dirigeaient vers Tegucigalpa pour soutenir le président Manuel Zelaya. Bien entendu, ces caravanes de véhicules ont été stoppées par les barrages militaires qui leur ont interdit le passage. Nous aussi nous sommes restés près d’une heure bloqués par les militaires et dans tout le pays des barrages ont été mis en place pour empêcher que les gens arrivent dans la capitale.
Comme je te dis, le soutien est puissant, mais il est difficile de calculer quel pourcentage de la population appuie Manuel Zelaya . Ce qui est certain, par contre, c’est qu’il y a des rassemblements dans les barrios, les villages et les comunidades, et pas seulement dans la capitale, mais dans divers départements du pays aussi.
– Je te pose cette question parce que lorsque je lis tes commentaires et les articles que tu écris depuis les barrios, au Honduras, et lorsque je lis dans les grands médias certaines chroniques de journalistes en poste je ne sais pas très bien où, je perçois deux opinions opposées en ce qui concerne la riposte du peuple du Honduras. Le jeudi 24 septembre, par exemple, pour illustrer les manifestations, un journal espagnol publiait une photo – quelque peu partiale, de mon point de vue – où l’on voyait seulement un manifestant assis sur un bloc de pierre, et dans ce même article, on qualifiait la résistance populaire de « faible ». Es-tu d’accord avec cette affirmation ?
Non, absolument pas. Je ne sais pas si pour rédiger cet article, ils se sont servis des informations publiées par une agence de presse ou bien si ce journal avait des correspondants sur place, au Honduras. En outre, il faut comprendre : il y a des manifestations presque tous les jours, à Tegucigalpa et dans d’autres villes, des manifestations massives, avec des milliers et des milliers de personnes. Mais les manifestations dans les barrios, les villages ou les comunidades ne font pas appel à beaucoup de participants parce que leur but n’est pas là.
Ce qu’il faut souligner c’est que tout ça correspond à une stratégie du Front National Contre le Coup d’Etat (FNCGE) qui organise différentes interventions dans les barrios pour disperser la protestation et créer des centaines de petits foyers de résistance. Dans un barrio, il peut y avoir 600 personnes mobilisées et, plus loin, dans une place, 100 ou 200. Le nombre variera et si on étudie séparément chaque groupe, on dira qu’il y avait peu de participants ou bien que le mouvement de résistance est faible. Mais ce qui est réellement important c’est qu’au même moment il peut y avoir 100 ou 150 foyers actifs éparpillés et, cela, rien que dans le capitale.
L’objectif du FNCGE n’est pas seulement d’organiser de grands rassemblements pour paralyser le pays, mais il cherche à maintenir la présence constante d’une foule dans les rues et les barrios pour démontrer que le Coup d’Etat du 28 juin ne peut pas être accepté et qu’il y a une partie majoritaire de la population qui ne renonce pas au rétablissement de Manuel Zelaya, au retour de la démocratie et à la mise en route d’un processus qui devra conduire à la tenue d’une Assemblée Constituante et à la réforme de la Constitution.
– Quels sont les secteurs de la population et les organisations populaires qui appellent à participer aux manifestations et aux marches pour le retour à la normale démocratique ?
Il y a de tout, mais le fait le plus intéressant c’est que le FNCGE a réussi à rassembler et à faire s’asseoir à une même table des secteurs très éloignés les uns des autres qui auparavant travaillaient très peu ensemble. Ça c’est un aspect positif du Coup d’Etat. Il y a des centrales syndicales qui étaient jusqu’à présent très divisées et qui aujourd’hui commencent à agir ensemble.
Dans le FNCGE, en plus des syndicats, il y a aussi des ONG, des collectifs d’enseignants, des représentants des barrios, des étudiants, des organisations de paysans, des indigènes, des Afrocaribéens, des collectifs de femmes, des artistes et aussi des partis politiques qui avant s’opposaient.
Avec le Coup d’Etat, le parti libéral du président Manuel Zelaya s’est divisé entre les partisans de Manuel Zelaya et ceux qui soutiennent le gouvernement de facto. Eh bien, le courant resté fidèle au président fait aussi partie de la résistance.
C’est là, sans aucun doute, un des faits les plus intéressants survenus au cours de ces derniers mois : qu’un évènement aussi marquant qu’un Coup d’Etat ait précipité l’union et le travail commun des différents acteurs sociaux.
– Depuis le premier jour du Coup d’Etat , le 28 juin, à quel moment as-tu constaté la plus grande intensité et la plus grande force de la protestation populaire ?
