(FILES) French Interior and Overseas Minister Gerald Darmanin (C) attends a visit to a surveillance centre in Mamoudzou, on the French Indian Ocean island of Mayotte, on June 25, 2023. - Gerald Darmanin announced on February 11, 2024 a constitutional amendment to eliminate "Jus Soli", the acquisition of citizenship by birth within a territory, on the Indian Ocean island of Mayotte, which faces an ongoing migration crisis. (Photo by Chafion MADI / AFP)AFP

Mayotte : Quand Macron et Darmanin font du Le Pen

Soumise depuis plus d'un siècle et demi à des traumas colonialistes infligés par Paris, l'île de Mayotte devrait connaître une « révision  constitutionnelle » : la fin du droit du sol. Au nom de la lutte contre l'immigration clandestine... Ou quand l'Exécutif français fait du Le Pen contre l'une de ses colonies de l'Océan indien ; sans rien résoudre des problèmes de cette île stratégique. (I'A)


En visite sur l’île de Mayotte, Gérald Darmanin, ministre français de l’Intérieur, a fait, le 11 février, une déclaration dans laquelle il explique ceci :

« Le président de la République m’a chargé de dire aux Mahorais que nous allons prendre une décision radicale, qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte. Cette mesure sera inscrite dans une révision constitutionnelle que choisira le président de la République c’est-à-dire qu’il ne sera plus possible de devenir français si on n’est pas soi-même de parents français. Et nous couperons ainsi littéralement l’attractivité qu’il peut y avoir dans l’archipel mahorais. Il ne sera donc plus possible de venir à Mayotte de façon régulière ou irrégulière, de mettre un enfant au monde ici et d’espérer devenir français de cette façon. C’est une mesure extrêmement forte, nette, radicale, qui évidemment sera circonscrite à l’archipel de Mayotte. »

Cette proposition n’est rien d’autre que la reprise de celle de Marine Le Pen réclamant la fin du droit du sol. La mesure dite « radicale » prétend résoudre la question de l’immigration dite « irrégulière » par laquelle des habitants des autres îles des Comores, fuyant la misère, tentent de s’installer sur l’île de Mayotte.

La constitution française interdisant la remise en cause du droit du sol, il est tout simplement proposé de la modifier. Or, non seulement une telle proposition ne résoudra rien, mais elle accroîtra encore la marginalisation de ces immigrés et les conséquences négatives qui en découlent.

Logique coloniale


Plus grave encore, cette mesure assume ouvertement une logique coloniale en instaurant un double droit inégal ; celui s’appliquant à la Métropole et aux autres dits « territoires d’outre-mer », d’une part, et celui s’appliquant à Mayotte, d’autre part. Seule la colonisation avait en effet inscrit dans la loi le principe d’une citoyenneté à étages divisant les Français en citoyens français et en sujets français.

Cette logique du double droit a été à la base u code l’indigénat qui attribuait aux indigènes des peines spécifiques. La même infraction pouvait ainsi déboucher sur des peines différentes selon que l’on soit citoyen français ou sujet français.

Le code de l’indigénat, mis en place en Algérie en 1875, puis généralisé progressivement à l’ensemble des colonies dans la décennie suivante, prévoyait même des délits spécifiques comme ne pas saluer un colon par exemple. Ce code infâme n’était pas sans faire penser au « Code Noir » qui, à partir de 1685, régissait l’esclavage.

Quand les colonisés secouèrent après la seconde guerre mondiale le joug colonial, la logique du double droit aboutit à l’invention du « double collège ». Les colonisés pouvaient enfin voter aux différentes élections mais avec un nombre d’élus égal à celui des colons malgré un nombre d’indigène considérablement plus important que celui des citoyens français.

