Michel Collon vient de publier « Pourquoi Soral séduit ». Avec en sous-titre une série de mots qui peuvent paraître provocants : « banques, juifs, complots, capitalisme, crise, guerres, Israël, Front National, classes, PS, francs-maçons. Fantasmes et réalités. »
Ce livre en étonnera plus d’un. Pour certains en effet, Collon et Soral partagent le même combat contre les guerres de l’Otan ou le sionisme. Pour d’autres, ils défendent les mêmes dictatures et les mêmes thèses complotistes. Alors, Collon et Soral, même combat? « Non, répond le fondateur d’Investig’Action. Ce nouveau livre est l’occasion ou jamais de clarifier tout cela. C’était nécessaire, car, comme je le démontre dans mon bouquin, les idées de Soral mènent dans l’impasse. »
Pourquoi avoir écrit un livre sur Alain Soral?
Eh bien, que cela plaise ou non, il faut constater les faits. Alain Soral est, à mon avis, l’intellectuel français le plus influent auprès des jeunes. Son livre Comprendre l’Empire s’est vendu à plus de cent mille exemplaires en trois ans. Ses vidéos, longues et payantes, battent des records d’audience.
Entre les scandales, les procès et les divisions au sein de son mouvement, Soral n’a-t-il pas perdu de son aura ?
Il a toujours une grande influence. Moi-même, je rencontre régulièrement des jeunes, voire des moins jeunes qui l’apprécient. Mais surtout, ses idées ne sont pas vraiment nouvelles. Elles existaient avant lui et continueront d’exister après lui. Un personnage moins clivant pourrait les reprendre. C’est donc sur ce terrain-là que je me suis engagé. Certains ont déjà écrit des articles sur la personnalité sulfureuse de Soral. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de décortiquer les thèses qu’il défend.
Mais il défend la cause palestinienne et dénonce les guerres de l’Otan. Comme vous. Alors, pourquoi le critiquer ?
A première vue, ses raisonnements et ses analyses semblent correspondre à certaines impressions de bon sens. Mais j’ai fait l’effort de lire plusieurs fois son livre Comprendre l’Empire. Je l’ai analysé de près. Ma conclusion : il est incapable de mettre en lumière ces mécanismes du capitalisme qui conduisent aux guerres de l’Otan ou au colonialisme d’Israël. Au lieu de ça, Soral voit des complots partout et construit des histoires qui ne tiennent pas debout, une fois qu’on gratte un peu. C’est du roman.
On ne peut tout de même pas nier qu’il dénonce le système, la propagande de guerre ou la domination des marchés. Même s’il le fait autrement, ce n’est pas une bonne chose?
Il est très positif que beaucoup de gens se méfient des médias traditionnels et des explications officielles. Ils cherchent « autre chose ». Pour beaucoup, Soral est un premier pas.
Vous voyez !
Mais, pour contester ce système, et surtout pour lui résister, il faut aller plus loin que ce premier pas. Regarder le spectacle de quelqu’un qui dit merde au système, ça peut faire du bien, un instant, sur le plan psychologique. Cependant, râler ne suffit pas. Ce système, il faut pouvoir le remplacer ! Construire un monde meilleur. Cela ne sera pas possible avec un chef ou un « gourou ». Il faut une force bien plus grande : la participation active de millions de gens ici et dans le monde.
Pour cela, les gens ont besoin non pas des « coups de gueule » superficiels mais des meilleures analyses possibles. Pour savoir comment changer ce système. Et pour commencer le travail : en étant capable de convaincre autour de soi.
Et quelles analyses apportez-vous avec ce livre ?
Ce que j’ai appelé « les 7 contradictions d’Alain Soral : 1. Où se trouve la plus grande fortune du monde ? 2. Quelle est la cause fondamentale des injustices et de l’inégalité ? 3. D’où proviennent les crises économiques ? 4. Y a-t-il un bon et un mauvais colonialisme ? (car Soral se montre plus qu’ambigu sur la question de la colonisation, des rapports Nord-Sud et de la prétendue supériorité de l’homme blanc). 5. La guerre est-elle la conséquence d’un complot ou du fonctionnement même de l’économie capitaliste ? 6. Sur quelles classes sociales pouvons-nous compter pour transformer la société ? 7. Et enfin la question majeure : est-il possible de résister et de gagner ? Des questions que Soral soulève mais sur lesquelles il sème beaucoup de confusion.
