Hôpitaux et camps de réfugiés bombardés, cadavres d’enfants tirés des décombres, des villages détruits… Comment ne pas défendre Gaza, victime des crimes de l’armée israélienne ? En France, le gouvernement Macron a allumé un contre-feu pour empêcher la solidarité avec les Palestiniens. Comme l’explique Michèle Sibony de l’Union Juive Française pour la Paix dans cette intervention à la soirée spéciale Gaza du 3 novembre 2023 au théâtre de la Belle Étoile, les autorités françaises créent un dangereux amalgame entre antisionisme et antisémitisme, censurent les critiques légitimes contre la politique d’Israël et induisent une complicité des musulmans avec le terrorisme de Daesh. Inquiète de la montée des actes antisémites, Michèle Sibony pointe très clairement la responsabilité du gouvernement français dans cette analyse brillante. (I’A)
Feu allumé en avant d’un incendie pour en empêcher la propagation (définition du cnrtl)
Depuis le 7 octobre, et ses conséquences prévisibles, la terrible réplique israélienne sur Gaza, il s’est agi pour le gouvernement français de construire, puis d’allumer un contre-feu. Il n’était pas question de permettre à l’opinion française de défendre Gaza dans l’inéluctable vengeance appelée par Netanyahu, son gouvernement et l’armée israélienne.
Comment construire un contre-feu, qui empêche l’attention de se porter vers les plus de 10 000 Palestiniens tués par l’armée israélienne à Gaza, les bombardements d’écoles, d’hôpitaux, de camps de réfugiés, la destruction totale des villes et villages ramenés au ground zero…
En France, et en Europe, le meilleur contre-feu pour détourner l’attention de ce qui se passe en Palestine, c’est les juifs français – tout prêts pour certains d’entre eux à se prêter au rôle qu’on leur réserve – Et si ça provoque des morts, eh bien ce sera comme pour les otages israéliens considérés par leur gouvernement : à passer par pertes et profits..
L’antisémitisme comme toutes les autres formes de racisme, n’est pas une essence, il n’est inscrit dans l’ADN de personne, par contre il se stimule, il se provoque, il se fabrique … la responsabilité de ceux qui gouvernent un pays, et de ceux qui détiennent les clés de tous les grands media est directement engagée dans ce processus. Et les prises de position idéologiques de ce gouvernement produisent des effets dans le réel.
Le simple fait que le président martèle l’amalgame antisionisme = antisémitisme depuis des années, ce qui conduit aujourd’hui à un projet de loi porté par 16 sénateurs, afin de pénaliser l’antisionisme, participe de ce processus. Si toute critique d’Israël est antisémite…alors beaucoup de gens qui critiquent et s’opposent à la politique d’Israël sont poussés vers l’antisémitisme. Tout le travail de l’UJFP consiste à desserrer cet étau, et ce piège. Être antisioniste c’est faire de la politique, critiquer ou contester une idéologie. Être antisémite c’est être raciste, c’est haïr les juifs pour ce qu’ils sont. On peut certes cumuler, mais l’antisionisme est légitime et l’antisémitisme non.
M. Darmanin (le ministre qui adopte les thèses racistes de Napoléon contre les juifs dans son livre sur le séparatisme islamiste) lorsqu’il parle des plateformes en ligne et condamne ceux qui appellent à la haine des juifs OU à la haine d’Israël, amalgame à nouveau juifs et Israéliens.
Lorsque le 12 octobre Macron, le président qui voulait réhabiliter Maurras, et Pétain, déclare son soutien ferme à la communauté juive de France et affirme sa condamnation sans équivoque des actions du Hamas contre Israël, réaffirmant l’engagement de l’Hexagone en faveur de la paix et de la lutte contre le terrorisme, il assimile les juifs français aux Israéliens victimes de l’attaque du Hamas. Il les considère au fond comme un arrière front israélien, en France. Alors qu’en réalité c’est lui, qui par son soutien à la guerre coloniale d’Israël, fait de la France un arrière front.
