Alors que le gouvernement syrien contrôle désormais la plupart des régions déchirées par la guerre, le rôle de l’Iran, en tant que principal allié du président Bachar al-Assad, semble être en pleine mutation.
Le 1er août, l’envoyé spécial du président russe en Syrie, Alexandre Lavrentiev, a déclaré que les forces iraniennes et les groupes chiites qui leur sont alliés s’étaient retirés du sud-ouest de la Syrie, à 85 kilomètres des hauteurs du Golan occupées par Israël. « Les Iraniens se sont retirés et les formations chiites ne sont pas présentes », a déclaré M. Lavrentiev, soulignant que les armes lourdes qui étaient entre les mains de ces mêmes forces ont également été retirées à la même distance.
Cette décision est intervenue dans un contexte de fréquents appels de responsables israéliens pour un retrait iranien complet de Syrie, affirmant que la présence de l’Iran constituait une menace directe contre la sécurité et les intérêts d’Israël. En tant que tel, les remarques de Lavrentiev amènent à se demander si le récent développement indique également un retrait imminent de l’Iran d’autres parties de la Syrie, ou s’il s’agit seulement d’une tactique visant à réajuster la stratégie syrienne de l’Iran sur les fronts militaires et politiques.
En examinant la scène plus large des développements récents concernant la crise syrienne, il se pourrait que le retrait de l’Iran du sud de la Syrie ait été causé par deux ensembles de facteurs militaires et politiques. Tout d’abord, les nouvelles concernant le retrait de l’Iran du sud sont intervenues juste un jour après la conclusion de la campagne militaire réussie de six semaines de l’armée syrienne pour reprendre la région du sud-ouest bordant le plateau du Golan. Près de trois semaines plus tôt, le 12 juillet, l’armée avait réussi à reprendre Daraa, le principal bastion rebelle dans cette région, connue comme le « berceau de la révolte » contre Assad en 2011.
Dans la situation actuelle, les zones méridionales ne seraient plus une priorité pour l’armée syrienne et ses alliés sur le plan militaire, et les prochaines grandes opérations militaires en Syrie devraient inclure des zones dans le nord et parties orientales du pays qui sont encore sous le contrôle de groupes armés. Dans une récente interview, Lavrentiev a directement évoqué ce problème, affirmant que trois zones de la Syrie devaient encore être l’objet d’opérations d’envergure de l’armée syrienne. Il a déclaré : « Ces zones incluent Idlib [dans le nord-ouest], le camp d’al-Rakban dans la région d’al-Tanf [à l’est], ainsi que les zones sous contrôle kurde près de la frontière entre l’Irak et la Syrie ».
Les forces pro-iraniennes ont commencé à évacuer les zones méridionales du moment que leur mission s’est achevée et que leur présence n’était plus indispensable sur le terrain sur le plan militaire. Dans un cadre plus large, on pourrait dire que le retrait était même nécessaire pour que le gouvernement syrien consolide ses positions dans le sud. En d’autres termes, comme la présence de l’Iran et de ses forces alliées dans le sud de la Syrie a toujours été exploitée par les Israéliens comme prétexte pour des frappes aériennes contre différentes positions à l’intérieur de la Syrie, une présence iranienne impliquerait que les attaques israéliennes continueraient aussi, obligeant Assad à faire face à un casse-tête qui lui lierait les mains dans la planification de nouvelles initiatives sur le plan militaire ailleurs dans le pays.
Entre-temps, au plan politique, il semble qu’un important facteur qui a amené l’Iran à limiter la portée de sa présence militaire active en Syrie, soit l’évolution du rôle diplomatique de la Russie dans la crise syrienne.
D’une part, les Russes semblent déterminés à jouer un rôle de conciliateur entre les intérêts iraniens et israéliens en Syrie. Le 30 juillet, l’ambassadeur de Russie à Tel Aviv, Anatoly Viktorov, a dit tout de goque « la Russie ne peut pas contraindre les forces iraniennes à quitter la Syrie, pas plus qu’elle ne peut empêcher les frappes militaires israéliennes sur les forces iraniennes ». Cette remarque signifiait clairement que Moscou est incapable d’empêcher une confrontation ouverte entre l’Iran et Israël en Syrie, à moins que Téhéran et Tel-Aviv ne parviennent à s’entendre eux-mêmes sur leurs activités dans le pays. Limiter la portée des activités de l’Iran en échange de l’arrêt des frappes israéliennes semble être un terrain d’entente entre les deux parties permettant d’éviter une escalade dévastatrice.
D’autre part, après le sommet du 16 juillet qui a réuni les présidents de la Russie et des États-Unis à Helsinki, et au cours duquel une éventuelle coopération entre les deux parties en Syrie a été discutée, entre autres questions, Moscou a accru ses pressions diplomatiques sur Washington pour qu’il limite son rôle militaire dans le pays arabe. Le 3 août, le colonel Sergei Rudskoy, de l’état-major général des forces armées russes, a appelé les États-Unis à fermer leur base militaire d’al-Tanf, affirmant que la base était devenue un refuge pour les terroristes de l’État islamique (EI). Comme Washington a déclaré ouvertement que son principal objectif en Syrie est actuellement de contrer l’influence croissante de l’Iran, limiter la présence de l’Iran dans le pays pourrait être l’argument qui permettrait à la Russie d’obtenir que les Américains limitent leur propre présence. Comme la présence militaire américaine en Syrie est perçue par Téhéran et Moscou comme une menace pour leurs intérêts à long terme, il est difficile de croire que l’Iran hésite à fournir à la Russie un atout diplomatique supplémentaire pour faire face à ce défi commun.
Enfin, il semble que l’Iran lui-même soit en train de redéfinir son rôle en Syrie du fait que la fin de la guerre parait proche ; le moment est venu pour l’Iran de se concentrer sur la sauvegarde ses intérêts à travers des mesures politiques et diplomatiques. l’Iran est donc en train de changer de stratégie, en passant d’un rôle militaire actif à une participation plus importante dans les démarches diplomatiques concernant la Syrie. L’accueil du prochain sommet des partenaires d’Astana, qui doit se tenir à Téhéran en septembre, en est un signe. La participation active de l’Iran à la création du Comité constitutionnel syrien, chargé d’élaborer une nouvelle constitution pour le pays, est un autre signe de l’évolution de l’approche de l’Iran.
Dans l’ensemble, on peut dire que le retrait récent des forces iraniennes et pro-iraniennes du sud de la Syrie est davantage lié à l’actualisation de la stratégie de l’Iran en Syrie et à son adaptation aux nouveaux développements politiques et militaires, plutôt qu’à une décision de quitter la Syrie sous la pression russe ou israélienne.
* Hamidreza Azizi est professeur adjoint d’études régionales à l’Université Shahid Beheshti et membre du conseil scientifique de l’Institut d’études sur l’Iran et l’Eurasie (IRAS) à Téhéran. Sur Twitter: @HamidRezaAz
Source: Chronique de Palestine