« Résister et gagner » ! Le monde semble aller de plus en plus mal, et vous voilà bien optimiste !
Je pense qu’on doit avoir une vue équilibrée sur ce système capitaliste. Manifestement ses élites sont de plus en plus dans l’embarras. Oui, mon livre veut apporter de l’espoir, car le pessimisme de Soral condamne les gens à l’inaction. En prétendant qu’un petit groupe de personnes contrôle tout, on fait vœu d’impuissance et on reste dans la contestation stérile. Il me fallait donc aller plus loin et montrer les mécanismes qui permettent à l’élite de dominer notre société. Il me fallait aussi expliquer à quelles conditions les mouvements populaires (que Soral méprise) font reculer peu à peu l’élite dominante pour finalement imposer un changement de société. Nous voulons quand même tous que nos enfants vivent dans un monde meilleur, non ?
Absolument, mais certains s’étonneront que vous critiquiez Soral alors qu’il cite assez souvent Karl Marx. Avant d’aller au FN, il est passé par le parti communiste. On nous dit qu’il fait « la synthèse » des diverses théories.
En effet, il cite de temps en temps Karl Marx, mais en réalité sa pensée profonde le contredit entièrement. Je crois qu’il s’agit plutôt de citations pour « draguer » les publics progressistes. Tout comme la référence sur son site à Che Guevara.
C’est quand même bien de s’afficher « guevariste », non ?
Sauf que quand vous lisez Soral, il dit en fait tout le contraire de Che Guevara. Ecoutez, dans son livre, Soral défend Adolf Hitler et les SS. Discrètement et subtilement, c’est vrai, mais quand on relit bien son texte, il n’y a pas de doute. Comment peut-il se réclamer à la fois de Guevara et d’Hitler, son exact contraire ?
Il soutient vraiment Hitler et les SS ?
Oui, il prétend que c’étaient, je cite, des « résistants à la banque et au pouvoir de l’argent ». Mais pas du tout ! Hitler, Himmler et les SS ont été financés, mis au pouvoir et soutenus par les plus grosses banques et les plus grands industriels. Ils ont fidèlement servi le grand capital allemand. Comment peut-on ainsi raconter n’importe quoi à un public jeune qui n’a pas forcément eu le temps d’étudier tout ça ! N’est-ce pas les prendre pour des imbéciles ? Ou alors on veut recommencer cette tragédie ?
Le livre d’Alain Soral cite de nombreux faits et personnages historiques…
Oui, et j’ai donc consulté plusieurs historiens : sur l’histoire du moyen-âge qu’il décrit comme un paradis, sur les deux guerres mondiales, sur Hitler, sur le colonialisme. Tous m’ont dit : Soral déforme les faits historiques.
Pourquoi donc ?
Afin de prouver sa thèse fondamentale : que « c’était mieux avant ». Qu’il ne faut pas nous battre pour une véritable démocratie (participative) et un véritable progrès social. Mais que nous devons retourner dans le passé et faire confiance à un chef absolu style Louis XIV ou… Hitler. A ces historiens, je donne donc la parole dans mon livre. En effet, on ne peut pas comprendre le présent et préparer l’avenir sans connaître ce qui a produit la société actuelle. Nous devons nous appuyer sur l’expérience de nos parents et grands-parents, sur ces générations qui se sont battues pour nous assurer un meilleur monde.
Soral est déjà attaqué par les médias mainstream. Vous n’avez pas l’impression d’hurler avec les loups ?
Tout le monde sait que j’ai critiqué fermement les médiamensonges accompagnant les guerres. Et que les grands médias m’ont « puni » pour cela. Ne nous laissons pas impressionner. De quoi avons-nous besoin pour agir ? D’une véritable confrontation des idées. Or, notre société empêche les vrais débats. Puisque les idées complotistes ont une grande influence, la solution n’est pas de fuir le débat ou de l’étouffer, mais au contraire de le développer. Surtout avec les jeunes influencés par ces tendances. Une grande part de notre jeunesse est désorientée, sans repères. Le désespoir et le nihilisme sous diverses formes.
A gauche particulièrement, on constate cette manie de ne débattre qu’avec les gens avec qui on est plus ou moins d’accord. J’y vois un « sectarisme de la trouille ». Les élites ont peur que le peuple intervienne dans la bataille des idées. Moi au contraire, je lui fais confiance et j’appelle à ouvrir le débat sans exclusives. Qui a peur du débat ?