Quand on désigne immédiatement partout les musulmans comme complices des crimes du Hamas, qu’on assimile à ceux du Bataclan, afin de forcer une double identification : celles des Français victimes du terrorisme de Daesh avec les Israéliens victimes du 7 octobre, et identification du terrorisme là bas et ici comme un terrorisme islamiste, on pose les bases du contre-feu. On fait porter à la communauté arabo-musulmane la responsabilité de l’« importation du conflit ». C’est ce que confiait un cadre du parti renaissance au journal Sud Ouest à propos des déclarations de Darmanin : « il déplace la focale sur lui et de fait sur l’ensemble de la majorité qui malheureusement peut être associée à ces propos ». « Il le fait alors que ça fait deux semaines que le président nous répète à nous, et aux Français : pas de suspicion, pas d’importation du conflit. Si on voulait faire l’inverse, on ne s’y prendrait pas autrement ».
Messieurs Darmanin et Macron en annonçant et répétant leur soutien inconditionnel à Israël, qui a le droit de se défendre, et en annulant tout le contexte colonial et répressif israélien dans lequel l’attaque s’est produite, ont eux même largement contribué à l’importation qu’ils dénoncent, par de nombreuses déclarations. Des déclarations initiales qui se sont avérées toutes inexactes et de nature à encourager l’assimilation d’actes commis sur le territoire national à des réponses à ce qui s’était passé en Israël.
On peut ainsi lister les déclarations hâtives et anxiogènes du ministre de l’intérieur, sur l’assassinat d’un professeur à Arras, où« « d’après mes renseignements, il y a un lien entre le passage à l’acte d’Arras et ce qui s’est passé au Proche-Orient ». Le parquet national antiterroriste a démenti tout lien au moment de la mise en examen de l’auteur.
À Cannes un fait divers fait dire au ministre avec un sous-entendu à peine dissimulé de qualification terroriste : « À Cannes, de courageux policiers de la BAC viennent d’interpeller un homme très dangereux porteur d’un couteau qui avait voulu s’en prendre à un individu, ils ont évité le pire ». Le maire LR de Cannes David Lisnard a répondu en dénonçant un emballement médiatique et politique « grotesque », et des « interprétations sensationnelles » après l’arrestation d’un homme ayant « menacé un commerçant avec un couteau. »
Puis, c’est le président de la République qui évoque une autre tentative d’attentat, à Limay, dans les Yvelines. L’homme interpellé à Limay a été condamné en comparution immédiate à six mois de prison pour port d’arme prohibé. Il avait été arrêté en possession d’un couteau non loin d’un lycée, une infraction de droit commun, aucunement des faits de terrorisme.
Enfin le ministre de l’Intérieur accuse Karim Benzema d’être « en lien notoire avec le mouvement des Frères musulmans » après un tweet où il prie pour les enfants victimes des bombardements à Gaza. « Faux, démarche purement opportuniste » a répondu le Footballeur qui l’attaque en diffamation.
Cécile Mamelin, la vice-présidente de l’Union syndicale de magistrats résumait ainsi : « Ce n’est absolument pas le bon timing que de créer une sorte de psychose, de laisser entendre qu’on a déjoué des attentats alors qu’il s’avère en réalité qu’il s’agit de faits qui n’ont pas du tout la nature d’attentats. »
On peut légitimement s’interroger sur le sens à donner et les conséquences recherchées par toutes ces déclarations.
Le ministre de l’intérieur annonce en même temps, dès les premiers jours suivant le 7 octobre, plus de 100 tags antisémites présentés comme des « actes » et l’interdiction de manifester pour soutenir Gaza, le message est adressé directement aux musulmans : vous êtes tous suspects, dangereux et vous devez vous taire. Il annonce aujourd’hui plus de 800 actes antisémites.. C’est beaucoup trop, et c’est dangereux.
L’impossibilité d’exprimer une légitime colère, l’impossibilité de débattre, et d’exprimer ses opinions politiques et ses idées, sur aucun media, la suspicion généralisée dictée à son encontre, (Pourquoi Mbappe se tait-il… Pourquoi Benzema parle-t-il…) renvoie toute une population déjà très ostracisée en France vers la haine, et même le possible passage à l’acte, en ne lui permettant aucun accès à la dimension politique qui l’intéresse légitimement : mais au fond, n’est ce pas ce que l’on attend d’elle. L’écrasante majorité de la population arabo-musulmane visée est consciente de la situation, et ne tombe pas dans le piège. Mais ses marges les plus fragiles, risquent le passage à l’acte contre des innocents, faisant ce qu’on attend d’elle. Et cela ne pourra qu’alimenter le contre-feu ici.