Il y a eu plusieurs moments particulièrement forts. Les premiers jours, le 28 et le 29 juin, ont été des journées particulièrement intenses parce que le gouvernement putschiste se mettait en place, le président était expulsé du pays et la répression commençait. Un autre moment spécial a été le 5 juillet, lorsque Manuel Zelaya a fait sa première tentative de retour. Il y a eu des rassemblements qui furent repoussés par la violence ce qui a provoqué la mort du premier manifestant, le jeune Isis Obed Murillo qui malheureusement a été le premier parmi beaucoup d’autres qui ont payé de leur vie durant ces trois mois de lutte. Un autre moment très fort ce fut lors de la seconde tentative de Manuel Zelaya de rentrer dans le pays par le poste frontière de las Manos (Ocotal – Nicaragua).
Cependant, le moment le plus intense c’est celui que nous vivons en ce moment, maintenant que le président se trouve à nouveau dans le pays. Cela démontre, indépendamment de son passé et de son histoire, que Manuel Zelaya reste un agent catalyseur. Le résistance a toujours soutenu que le premier pas ou condition c’était le rétablissement de Manuel Zelaya en tant que président légitime de la nation. Ils affirment qu’il ne peut y avoir ni paix ni démocratie tant qu’on n’aura pas rétabli le président de la république dans ses fonctions.
–Tu me dis que le jeudi 24 il y a eu une manifestation des partisans de Micheletti. Est-ce qu’elle a rassemblé beaucoup de monde ?
Les manifestations de ceux que l’on appelle ici « les blancs » ou « les parfumés » ont toujours été massives. Après les grands rassemblements des organisations populaires le gouvernement lui-même appelle les citoyens à participer à d’autres manifestations pour contrecarrer ce que la résistance organise et réalise.
Le FNCGE a fait savoir, à plusieurs reprises, que ces manifestations rassemblent des travailleuses et des travailleurs issus des entreprises qui appartiennent aux groupes économiques partie prenante du Coup d’Etat qui obligent, même sous la menace, leurs employés à se rendre aux manifestations. Ils arrivent à rassembler des milliers de personnes – essentiellement des ouvrières et des ouvriers des zones franches – et ils leurs fournissent la fameuse chemise blanche pour qu’ils assistent aux manifestations.
– Initialement, plusieurs gouvernements se sont opposés au gouvernement illégitime de Roberto Micheletti. Au fur et à mesure que le temps a passé, tout s’est refroidi. Penses-tu que la communauté internationale, grâce à son silence, est en train de permettre que le gouvernement putschiste se renforce et s’installe ?
D’un côté, ils reconnaissent l’importance de la réponse immédiate de la communauté internationale au moment où se produit le Coup d’Etat. Il y a eu une résolution massive, votée à l’unanimité, de l’Organisation des Etats Américains (l’OEA) ainsi que des résolutions de l’Assemblée Générale de l’ONU. En outre, beaucoup de gouvernements européens et les Etats-Unis ont rappelé leurs corps diplomatiques en poste au Honduras.
Mais, d’un autre côté, ils critiquent le fait que les mesures de pression prises par ces pays ont été très faibles et surtout très lentes. Dans un pays comme le Honduras, qui est le troisième pays le plus pauvre d’Amérique Latine, il serait très facile de faire plier son gouvernement avec de simples mesures économiques. 80% des échanges commerciaux se font avec les Etats-Unis. Je crois par conséquent que ce serait facile d’exercer une pression efficace dans ce sens.
Pourquoi ne le fait-on pas ? Parce qu’avec ce gouvernement de facto on freine le processus d’intégration en Amérique Centrale et en Amérique Latine et, surtout, toutes les avancées autour de l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (l’ALBA). N’oublions pas que l’ALBA intègre désormais, en Amérique Centrale, le Nicaragua et le Honduras ; le Guatemala n’est pas dans l’Alba, mais il est dans Petrocaribe et Le Salvador, avec la victoire du Front Farabundo Marti, était déjà en train d’étudier la possibilité d’intégrer Petrocaribe. Cela veut dire qu’était en train de se créer, dans la région, un climat très différent en comparaison de celui qui existait dans les décennies passées et le Honduras était le maillon jugé le plus faible pour briser cette chaîne.
Décider ces mesures, moi, je vois ça comme une tentative pour faire pression sur le gouvernement de facto pour qu’il revienne à la légalité institutionnelle, mais d’un autre côté, en les retardant, on veut profiter de la conjoncture pour stopper le processus d’intégration dont je te parlais.