Si vous critiquez Soral, estimez-vous qu’on ne peut mener des luttes qu’avec des gens qui pensent comme nous?
Au contraire. Dans les luttes concrètes (dont Soral est absent, il ne propose rien de concret pour résister au système), dans ces luttes, nous devons nous unir largement sur des objectifs immédiats et précis. L’analyse ne suffit absolument pas. Seule l’action concrète collective permettra de défendre les revenus et les droits des travailleurs, d’arrêter la politique des multinationales guerrières et racistes, de reprendre confiance et ainsi de changer le rapport de forces.
Contrairement à Soral, je pense que la lutte de la masse des travailleurs est le seul facteur capable de changer la société. Et pour cela nous devons nous unir, sans sectarisme. Les ouvriers, les employés, les fonctionnaires forment la grande masse du monde du travail. En prenant conscience de leur force, en s’organisant (et en tendant la main aux petits patrons qui se font de plus en plus écraser par les multinationales, les banques et tous ces super-riches qui surexploitent, ne paient pas d’impôt et détruisent la vie sociale), ces travailleurs sont capables de construire la force qui permettra de remplacer ce système inhumain. Nous unir aussi entre chrétiens, juifs, musulmans et non croyants afin de résister au racisme et aux divisions par lesquelles les Etats-Unis et les élites en général tentent de nous affaiblir.
En critiquant Soral, ne faites-vous pas le même jeu qu’une certaine gauche morale qui divise la résistance anti-impérialiste en dénonçant les complotistes et les confusionnistes?
Non ! Dans mon livre, je suis très clair à ce sujet. Cette « gauche » qui se dit à gauche du PS porte une lourde responsabilité dans la montée de personnages comme Soral. En désertant le mouvement anti-guerre, elle a laissé un boulevard à l’extrême-droite. Capitulant devant les guerres de l’Otan, refusant le débat au sein de la gauche et se contenant de coller des étiquettes insultantes, elle effraie ainsi les gens qui sont en recherche. Un examen de conscience s’impose.
Vous parlez d’extrême-droite. Le clivage gauche-droite a-t-il encore du sens aujourd’hui ?
Oui. A condition de ne pas confondre la gauche avec le PS qui a viré du rouge au rose pâle et puis au bleu néo-libéral. Ce PS est devenu un gestionnaire du système capitaliste et il est donc normal que les gens ne fassent plus la différence entre cette pseudo-gauche et la droite.
Cependant, pour moi, l’opposition reste valable. C’est quoi, la droite ? La force qui défend les intérêts du 1%. Elle veut absolument conserver ces règles du jeu économique qui permettent à la classe des milliardaires de construire des fortunes colossales sur le dos des travailleurs. Et c’est quoi, la véritable gauche ? La force qui combat cette injustice et défend les travailleurs : ces 99% qui créent la richesse, mais se font exploiter, voler même, par le 1%. Nous vivons dans un monde dominé par des parasites. Au Nord et au Sud.
Maintenant si quelqu’un veut appeler ça autrement que « gauche – droite », je n’ai pas de problème. Ne nous bloquons pas sur des étiquettes, débattons du fond. Avec tout le monde.
Peut-on dire que vous êtes d’extrême-gauche ?
Je ne me sens pas « extrémiste », mais réaliste. Le monde ne peut pas continuer ainsi ! Les véritables « extrémistes » ce sont ceux qui défendent le « tout pour le profit », ceux qui détruisent la Nature pour augmenter leurs bénéfices, ceux qui déclenchent des guerres pour les matières premières, ceux qui provoquent des migrations forcées en détruisant des pays comme la Libye, la Syrie, ceux qui renversent des dirigeants indépendants comme Gbagbo en Côte d’Ivoire ou Zelaya au Honduras, ceux qui soutiennent des coups d’Etat fascistes en Ukraine et au Venezuela. Dites « gauche radicale » si vous voulez. Mais surtout, parlons du fond : que faire avec le capitalisme ?
Vous parliez du « Sud » ? Le colonialisme, c’est pas terminé ? Pourquoi ressasser ?
