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Mariam Abu Daqqa, militante palestinienne : ” L’État français, qui met tant en avant la liberté d’expression, m’empêche de m’exprimer !”

L’Assemblée nationale et plusieurs universités françaises l'avaient invitée pour parler des « femmes survivant à Gaza ». Mais le 16 octobre, le ministère français de l’Intérieur ordonnait un arrêté d’expulsion contre la militante palestinienne Mariam Abu Daqqa. La Préfecture des Bouches du Rhône, où Mariam Abu Daqqa se trouvait pour intervenir dans le cadre d'un cycle de conférences, a pris alors un arrêté d'assignation à résidence dans un hôtel de 12h à 7h avec obligation de pointer au commissariat tous les jours à 12h30: elle ne pouvait pas être expulsée vu la situation en Palestine. Cet arrêt a ensuite été suspendu le 20 octobre par la cour d'Appel Administrative de Paris, mais l'État a fait appel de cette suspension le 26 octobre. Mariam a récupéré son passeport sur lequel le visa délivré par le Consulat Général de France à Jérusalem avait été annulé. Le conseil d’État se réunissait mardi 31octobre pour statuer sur l’appel du gouvernement. Aucune décision n’a été prise depuis mardi passé et Mariam Abu Daqqa est laissée dans l’attente malgré plusieurs annonces d’une décision.

Après la décision du Conseil d’État, une seconde étape pour Mariam et les personnes qui l’accompagnent sera de chercher à restaurer la validité du visa. Enfin, ils lutteront sur le fond pour faire annuler le premier procès. La présence de Mariam ne sera plus obligatoire à ce moment-là. Le motif invoqué de cet acharnement policier et judiciaire? Sa présence causerait un trouble à l’ordre public!

Comment avez-vous vécu votre arrestation?

J’ai été assez choquée car je suis arrivée en France avec une invitation dans les règles! Mon idée en arrivant ici était celle du pays des droits de l’homme, de la Constitution et de la Révolution française. Je suis venue donc avec un visa, dans un cadre légal et sur invitation pour parler de la situation en Palestine, de ma situation et de celles des femmes palestiniennes. Je suis arrivée avant la guerre. Depuis que je suis en France, il y a 31 personnes de ma famille qui sont mortes sous les bombes israéliennes. C’était impossible pour moi de ne pas en parler, je voulais juste raconter ce qui se passe.

Que vous reproche-t-on exactement?

D’appartenir au Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP). Pourtant, le FPLP fait partie de l’OLP, qui refuse le terrorisme. Et il y a en France une ambassade palestinienne qui est liée à l’OLP dont, je répète, le FPLP fait partie.

Ce qui m’a le plus surprise dans cette arrestation, c’est qu’ils m’ont empêché de m’exprimer, alors que depuis des années on nous parle des droits des femmes, des droits de l’enfant, des droits d’expression. Or moi, je suis justement venue parler des femmes palestiniennes, des enfants palestiniens, des pêcheurs à Gaza, de la situation d’un peuple reconnu comme étant sous occupation.

Vous ne vous attendiez pas à cela en France?

La France qui clame la liberté d’expression et les droits humains m’a empêché de m’exprimer. Je pensais que le France avait une relation privilégiée avec la Palestine. La façon dont j’ai été arrêtée a été humiliante. Ils auraient pu m’appeler au téléphone. On m’a arrêtée sur la route, en me demandant mon passeport.

Je tiens à respecter les lois, j’ai fait les choses dans les règles, je ne suis pas venue de manière clandestine. Je me suis sentie comme dans un pays sous occupation. Ils m’ont assigné à résidence. Je leur ai répondu qu’ils connaissaient ma situation, que je viens d’un pays occupé et que je n’ai pas les moyens de me payer un hôtel. A cela ils m’ont répondu qu’ils paieraient l’hôtel. Je ne voulais pas être dans un hôtel même en étant ici, dans un pays riche. Pour moi, la question de la liberté est fondamentale. Je dis souvent: celui qui n’a pas connu le poids de l’acier, du fer, des chaines, ne pourra pas connaître le goût de la liberté. J’ai respecté l’assignation à résidence et mes amis ont fait un recours au tribunal administratif. Cette cause ce n’est pas ma propre cause spécifiquement, c’est une question de justice sociale qui concerne tout le peuple palestinien. On ne peut pas se faire traiter de telle manière !

Que s’est-il passé ensuite ?

Après quelques jours ils m’ont rendu mon passeport, mais ils m’ont retiré le visa. On met tout en œuvre pour pouvoir restaurer la validité de mon visa. J’ai suivi et respecté les procédure de l’ambassade à Jérusalem. Si un visa m’a été accordé, c’est que des recherches ont été faites. Je ne vois pas pourquoi tout à coup je n’y aurai plus droit. Je vais me battre pour l’avoir. Je me suis sentie brisée, comme victime d’une injustice alors que je venais porter la parole de la Palestine. C’est comme si on m’avait enlevé la voix en m’empêchant de m’exprimer.

Avez-vous des nouvelles de vos proches en Palestine ?

Avec la guerre et les informations, ce que vit ma famille, je passe mon temps à suivre les nouvelles pour savoir qui est mort et qui est blessé. Je me sens malade, je ne peux pas dormir, j’ai du mal à respirer. Je me sens préoccupée pour ma famille, je passe mon temps à chercher à savoir qui est mort et qui est vivant. Mais pendant ce temps, eux ont peur pour moi. J’aurai aimé revenir de France en Palestine en disant: j’ai porté la voix! C’est dur aussi de voir que tous mes amis ici qui m’accompagnent souffrent avec moi. Pour eux aussi, c’est très pesant.