Parallèlement, Israël, le lobby pro israélien français, et toujours notre gouvernement et nos médias procèdent aussi à une autre équivalence : israélien= juif. L’attaque des 7 et 8 octobre est qualifiée de pogrom (tuer des juifs parce que juifs, entend-t-on en boucle dans les médias… ). À cette étape, seule la manifestation du Crif en soutien à Israël avait été autorisée, alors que personne ne pouvait même évoquer les pogroms dans les villages palestiniens de Cisjordanie, cette seconde assimilation des juifs et des Israéliens, offre ainsi la communauté juive en bouc émissaire à la colère.
Retourner la colère légitime contre Israël, vers les juifs en général, les mettre en danger en même temps que les placer sous la responsabilité protectrice de l’État, voilà qui est de nature à nous rassurer en effet ! Ce qui est frappant d’ailleurs, c’est le silence de la plus grande partie de la communauté juive, tétanisée par l’attaque du 7 octobre, elle ne l’est pas moins par l’horreur de la vengeance infligée à Gaza. Dans la tourmente médiatique et politique qui accompagne ces drames, elle ne trouve pas de place à s’exprimer. Comme beaucoup d’autres Français de toutes origines d’ailleurs. Pas de place pour s’exprimer : instrumentalisation des moindre mots, une catégorie médiatique recrutée sur tous les plateaux, et qui obscurcit toute possibilité de penser (que dire sur les morts du sud d’Israël et ceux de Gaza après avoir entendu, Fourrest, Enthoven, Horviller et d’autres … nous expliquer que ça dépend de qui tire ! Et « malheur à qui ne peut faire la différence »).
Ce qui aurait aidé : le gouvernement français aurait pu et dû tout en condamnant la violence de l’attaque du 7 octobre, rappeler le contexte terrible de l’occupation dans lequel elle s’est produite : et je citerai ici De Gaulle au lendemain de la guerre de 67 « … Israël ayant attaqué s’est emparé en six jours de combats, des objectifs qu’il voulait atteindre, maintenant il organise sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion, et il s’y manifeste contre lui la résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme, il est vrai que les deux belligérants observent pour le moment de manière précaire et irrégulière le cessez le feu prescrit par les Nations unies, mais il est bien évident que le conflit n’est que suspendu et qu’il ne peut pas avoir de solution sauf par la voie internationale. Mais un règlement dans cette voie, à moins que les Nations unies ne déchirent elles-même leur propre charte, un règlement doit avoir pour base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force…
Le gouvernement français aurait pu et dû reconnaître le droit de tous et de chacun à l’expression sur la catastrophe en train de se produire à Gaza, sur laquelle lui-même ne dit quasiment rien. Le droit de désigner Israël comme coupable de l’occupation et de la persécution de la population palestinienne. Ce droit n’est pas de l’antisémitisme, c’est le même qui désignait les États-Unis comme responsables de la guerre du Vietnam, la France comme responsable des guerres de décolonisation. Et personne n’aurait parlé de racisme anti-américain ou de racisme anti-français. Dans les guerres, il y a des responsabilités, les rechercher, les désigner ce n’est pas du racisme, c’est une action politique. La puissance occupante et assiégeante porte à l’évidence une responsabilité majeure dans tous les épisodes sanglants de résistance comme de répression. La désigner ce n’est pas de l’antisémitisme, cela le devient quand on cherche à désigner les juifs, tous les juifs comme porteurs du projet israélien. Et cela c’est un mensonge d’État construit et élaboré pour soutenir la puissance occupante.
Il peut et doit appeler à un cessez le feu immédiat sur la Bande de Gaza, et exiger ce cessez le feu en mettant tout son poids et sa responsabilité de grande puissance en jeu. Faute de quoi il prend le risque assumé de ce qu’il a cherché à produire, une hostilité grandissante contre les juifs de ce pays qu’il considère lui même comme tous partisans de la politique éradicatrice d’Israël envers les Palestiniens. Cela c’est d’abord la position de notre gouvernement actuel, ce n’est pas celle de tous les juifs de France.
Alors oui, nous sommes très inquiets de la montée des actes antisémites, parce qu’elle participe de la confusion qui évite de désigner les responsabilités politiques, et nous ne voulons pas servir de contre-feu à la légitime colère politique qui peut et doit s’exprimer contre le gouvernement israélien et sa terrible décision d’éradiquer Gaza. La responsabilité du gouvernement est engagée, il ne nous protège pas, il nous sacrifie à sa cause de défense d’Israël.
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