Non, le néocolonialisme a succédé au colonialisme, il est moins visible et plus sournois, donc encore plus dangereux. Si dans le Nord, on vit encore plus ou moins bien (et de moins en moins bien en fait pour la majorité), c’est parce que nos élites ont tellement pillé le tiers monde qu’une partie en a été redistribuée ici. Il faut en être conscient. Et la Françafrique, c’est pas du tout terminé, c’est un drame bien actuel. Le livre de Soral escamote tout cela.
Soral analyse en partie les mêmes problèmes que vous. Mais ne va-t-il pas plus loin en osant nommer et attaquer directement l’ennemi désigné, ce qu’il appelle « la sphère judéo-maçonnique » ?
Non. Faute d’analyser les véritables mécanismes du système capitaliste, afin de le combattre efficacement, il se réfugie dans une explication facile : « Tout ça, c’est un complot ! ». Cette explication repose sur des fantasmes et décourage la résistance. Je réfute ces fantasmes dans mon bouquin.
Finalement, que répondez-vous aux gens qui pensent « Soral – Collon, même combat » ?
Eh bien, pas du tout. Finalement, ce que Soral propose, c’est un capitalisme « amélioré » avec un bon chef (lui évidemment). C’est-à-dire que selon lui, ce système pourrait être juste s’il n’y avait pas les banquiers et les juifs. Moi, je dis que le système capitaliste est lui-même la cause des problèmes : exploitation, crises, colonialisme, guerres, migrations forcées. A mes yeux, l’extrême droite n’est pas une alternative au capital, c’est le plan B du Capital. On l’a vu avec Hitler, Mussolini et Franco, et cette expérience fut catastrophique pour l’humanité.
Pour résumer ce qui m’oppose à lui :
- Il propose de chercher la solution dans le passé. Moi, j’appelle à inventer le futur.
- Il propose une fausse union des exploités avec les exploiteurs. Moi, j’invite les exploités à s’organiser pour détruire l’exploitation.
- Il propose d’adoucir le système. Moi, je dis que c’est impossible et qu’il faut le remplacer.
A qui s’adresse votre livre ? Aux gens qui suivent Soral ?
A tout le monde. Ceux qui suivent Soral mais se posent des questions. Ceux qui hésitent entre Soral et d’autres inspirations. Et ceux qui ne connaissent pas Soral ou ne s’y intéressent pas, mais recherchent une analyse globale de notre société. Les problèmes de l’exploitation, de la crise, du néocolonialisme, des guerres injustes, des Etats-Unis et d’Israël, du racisme et de l’extrême droite… L’impact de la pensée complotiste dans la jeunesse et le danger que cela représente…
Là, vous visez tout le monde en fait !
Oui, je crois qu’il est important de “décloisonner” : que les gens se parlent au-delà des clivages sociaux, culturels, politiques, religieux, que le débat s’élargisse au maximum ! « Sortir de sa zone de confort », comme le propose le rappeur Médine.
Seriez-vous prêt à débattre avec Alain Soral?
Evidemment. Les gens doivent pouvoir se faire eux-mêmes leur propre opinion. Je lui ai donc envoyé un exemplaire de mon livre et proposé d’en débattre publiquement.
Découvrez le nouveau livre de Michel Collon, Pourquoi Soral séduit
Que cela plaise ou non, Alain Soral est aujourd’hui l’intellectuel français le plus influent auprès des jeunes. Son livre Comprendre l’Empire, son site Egalité & Réconciliation, ses longues vidéos battent tous les records. Son alliance avec Dieudonné lui a apporté un public très large où l’extrême droite côtoie la jeunesse des quartiers populaires.
Etonnant ? Normal, pense Alain Soral qui se décrit comme « un cerveau qui vaut beaucoup beaucoup d’argent ». Michel Collon a décidé de vérifier. Que vaut cette pensée Soral ? Permet-elle de comprendre le « système » : inégalités, finance, crise, racisme, guerres ? Est-ce une solution d’avenir ou un dangereux retour vers un passé autoritaire ? Peut-on à la fois se réclamer de Che Guevara et d’Adolf Hitler ?
L’enjeu dépasse Soral. Aujourd’hui, le complotisme est partout. Favorisé par une info sous influence refusant le débat contradictoire. D’où l’importance de cette analyse globale du capitalisme par Michel Collon. Rigoureuse, pénétrante et, comme à son habitude, très claire.
Source : Investig’Action