D'aucuns ont affirmé début 2005 que les Etats-Unis envisageaient de recourir en Irak à ce qu'on appelle désormais “l'Option Salvadorienne.
http://www.zmag.org/sustainers/content/2007-01/24herman.cfm
” À l'instar de ce qui avait été mis en pratique au Salvador en 1980, les Forces Spéciales U.S. prendraient alors en charge la formation d'escadrons paramilitaires pour traquer et assassiner les dirigeants rebelles et leurs supporters. [1] Un an plus tard, il fut rapporté que des sommes considérables avaient été allouées à la création d'une unité paramilitaire pour l'Irak, basée hors du pays, et que ces fonds avaient plus généralement vocation à “soutenir l'initiative américaine de créer une force de sécurité irakienne vengeresse et meurtrière.” [“a lethal and revengeful Iraqi security force”] On pouvait donc s'attendre à “une vague d'exécutions extrajudiciaires” de rebelles armés, mais aussi de “nationalistes et autres opposants à l'occupation américaine, ainsi que de milliers de civils Baasistes.” [2]
L'augmentation considérable de la proportion de victimes et le constat d'assassinats pléthoriques et de massacres perpétrés par des hommes en uniformes, suggère que ladite “Option Salvadorienne” a depuis bel et bien été mise en place et qu'elle ne chôme pas, quoiqu'elle n'ait encore pu assurer la victoire ni des leaders chiites, ni de leurs milices, ni de leurs sponsors.
Outre “l'Option Salvadorienne”, les militaires américains ont par ailleurs intensifié leurs propres activités et se sont lancés dans une série “d'assauts”, au nombre desquels l'écrasement de Fallujah, puis sur le même modèle, une ville après l'autre, à une tentative d'écrasement de la résistance sunnite et d'anéantissement de ses bases à travers tout le pays, marquée dans les zones majoritairement sunnites par le recours à une puissance de feu démesurée et très largement aérienne. Au cours de ces actions, l'usage à volonté d'une puissance de feu colossale et une quasi totale indifférence au nombre de victimes civiles, se sont soldés chez ces dernières par un bilan particulièrement lourd dans les régions visées. Les civils y pâtissent en outre du fait que les troupes d'occupation ne parlent pas un mot de leur langue et redoublent d'agressivité lorsqu'elles comptent elles-même des pertes, tombées sous le feu d'une résistance qui vit parmi la population locale. L'occupant n'en est que plus impitoyable et l'on assiste à une multiplication des cas de massacres de masse délibérés, comme à Haditha. [3]
C'est littéralement un retour à ce qu'était la politique U.S. pendant la guerre du Vietnam. À l'époque le recours à la torture, à une multitude de massacres identiques à celui d'Haditah, à une puissance de feu colossale, au napalm, aux tapis de bombes des B-52 et aux armes chimiques contre des zones rurales et forestières [la principale richesse du pays], fit plusieurs millions de victimes et laissa le pays ravagé, économiquement anéanti, et une population traumatisée comptant d'innombrables blessés [brûlés, amputés ou] intoxiqués chimiquement.
Il est important de souligner que les campagnes les plus violentes, incluant aussi bien le massacre de My Laï et une pléthore de massacres semblables, que le recours massif au napalm et aux défoliants à base de dioxine, frappèrent la partie sud du pays, celle que les Etats-Unis prétendaient “défendre” contre une invasion nord-vietnamienne. Les seules méthodes de l'armée américaine suffisent à démontrer combien sa prétendue intention de protéger et de sauver [le Sud-Viêt-nam] était fallacieuse. Force est de constater que si des atrocités d'une telle ampleur purent être ainsi généralisées dans le Sud plutôt que dans le Nord, c'est que le Sud, précisément, se trouvait alors sous le contrôle des forces d'occupation U.S. et du gouvernement fantoche qu'elles y maintenaient, de sorte que contrairement au Nord, les monstrueuses exactions qui y étaient commises à l'encontre des populations rurales, pouvaient être assez facilement occultées sans vraiment soulever l'indignation de l'opinion internationale.