J’ai vu l’autre image du peuple français qui m’a montré son amour et sa solidarité, cela me donne de la force. Le soutien du peuple français est très important pour nous. Je ne vais pas oublier tous mes amis avec qui je suis accompagnée 24 heures sur 24, c’est ma famille ici en France

La tournée de conférences est-elle maintenue ? L’État français n’a pas eu la moindre démarche d’assistance envers vous?

Ce que le gouvernement dit m’intéresse peu. Moi ce qui m’intéresse, c’est le peuple, les personnes solidaires avec la Palestine! Dans un autre contexte, j’aurai peut être continué ma tournée en Europe. Actuellement la seule chose que je veux c’est rentrer dans mon pays qui est le plus beau pays au monde. Malgré l’anéantissement, la douleur, c’est un pays plein d’honneur, de dignité, un pays où on est libres ! Partout dans le monde, des gens ont eu vent de ma situation et m’ont montré de la solidarité, tant dans les pays arabes qu’au Venezuela, en Afrique du Sud. Ma cause est devenue une question de liberté d’expression de ma propre opinion et a fait le tour du monde, ça c’est très important.

“Actuellement la seule chose que je veux c’est rentrer dans mon pays”

Vous êtes la présidente du conseil d’administration de ‘’Palestinian Development Woman Studies Association’’. Quels sont les objectifs de cette association ?

Les femmes palestiniennes sont les dernières femmes à vivre en ce moment sous une occupation coloniale. Cette violence coloniale s’exerce contre toutes la population palestinienne, dont les femmes ! Les femmes palestiniennes, comme les femmes du monde entier, souffrent du rapport de classe et elles sont aussi dominées en tant que femmes tout simplement. Nous, femmes palestiniennes, on lutte contre l’occupation et contre la discrimination envers les femmes pour améliorer la position des femmes dans la société. Nous représentons la moitié de la société palestinienne: ce sont les femmes qui donnent vie et éduquent la deuxième moitié. On dit chez nous qu’une femme forte est synonyme d’une société forte. Au sein de notre association on travaille pour améliorer la situation économique, personnelle, sociale des femmes, pour qu’elles soient de vraies partenaires dans la lutte.

Il y a 16 000 femmes palestiniennes passées par les prisons israéliennes. On les soutient notamment en les aidant pour trouver un travail, pour se soigner des maladies attrapées dans les prisons mais aussi en documentant leur lutte pour qu’elles puissent être transmises aux générations successives. Il y a des projets avec des femmes paysannes, des pêcheuses. Nous travaillons à ce qu’elles aient des positions importantes. On travaille dans tous les secteurs, car les femmes sont présentes partout. L’accès à la santé étant difficile, nous nous occupons de soigner les femmes malades surtout dans les secteurs les plus pauvres de la société. On soutient les orphelins, les fils de martyrs et les enfants de prisonniers. Ceci n’est qu’un résumé, notre travail est bien plus large que cela. Nous organisons beaucoup de conférences, ce qui permet des liens avec l’extérieur pour développer des systèmes de solidarité.

Est-ce que vous attendez quelque chose du droit international ? Comment peut-on soutenir de l’extérieur ?

Le droit international doit changer, il n’est pas fait pour les peuples dominés. Le droit international est fait par les dominants et appliqué pour eux-mêmes. Depuis 75 ans, nous, les Palestiniens, sommes bloqués dans la salle d’attente. L’occupation coloniale d’Israël est illégale. Pourtant, quand le secrétaire général de l’ONU a simplement dit la vérité pour expliquer que ce qu’il s’est passé il y a un mois n’est pas venu de nulle part, il a été attaqué de tous côtés. Je pense qu’il faut changer le droit international pour que ce soit un droit juste, un droit pour tous les peuples. Il n’y en a pas un qui devrait être en dehors de la loi.

Depuis 30 jours, il y a un génocide en cours, personne ne fait rien. Les Etats-Unis ont donné des armes en plus à Israël pour bombarder un territoire de 360 km² contenant 2,3 millions de personnes. Les Etats-Unis continuent de mentir. Si c’est ça la justice, de quoi on parle ? Face à cette situation, ni l’Europe ni les Etats-Unis ne demandent le cessez le feu pour arrêter le massacre de notre peuple. Je ne vois pas quelle est cette démocratie, où l’on peut lancer un mouvement de solidarité quand un chat se blesse et où on nous interdit de dire simplement “aïe!” quand de notre côté, nous sommes massacrés.

On m’a interdit d’exprimer ma douleur. Israël a utilisé des armes au phosphore, des bombes interdites et pendant ce temps-là, on n’a pas de médicaments, pas d’eau, pas d’électricité. Et le monde n’a pas été capable de faire rentrer une goutte d’eau pour que les gens de Gaza puissent boire. Le monde occidental qui s’autoproclame humain et démocrate n’a pas d’empathie pour des êtres humains qui meurent par milliers. Le prix de la liberté nous coûte très cher, mais on arrivera à se libérer, à libérer notre terre. Ceux qui laissent faire ce massacre paieront un jour si on les met devant leurs responsabilités.

Qu’est-ce que devrait faire un média indépendant à propos de la Palestine ?

Il faut parler des Palestiniens, de tous les Palestiniens, des femmes, des pêcheurs, de comment ils résistent. Ce n’est pas les gouvernements qui prennent les décisions, ce sont les peuples qui poussent les gouvernements à prendre les décisions.


Source: Investig’Action

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