– Mais ces mesures économiques pour freiner le gouvernement de facto dont tu parles, ne vont-elles pas, au bout du compte, nuire aux gens les plus vulnérables ?
C’est l’éternelle question, mais je crois que si la communauté internationale s’était attelé à la tâche, le gouvernement putschiste de Micheletti serait tombé très rapidement avant même que la population n’ait eu à pâtir des conséquences de ces pressions.
D’après ce que j’ai entendu, de nombreux courants de la résistance seraient d’accord pour un blocus économique pourvu qu’il en finisse avec ce Coup d’Etat.
– Cette vision des évènements que tu viens d’exposer est-elle largement partagée au sein du FNCGE ?
Oui, oui, totalement. Moi je ne t’expose pas ma vision personnelle, mais des analyses et des opinions de la résistance. Les membres du FNCGE le disent clairement : le Coup d’Etat a été décidé pour stopper l’ALBA. De fait, aussitôt après, une des premières mesures prises par le gouvernement de Micheletti a été d’expulser les enseignants cubains qui mettaient en œuvre des actions d’alphabétisation et qui avaient programmé de proclamer, en janvier prochain, le Honduras pays libre d’analphabétisme. Dans les premières déclarations des putschistes, c’est déjà Chávez et l’ALBA qui sont désignés comme les coupables de tout et l’armée elle-même a déclaré que grâce à ce « changement présidentiel démocratique » on pourra stopper le processus d’entrée du socialisme déguisé sous le masque de la démocratie.
– Sur ce même sujet et puisque ça fait des années que tu travailles et que tu vis au Nicaragua, crois-tu que derrière la puissante campagne nationale et internationale menée contre le gouvernement de Daniel Ortega à cause de la soi disant fraude électorale lors des élections municipales de l’an dernier, il y avait aussi une tentative de déstabilisation d’un des pays qui a le plus misé sur l’intégration et sur l’ALBA ?
L’entreprise de déstabilisation est permanente et pas seulement au Honduras et au Nicaragua, mais dans tous les pays d’Amérique Latine qui ont entrepris de mener à bien le projet de l’ALBA.
– Revenons au Honduras. Que pense le FNCGE du rôle joué tant par Barack Obama que par l’Union Européenne ?
C’est ce que je te disais à propos d’une question précédente. Ils reconnaissent que les Etats-Unis ont dénoncé ce qui s’est passé en juin même si ces derniers n’emploient pas les mots « Coup d’Etat » à ce propos. Ils ont aussi soutenu la médiation du président du Costa Rica, Oscar Arias, pour faciliter le dialogue entre les parties ce qui a abouti à l’Accord de San José.
Mais, d’un autre côté, comme je t’expliquais, ils exigent que les Etats-Unis soient plus énergiques. Ils rappellent que le gouvernement des Etats-Unis a mis plus de deux mois à rappeler son ambassadeur à Tegucigalpa et qu’il n’ont pas encore reconnu qu’il y avait eu, dans ce pays, un Coup d’Etat.
– Pourquoi l’Administration Obama ne reconnaît-elle pas les faits tels qu’ils ont eu lieu ?
Parce que leurs lois stipulent que si dans un pays quelconque du monde il y a un Coup d’Etat, automatiquement les Etats-Unis doivent mettre fin à toute forme d’aide économique à cet Etat-là. Or ils ne veulent absolument pas appliquer cette loi au Honduras et nous savons même que de nombreuses agences nord-américaines continuent à financer certaines institutions du gouvernement de facto. Le flot d’argent ne s’est pas tari.
Nous savons aussi que le jour du Coup d’Etat l’armée est entrée par la force et en faisant usage de ses armes dans la résidence du président Zelaya, qu’ils l’ont arrêté et que c’est à la base militaire nord-américaine de Palmerola qu’ils l’ont conduit ensuite pour le mettre dans un avion pour le Costa Rica. La résistance n’a jamais accusé le président Obama d’être mêlé à ces faits, mais elle l’accuse de n’avoir pas été assez vigilant sur ce qui se passait.
– Et en ce qui concerne l’Union Européenne ?
Eh bien, c’est, à peu de chose près, du pareil au même. Le FNCGE reconnaît que l’UE a condamné le Coup d’Etat, mais les mesures prises à partir de l’Europe pour l’étouffer ont été peu conséquentes et, surtout, très lentes. Cela a permis au gouvernement de facto de se renforcer.