On pourrait qualifier l'intervention américaine au Viêt-nam “d'Option Génocidaire”, dans la mesure où l'extermination et le niveau de destructions y furent infiniment supérieurs à tout ce qui put jamais être mis en oeuvre au Salvador, allant jusqu'à mettre en péril la survie même des populations du Sud-Viêt-nam. Là aussi, l'armée américaine forma des “escadrons de la mort”, rendus célèbres au cours de l'Opération Phœnix par l'assassinat de quelque 40 000 responsables du FNL (Front National de Libération), parmi les innombrables autres victimes de ce programme d'extermination.
Si effroyables qu'ils aient pu être, les escadrons de la mort salvadoriens ne purent jamais surpasser en horreur le degré de violence que les Etats-Unis avaient déchaîné contre les lointaines populations paysannes du Sud-Viêt-nam. À l'exception de l'armement nucléaire, l'arsenal Hi-Tech U.S. y fut intégralement déployé et mis en oeuvre – pour une bonne part testé sur les victimes expérimentales – dans des proportions ahurissantes et sans la moindre retenue. La “communauté internationale” pour sa part ne protesta que du bout des lèvres.
À partir de 1967 le niveau de violence était tel que l'universitaire Bernard Fall, spécialiste du Viêt-nam, lança cet avertissement : “Le Vietnam, comme entité culturelle et historique, est menacé d'extinction… les zones rurales agonisent littéralement sous les coups de la plus énorme machine de guerre jamais lâchée contre une région de cette taille.” [4] Au Sud, sur 15 000 villages, 9 000 ont déjà été partiellement ou intégralement détruits, de même que plus de dix millions d’hectares de champs et cinq millions d’hectares de forêts. Un million et demi de bestiaux ont été tués, et la guerre a fait un million de veuves et quelque 800 000 orphelins. Les opérations de défoliation chimique ont pris énormément d'ampleur, leurs effets pourraient affecter de nombreuses générations avant de s'inverser et ont déjà produit une génération supplémentaire d'enfants malformés [5] (on en comptait déjà environ 500 000 il y a dix ans, selon une estimation de 1997).
De part ses proportions et la menace contre la survie même des populations visées comme de part l'exigence de cessation de toute forme de résistance conditionnant la fin des hostilités, cette agression était purement et simplement génocidaire. Comble d'abjection, les autorités U.S. réaffirmèrent fréquemment que le mépris de la vie qui caractérisait les Vietnamiens s'exprimait très clairement dans leur refus de déposer les armes ! Au regard de tels faits, la décision du Tribunal International pour la Yougoslavie, organisé par l'OTAN, de considérer qu'un génocide avait bien été commis par ses ennemis de la veille (Radislav Krstic et les Serbes de Bosnie) au prétexte que les massacres – dont les femmes et les enfants avaient explicitement été exclus – auraient pu mettre un terme à la viabilité d'une unique bourgade de Bosnie, n'est qu'une démonstration supplémentaire d'impudence occidentale. Mais un autre aspect de la guerre du Vietnam mérite d'être rappelé aujourd'hui, du début à la fin du conflit on prétexta aux Etats-Unis que la poursuite des opérations était le seul moyen d'éviter le “bain de sang” qu'entraînerait un retrait précipité des troupes ! Il était donc indispensable de poursuivre ce gigantesque et génocidaire carnage, pour en éviter un parfaitement hypothétique, et qui ne se produisit jamais. [6]
Cette même “Option Génocidaire” menace actuellement l'Irak, où les Etats-Unis se trouvent à nouveau engagés dans une action militaire directe contre une autre population sans défense – contrairement à ce qui se passait au Salvador, où leur intervention était indirecte. La technologie militaire a depuis considérablement évolué et la totale immoralité des décideurs ainsi que leur détermination à ne pas lésiner sur les massacres pour parvenir à leurs fins est désormais sans équivoque. Pour ces derniers, il est important que les pertes américaines sur le terrain demeurent minimes, car elles ont un réel effet négatif sur la volonté nationale de poursuivre l'engagement jusqu'à la “victoire”(ou d'éluder temporairement la reconnaissance d'une défaite). S'il faut en passer par une intensification des bombardements et des exactions, fut-ce au prix d'un accroissement substantiel du nombre des victimes civiles irakiennes, on continuera ostensiblement sur la même voie. En outre toutes les précautions sont prises pour que les médias ne puissent pas témoigner des méthodes de pacification appliquées aux villes à majorité sunnite (méthodes dont seul le courage de rares journalistes occidentaux indépendants et d'Al Jazeera empêche la totale occultation).
