Pour Ramzy Baroud, les véritables héros ne sont pas ceux dont l’histoire retient les faits d’armes dans les guerres, mais ceux qui sauvent des vies, peu importe la race, le sexe ou la religion. Plutôt que de dépenser toujours plus pour les armes et la guerre – record battu en 2022, il serait grand temps d’investir pour aider, guérir et secourir ceux qui luttent contre la pauvreté, la maladie ou les catastrophes naturelles. (IGA)
Des funérailles ont eu lieu dans la ville de Jinderis, dans le nord de la Syrie, le 7 février. Il y a eu ce jour-là de nombreuses funérailles du même genre dans toute la Syrie et la Turquie où des séismes dévastateurs ont tué et blessé des dizaines de milliers de personnes. Chacune de ces funérailles illustrait deux notions apparemment opposées : le deuil collectif et l’espoir collectif. Les funérailles de Jinderis ont offert une représentation frappante de cette dichotomie.
Plus tôt, des secouristes avaient trouvé un bébé dans les décombres d’une maison détruite. Il était encore relié à sa mère par son cordon ombilical. Les sauveteurs ont rapidement coupé le cordon et ont emmené le bébé à l’hôpital. Sa famille entière a péri.
Les chants “Allahu Akbar” (“Dieu est grand”) ont résonné à travers la Syrie et la Turquie pendant ces jours désespérés où l’on recherchait des survivants. Chaque fois qu’une personne était retrouvée vivante, ou s’accrochant à la vie, les secouristes, les médecins et les volontaires scandaient les mêmes mots d’une voix de plus en plus rauque. Pour eux – en fait, pour tout le monde – c’est un rappel constant qu’il y a quelque chose dans cette vie qui est plus grand que nous tous.
Ces histoires déchirantes, terriblement tristes et pourtant inspirantes ont émergé des décombres du séisme initial de magnitude 7,8. Ces histoires étaient aussi nombreuses que les morts et les blessés. Longtemps encore après que les morts auront été enterrés et que les blessés auront été guéris, ces histoires rappelleront non seulement à quel point les êtres humains sont vulnérables, mais aussi à quel point nous pouvons être obstinés et inspirants.
Prenons l’exemple ce petit garçon turc, Yigit Cakmark. Il a émergé vivant des décombres de la ville de Hatay et il a retrouvé sa mère au sommet des ruines de leur maison détruite. Il est impossible de décrire par de simples mots l’image d’eux s’accrochant l’un à l’autre, après 52 heures d’angoisse. Leur lien indéfectible est l’essence même de la vie.
Une petite fille syrienne a souri pendant qu’on la tirait à travers le béton écrasé. En fait, de nombreux enfants secourus sourient, heureux d’être en vie ou par gratitude envers leurs sauveteurs. Mais cette petite fille a souri parce qu’elle a vu son père, qui a également survécu.
L’héroïsme est l’un des termes les plus subjectifs de toute langue. Pour ces enfants, et pour les milliers d’autres survivants tirés des décombres, les véritables héros sont ceux qui ont sauvé leur vie et celle de leurs proches.
Il est triste que nous associions si souvent l’héroïsme à la guerre, et rarement pour les bonnes raisons. J’ai passé une grande partie de ma vie à écrire ou à faire des reportages sur la guerre, pour découvrir finalement qu’il n’y a pas grand-chose de véritablement héroïque à partir du moment où des armes sont fabriquées, expédiées, déployées et utilisées. Le seul héroïsme que j’ai trouvé, c’est lorsque les gens se défendent collectivement pour se protéger les uns les autres : lorsque les corps sont retirés des décombres, par exemple ; lorsque les blessés sont transportés d’urgence dans les hôpitaux ; lorsque le sang est donné ; lorsque la solidarité est offerte aux familles des victimes ; et lorsque les gens partagent leurs maigres provisions avec d’autres survivants.
C’est ce genre d’héroïsme qui se manifeste en Turquie et en Syrie. Le décor typique d’un site de sauvetage est une mosaïque de persévérance humaine, d’amour, de famille, d’amitié et de plus encore : les victimes sous les décombres, priant et implorant d’être secourues ; les hommes et les femmes au-dessus, luttant contre le temps, les éléments et le manque de moyens pour les sortir de là.
Dès qu’une main ou un pied émerge de la poussière et des débris, les secouristes et les médecins se précipitent pour voir s’il y a un pouls, même faible. S’il y en a un, le sexe n’a pas d’importance, ni la religion, ni la secte, ni la langue, ni la couleur, ni le statut, ni l’âge. Rien que le désir partagé de sauver une seule vie.
De tels événements tragiques peuvent se produire en Turquie, en Syrie, en Italie, en Algérie, au Japon ou ailleurs. Les sauveteurs et les secourus peuvent être de n’importe quelle race, religion ou nationalité. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, toutes nos différences, réelles ou imaginaires, toutes nos idéologies et orientations politiques contradictoires n’ont pas – et ne devraient pas – avoir la moindre importance pendant ces moments déchirants.
Malheureusement, une fois les blessés secourus, les morts enterrés et les débris enlevés, nous avons tendance à oublier tout cela, de la même manière que nous oublions lentement nos sauveteurs, nos sauveurs et nos héros de la pandémie de Covid-19. Au lieu d’investir davantage dans les structures, les technologies et les ressources qui permettent de sauver des vies, nous faisons exactement le contraire.
Bien que la Covid-19 continue de tuer en grand nombre, beaucoup de gouvernements ont tout simplement décidé de passer à des questions apparemment plus urgentes : la guerre, les conflits géopolitiques et, sans surprise, un investissement croissant dans de nouvelles armes encore plus meurtrières. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires mondiales ont dépassé les 2 000 milliards de dollars pour la première fois en 2022. Imaginez seulement si cet argent avait plutôt été utilisé pour aider, guérir et secourir ceux qui luttent contre la pauvreté, la maladie ou les catastrophes naturelles.
Notre absence d’un véritable sens des priorités est assez étonnante. Alors que les munitions sont livrées aux pays déchirés par la guerre à une vitesse incroyable, il faut des jours, des semaines et des mois pour que l’aide arrive aux victimes d’ouragans et de tremblements de terre. Parfois, l’aide n’arrive jamais.
Après le tremblement de terre de Kahramanmaras, il y a peu de chances que nos priorités confuses changent. Du moins, pas fondamentalement. Néanmoins, il est important de rappeler cette vérité ancestrale : les héros sont ceux qui sauvent des vies et offrent leur amour et leur soutien à ceux qui en ont besoin, sans distinction de race, de couleur, de religion ou de politique. Aux véritables champions de notre humanité, nous adressons donc nos remerciements.
Source originale : Middle East Monitor
Traduit de l’anglais par Investig’Action