– Le président du Costa Rica, Oscar Arias, a reçu le prix Nobel de la Paix pour son rôle dans les processus de négociations durant les conflits armés en Amérique Centrale durant les années 80. Cependant, lorsqu’il a été président du Costa Rica durant cette décennie-là, son pays a offert un abri à des commandos de la contra du Nicaragua et pour beaucoup de gens Oscar Arias a été la marionnette diplomatique de Reagan. Comment juges-tu le rôle de médiateur d’Oscar Arias ?
Le président Arias est évidemment un instrument entre les mains du Département d’Etat et d’Hillary Clinton. C’est d’ailleurs elle qui l’a proposé comme médiateur lorsque la crise est survenue. En outre, si nous analysons les 12 points de l’Accord de San José ou Plan Arias, excepté le premier point qui stipule le rétablissement de Manuel Zelaya, tous les autres points vont dans un sens totalement hostile au président légitime du Honduras.
Le dit accord remet Manuel Zelaya au pouvoir, mais sans pouvoir. Par exemple, un point de l’accord stipule que si Manuel Zelaya retrouve la présidence il ne devra mettre en route aucun processus en vue de convoquer une Assemblée Constituante. Un autre article prévoit d’avancer les élections à la fin octobre et que l’armée soit en charge de toute la logistique du processus électoral. Rends-toi compte : on confie à une armée responsable d’avoir fomenté un Coup d’Etat la responsabilité de contrôler les élections…Comme c’est curieux !
A l’inverse, cet accord ne prévoit nullement de restaurer les projets adoptés en accord avec la société civile et que le président Manuel Zelaya avait mis en route et qui ont tous été stoppés après le Coup d’Etat. Zelaya, par exemple avait approuvé une augmentation de 60% du salaire minimum et après le Coup d’Etat, beaucoup de patrons ont cessé de l’appliquer. Les autorités illégitimes planifient aussi leur sortie de l’ALBA et de PETROCARIBE. C’est-à-dire que toute la situation qui avait été créée pendant trois ans, a été ramenée à zéro et aucun des points de l’Accord de San José ne revient sur ces sujets.
– S’il est vrai que lors du Coup d’Etat du Venezuela la mobilisation populaire a été le facteur déterminant pour que Hugo Chávez retrouve le pouvoir, il n’est pas moins vrai que ce retour a pu avoir lieu parce qu’une partie de l’armée l’a appuyé et s’est désolidarisé des plans déstabilisateurs. A partir des commentaires des gens avec qui tu parles et de ceux du FNCGE, crois-tu qu’une partie de l’armée, au Honduras, pourrait soutenir le retour à la légitimité démocratique ?
Je ne crois pas. En fait on perçoit une forte unité. On pensait qu’avec Zelaya de retour dans le pays, certains courants ou certains hauts gradés de l’armée pourraient opter pour un autre genre de positionnement, mais avec la répression de ces jours derniers ils ont démontré que, pour le moment, ils restent fermement aux côtés du pouvoir de facto et des forces qui ont fomenté le Coup d’Etat.
Les éléments fondamentaux pour qu’un changement ait lieu c’est, d’une part, que la résistance maintienne et consolide sa présence et, d’un autre côté, comme je le disais, cela dépend des Etats-Unis, parce qu’économiquement et politiquement ils peuvent faire pression et faire céder le gouvernement de facto. Le troisième élément serait que l’armée commence à montrer des signes de division interne face à la pression internationale et face à des procès pour les violations des Droits de l’Homme survenues durant ces derniers mois.
Et précisément, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme a reconnu que des Droits de l’Homme de tout genre ont été violés. Le plan Arias contient une clause d’amnistie pour les délits politiques, mais pas pour les délits criminels suite aux violations des Droits de l’Homme envers la population. Alors cela pourrait être un élément susceptible de briser l’unité de l’armée et de la police si la communauté internationale exerçait une pression et mettait en route des procès contre ceux qui ont commis des excès dans l’exercice de leurs fonctions.
– Si on n’a rien à attendre de l’armée ni de la Police, il ne reste que la pression du peuple. Le fait qu’après le retour de Manuel Zelaya au Honduras Micheletti ait déclaré vouloir s’entretenir avec lui, moi je vois ça comme une preuve de faiblesse de sa part face au constat que la société civile est toute dans la rue. Cependant, est-ce que tu perçois une pression suffisante pour conduire les putschistes à abandonner le pouvoir ?