Au Gabon, par exemple, les 450 000 indigènes était représenté par un seul député alors que les 3000 colons avaient également droit à un député. 3000 colons équivalaient donc électoralement à 450 000 indigènes. En Algérie, les 500 000 électeurs citoyens français avaient le même nombre d’élus que 1 300 000 électeurs dits « musulmans ». C’est tout simplement cette logique du double droit que propose de réintroduire Macron et Darmanin en supprimant le droit du sol, non pas sur toute la République française mais dans un seul de ses territoires d’Outre-Mer. Le simple fait que l’on ait pu faire une telle proposition indique que Mayotte reste perçue et gérée comme une colonie.

Quand l’ONU condamnait le colonialisme français


Pour comprendre la situation dramatique à Mayotte, que Darmanin et Macron proposent de régler par cette mesure liberticide, il faut resituer cette question dans ses cadres historiques et économiques.

Sur le plan historique, les quatre îles des Comores deviennent un protectorat français en 1886 puis un territoire d’outre-mer en 1946. A l’époque du colonialisme ascendant, personne ne songe à séparer Mayotte des trois autres îles de l’archipel. Comme le rappelle l’historien Alain Ruscio, l’unité de l’archipel fait consensus. En témoigne la définition donnée par le « Grand dictionnaire universel du 19ème siècle » de Larousse : «Comores : groupe d’îles d’Afrique […]. Les quatre grandes îles qu’il comprend sont Mayotte, Anjouan, Mohéli et la Grande Comores ». La géographie, l’histoire, la langue, la religion, les mouvements de populations, etc., attestent de cette unité de l’archipel.

En dépit de cette histoire et de ces facteurs communs, l’État français orchestre la séparation de Mayotte du reste de l’archipel en 1976. Alors que le référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974 se prononce de manière massive pour l’indépendance de l’archipel, l’État français décide unilatéralement de prendre en compte les résultats île par île et non sur l’ensemble de l’archipel. Lors de ce référendum d’autodétermination ce sont 94.57 % des Comoriens qui se sont prononcés pour l’indépendance. Seule l’île de Mayotte donne un résultat divergent avec 63,22 % de voix contre l’indépendance.

Malgré le positionnement des Nations-Unies pour une prise en compte des résultats sur l’ensemble de l’archipel, l’État français organise illégalement un référendum spécifique à Mayotte, le 8 février 1976, donnant une couverture pseudo-juridique à cet acte de brigandage étatique. Le fait que 99.4 % des électeurs de Mayotte se prononcent pour le maintien de l’île dans la république française lors de ce référendum est pris comme justification pour justifier une balkanisation de l’archipel.

Une telle décision est une violation de la loi française du 23 novembre 1974 qui énonce dans son article 5 : « que si le classement des résultats se fera île par île, la proclamation en sera globale ». Ne pouvant plus imposer le statut des colonies à l’ensemble des Comores, Paris a choisi la balkanisation, selon la vielle logique du diviser pour mieux régner.

L’ONU condamne immédiatement la décision française et la considère comme violant le droit international. La résolution 31/4 de l‘Assemblée générale des Nations-Unies du 8 février 1976 énonce ainsi  : «Rappelant que l’ensemble du peuple de la République des Comores, par le référendum du 22 décembre 1974, a exprimé à une écrasante majorité sa volonté d’accéder à l’indépendance dans l’unité politique et l’intégrité territoriale […] Condamne énergiquement la présence de la France à Mayotte, qui constitue une violation de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la République indépendante des Comores;Demande au Gouvernement français de se retirer immédiatement de l’île comorienne de Mayotte, partie intégrante de la République indépendante des Comores, et de respecter sa souveraineté »

Cette résolution adoptée par 102 voix contre une seule (celle de la France) et 28 abstentions sera régulièrement réaffirmée par de nombreuses autres résolutions des Nations-Unies.

Verrous stratégiques


Comprendre l’acharnement français à garder cette petite île suppose de prendre en compte les contextes économiques et géostratégiques. Mayotte, comme les autres îles comoriennes, se situe à un verrou stratégique de l’océan Indien.