“L'assaut général” de Bush n'est qu'une manœuvre désespérée, et dans un contexte d'hostilité politique croissante à l'envoi de davantage de troupes en Irak, où les pertes américaines passent mal, il y a fort à parier que la réponse de Bush sera une intensification des attaques contre Bagdad et les autres villes ou villages où les insurgés se mêlent aisément à la population civile. Bush a même prévenu les citoyens U.S. que les pertes et l'horreur augmenteraient “même si notre stratégie marche exactement comme prévu.” Enfin, du fait du recours à “l'Option Salvadorienne” non moins que de la manipulation par les Américains des tensions interconfessionnelles, [7] l'invasion-occupation a en outre généré une guerre civile où chiites et sunnites se lancent dans des opérations communales de nettoyage ethnique et de massacres qui ne font qu'alourdir le total des victimes.
Il est donc plus que probable que la proportion de civils tués dans le conflit irakien ne tardera pas à dépasser très largement les estimations de 655 000 morts récemment publiées par The Lancet. Si un “génocide” à été commis en Bosnie, où les analystes officiels concluaient récemment – non sans quelque embarras, étant donné le total jusque là communément admis de 250 000 victimes – qu'environ 100 000 personnes, civils et militaires de tous bords confondus, avaient trouvé la mort au cours du conflit bosniaque, [8] alors à fortiori la seule période de 2003-2006 constitue bien un cas de génocide avéré. Le président Bush est sur le point d'en aggraver incessamment les proportions, au vu et au su des démocrates et de l'ONU, et ces derniers ne lèveront pas le petit doigt pour arrêter l'hécatombe.
Ça ne serait pas merveilleux si la démocratie fonctionnait réellement et si un vote populaire contre la guerre suffisait à y mettre un terme ? Ça ne serait pas merveilleux si les systématiques deux poids deux mesures qui prédominent à l'heure actuelle ne nous étaient si grossièrement assénés et si les responsables avérés de cet authentique génocide pouvaient se voir traînés devant un véritable tribunal dans l'intérêt d'une vraie justice internationale avant qu'ils ne recommencent ?
Appels de notes :
1. Michael Hirsh et John Barry, "'The Salvadoran Option'," Newsweek, 14 janvier 2005.
2. Cité dans "Civil War in Iraq: The Salvadoran Option and US/UK Policy," de Craig Murrary, http://www.uruknet.org.uk/?s1=1&p=27587&s2=20.
3. Tom Engelhardt, "Collateral Damage: the 'Incident' at Haditha"
http://www.truthout.org/docs_2006/printer_060806O.shtml;
Chris Floyd, "Lesson Plan" http://www.moscowtimes.ru/stories/2006/06/02/120.html;
Linda Heard, "Media and Tal Afar": http://www.iraq-war.ru/article/63044; Ghalil Hassan, "Iraq: A Criminal Process," Global Research, 27 novembre 2005.
4. Bernard Fall, Last Reflections on a War (New York: Doubleday, 1967).
5. Peter Waldman, "Body Counts: In Vietnam, the Agony of Birth Defects Calls an Old War to Mind," Wall Street Journal, Dec. 12 décembre 1970.
6. Gareth Porter, "The Bloodbath We Created,"
http://www.commondreams.org/views06/1214-32.htm
7. Ibid.
8. Cf. Ewa Tabeau et Jakub Bijak, "War-related Deaths in the 1992-1995 Armed Conflicts in Bosnia and Herzegovina: A Critique of Previous Estimates and Recent Results," European Journal of Population, Vol. 21, No. 2-3, June, 2005, pp. 187-215, www.yugofile.co.uk/onlynow/EJP_all.zip Voir aussi l'étude de Mirsad Tokaca et al., à paraître au Centre de Recherche et de Documentation de Sarajevo, qui publie un mois après l'autre sur sa page Internet "The Status of Database by the Centers", une mise à jour les dernières estimations officielles du nombre de victimes imputables au conflit.
http://www.idc.org.ba/aboutus/Overview_of_jobs_according_to_% 20centers.htm.
Apparemment contrôlés en sous main par la Brigade Badr, la principale milice chiite, les escadrons de la mort chiites terrorisent les populations sunnites. Les chiites commencent à s'impatienter mais leurs dirigeants leur demandent de consolider leur position de force au sein du gouvernement après leur victoire électorale de janvier.
Traduction : Dominique Arias