Jusqu’à présent, non. Je crois que les auteurs intellectuels et matériels du Coup d’Etat n’avaient pas prévu une riposte de la part des gens de l’ampleur que nous connaissons. Ils prévoyaient sans doute qu’il y aurait des révoltes et des protestations sur un court laps de temps et qu’ensuite ils pourraient poursuivre l’application de leur plan. Ils n’avaient pas prévu non plus, je crois, la réponse immédiate et forte de la communauté internationale dans le sens que celle-ci a isolé le Honduras, qu’ils l’ont exclu de l’OEA et qu’à l’ONU, ils ont refusé d’approuver le Coup d’Etat et de reconnaître le gouvernement de facto.
Mais, je le répète, je crois qu’il en faut beaucoup plus pour que le gouvernement illégitime tremble sur ses bases. Un élément important c’est la présence de Manuel Zelaya dans le pays ce qui a provoqué une explosion de joie et d’optimisme dans le peuple. Assurément, un autre élément c’est que la communauté internationale peut exercer une pression comme je le disais.
Cela peut conduire le gouvernement de Micheletti à un dialogue qui, à mon avis, est une arme à double tranchant, car il peut limiter la liberté de mouvement dont disposait Zelaya avant le putsch pour mettre en route de nouveaux projets à l’avantage du peuple du Honduras.
S’il y a un dialogue pour obliger le gouvernement de facto à abandonner la présidence, mais si on lui accorde pratiquement quoi que ce soit en échange et si le seul point important c’est que Zelaya soit rétabli dans ses pouvoirs pour un mois et demi, jusqu’à la tenue des élections, moi je crois que cela pourrait provoquer une division entre le président Zelaya et la résistance.
– Je sais que tu dois à nouveau être présent dans les rues de Tegucigalpa sans tarder ; je te pose donc ma dernière question : Est-ce que la répression a redoublé de puissance ces derniers jours ?
La répression a toujours été massive et totalement injustifiée parce que les gens étaient pacifiquement rassemblés devant l’ambassade du Brésil pour fêter le retour de Zelaya. Il n’y a eu aucun trouble ni saccage et, soudain, la police est arrivée, a fait feu et a lancé des grenades lacrymogènes. Cette brutalité policière s’est poursuivie durant les jours qui ont suivi le retour de Zelaya, particulièrement dans les barrios où les gens manifestent. Le quartier où se situe l’ambassade du Brésil a été occupé par l’armée et dans certains immeubles les militaires ont délogé les habitants et occupé les locaux.
Par ailleurs, un couvre feu a été décrété à partir de 16 H ce qui a pour effet de paralyser le pays et cela à cause du gouvernement de facto lui-même. Cela empêche beaucoup de gens de réaliser leurs tâches quotidiennes : acheter de l’eau, des vivres, faire le plein de carburant, etc…
Le couvre-feu et les manifestations permanentes ont entraîné l’arrestation d’un grand nombre de personnes, leurs transfert dans des commissariats et même leur concentration dans un stade de baseball aménagé dans ce but. On compte aussi de nombreux blessés par balles. Mercredi 23, nous sommes allés à l’hôpital universitaire (le plus important de Tegucigalpa) et aux urgences ils nous ont avoué que, la veille, ils avaient admis plus de 20 personnes, la plupart avec des blessures causées par des armes à feu. C’est la preuve que la police et l’armée n’utilisent pas des munitions en caoutchouc.
Les putschistes ont aussi établi un isolement médiatique au niveau national pour contrôler l’information et créer l’image fausse d’un Honduras où tout est normal. Pratiquement tous les médias ont pris le train en marche, excepté Radio Globo, Radio Progreso et Canal 36 et de nombreuses radios communautaires situées dans tous les départements ce qui permet à l’information authentique de passer, de circuler et de parvenir aux gens. Les autres médias, presse, radio et télévision, sont contrôlés non par le gouvernement de facto, mais par leurs propriétaires et actionnaires qui font partie des puissances qui, au dire de la résistance, ont orchestré le putsch.
Ces quelques médias indépendants ont été réprimés et on les a empêchés de fonctionner. Le 23 septembre, par exemple, Canal 36 a passé en boucle, toute la journée, un message qui accusait l’entreprise de télécommunications d’avoir perturbé le signal hertzien de la chaîne ce qui entraînait qu’elle n’était visible qu’à Tegucigalpa. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Mais depuis le 28 juin cela s’est répété très souvent. Il y a un mois, cette même chaîne a été victime d’un attentat contre son antenne et pendant deux semaines ses émissions ont été coupées. Des faits semblables ont eu lieu également en ce qui concerne Radio Globo et, en ce moment, par exemple, on ne peut pas capter cette station sur Internet.
Traduit par Manuel Colinas pour Investig’Action.
Source: El Parque de las Hamacas