Elles sont situées sur la route du Cap par laquelle est acheminé le pétrole du Moyen-Orient vers les pays occidentaux. La découverte, début 2000, d’importants gisements de pétrole et de gaz dans le canal du Mozambique – c’est-à-dire la partie de l’Océan Indien située entre Madagascar et le Mozambique – renforce encore l’importance géostratégique des îles comoriennes. Le maintien de Mayotte sous domination française permet ainsi de disposer d’une Zone Économique Exclusive (ZEE) de 200 milles nautiques.

Pour exactement les mêmes raisons, l’État français refuse de restituer à Madagascar et à Maurice les « îles Éparses » qui se situent également dans le canal du Mozambique. Ces 5 minuscules îlots faisant ensemble à peine 43.2 km2 ouvrent droit à des eaux territoriales pour la France.

Le cumul des eaux territoriales de Mayotte et des îles Éparses permet à la France de disposer d’une ZEE de 636 000 km2 ; soit une bonne moitié de la superficie du canal du Mozambique. L’expert économique auprès de la Direction Générale de l’Énergie de la Commission européenne, Samuel Furfari résume comme suit les enjeux du canal du Mozambique :

« Une querelle diplomatique peu connue concerne les îles Éparses, qui comme leur nom l’indique ne sont que quelques pitons rocheux éparpillés dans le Canal du Mozambique, entre l’île de Madagascar et le Mozambique. La France et Madagascar se les disputent, non pas pour y placer des panneaux solaires, mais parce que l’on sait que le potentiel en hydrocarbure est important […] Dans ces zones économiques exclusives, on commence à découvrir de plus en plus de réserves de gaz et de pétrole conventionnel. »

Coups d’État à la française


Pour ces « îles éparses », la France est aussi condamnée par la résolution 34/91 à les restituer à Madagascar. La république de Maurice est également en conflit avec la France à propos de la souveraineté de l’île de Tromelin. Enfin, outre Mayotte, la république des Comores revendique également la restitution par la France des îles glorieuses.

Non contente de couper Mayotte du reste des Comores, la France fomente, avec l’aide de Bob Denard et ses mercenaires ,un coup d’État en 1975 contre le président Ahmed Abdallah, jugé trop insistant auprès de l’OUA et de l’ONU sur la question de la restitution de Mayotte à la République comorienne…

Trois ans plus tard, on retrouve le même Denard à la manœuvre pour une nouvelle ingérence française se traduisant par l’assassinat du président Ali Soilihi, un opposant farouche de la Françafrique. Un nouveau coup d’État est fomenté, toujours avec l’aide de Paris en 1995.

Ces ingérences multiples ne cessent pas. En 1997 les îles d’Anjouan et Moheli font sécession avec le soutien discret de l’État français. Si Moheli rejoint rapidement la République fédérale islamique des Comores, celle d’Anjouan dirigée par Mohamed Bacar maintient l’abcès sécessionniste pendant plus d’une décennie.

Il faudra attendre mars 2008 pour que cesse cette menace sécessionniste par l’intervention conjointe de l’armée comorienne et de troupes de l’Union Africaine. Le président sécessionniste Mohamed Bacar fuit vers l’île voisine de Mayotte où il obtient l’asile politique. La conséquence de cette instabilité, fomentée durant des décennies, est l’impossibilité de tout progrès économique et l’installation d’une misère endémique.

Ce sont cette instabilité et cette misère qui expliquent le grand nombre d’immigrés irréguliers à Mayotte et non le désir de « devenir français en accouchant à Mayotte », comme le dit Darmanin. Bien sur, la pratique existe mais simplement parce que la nationalité française empêche l’expulsion et donc permet d’éviter de retomber dans la misère.

En coupant Mayotte de sa nation, pour des raisons économiques et géostratégiques, l’État français a créé un monstre institutionnel.

Saïd Bouamama


Pour aller plus loin :



Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

One thought on

Mayotte : Quand Macron et Darmanin font du Le Pen

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.