« Depuis combien d’années vivez-vous à Beyrouth ? », ai-je demandé à mon barbier, Eyad, après qu’il m’a dit, rayonnant, que dans trois mois, il retournera chez lui, à Damas.
Il y a encore un an, il n’était pas facile de lancer ce genre de conversations. Mais maintenant, tout a changé, rapidement, et on veut croire que c’est irréversible.
Bien que rien ne soit vraiment irréversible, plus les choses s’améliorent sur le terrain en Syrie, plus l’Occident devient menaçant, en particulier les États-Unis. Maintenant, il est de nouveau en train d’intimider Damas, prêt à attaquer l’Armée syrienne, quelque chose qui pourrait facilement entraîner la Russie et d’autres pays dans une confrontation mortelle.
La guerre ! L’Occident est à l’évidence obsédé par la guerre perpétuelle en Syrie, tandis que la majorité des Syriens désirent passionnément le retour d’une paix perpétuelle.
« Six ans », a répondu mon barbier en préparant son rasoir. J’ai décelé de la tristesse et de l’indignation dans sa voix : « Six ans de trop ! »
« Après votre retour, quoi ? Allez-vous ouvrir votre propre salon à Damas ? » J’étais curieux. C’est le meilleur barbier que j’ai eu, un vrai maître dans son métier, rapide et sûr, précis.
« Non », a-t-il dit en souriant. « Je ne vous l’ai jamais dit, mais je suis ingénieur en mécanique… Quant à être barbier, j’ai appris le métier de mon grand-père. Aujourd’hui, dans le monde arabe, ils sont des millions à faire quelque chose qui n’est pas leur profession principale… Mais je veux retourner chez moi et aider à reconstruire mon pays. »
Je ne savais rien de ses appartenances politiques. J’avais l’habitude de considérer que c’est impoli de poser la question. Là, j’ai senti que je pouvais le faire, mais je ne l’ai pas fait. Il rentrait chez lui, désireux d’aider son pays, et c’était tout ce qui comptait.
« Venez me rendre visite à Damas », a-t-il souri. « La Syrie est un petit pays, mais il est extraordinaire ! »
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Le 24 février 2017, The New York Times a craché ses sarcasmes au vitriol habituels contre le pays qui accueil un nombre immense de réfugiés, le Liban :
« Près de 1.5 million de Syriens ont cherché refuge au Liban, ce qui représente environ un quart de la population selon des responsables et des groupes de secours, et il existe une croyance largement répandue au Liban que les réfugiés sont un fardeau pour l’économie et la structure sociale du pays.
M. Tahan, un homme sociable qui cherchait à se présenter comme bienfaiteur des réfugiés, a rejeté l’idée qu’ils nuisent à l’économie du pays et pèsent sur les services sociaux. Il a déclaré que le gouvernement promouvait ce point de vue pour obtenir plus d’argent des Nations unies.
Les réfugiés, a-t-il dit, profitent aux Libanais, depuis les agents qui s’occupent des générateurs, leur fournissant de l’électricité, aux propriétaires des boutiques où ils dépensent leurs bons alimentaires des Nations unies et aux propriétaires terriens qui profitent de leur travail bon marché. C’est un argument qu’on entend souvent de la part des organisations internationales, qui disent que le poids de l’accueil des réfugiés est largement compensé par le stimulant qu’ils représentent pour l’économie, sans parler du 1.9 milliard de dollars d’aide internationale rien qu’en 2017, soutient l’ONU.
À partir de son expérience de la guerre civile au Liban, M. Tahan a dit s’attendre à ce que les Syriens restent des années. »
On rencontrerait rarement un tel ton lorsque le New York Times décrit la « crise des réfugiés » dans l’Union européenne. Là-bas, plusieurs pays extrêmement riches et beaucoup plus peuplés que le Liban continuent à prétendre qu’ils ne peuvent absolument pas absorber à peu près le même nombre de gens que ceux qui ont été protégés par le minuscule pays du Moyen-Orient.
En 2015, ce qui est considéré comme « l’apogée de la crise des réfugiés », bien moins que 1.5 million de personnes sont arrivées dans l’Union européenne pour y demander l’asile. Certains, parmi ces 1.5 million, étaient en fait des « réfugiés » d’Ukraine, du Kosovo et d’Albanie.
J’ai couvert les crises des réfugiés du Liban, de Jordanie, de Turquie, mais également les « crises » en Grèce (Kos) et en France (Calais). L’Occident, qui avait déjà déstabilisé la moitié du monde et presque tout le Moyen-Orient, faisait preuve d’un égoïsme extrême, d’une indifférence brutale, de racisme et d’un refus obstiné de se repentir et de comprendre.
Qui que soit M. Tahan du New York Times, et quel que soit son programme, il avait tort. Au moment de publier cet article, le nombre de réfugiés syriens vivant au Liban baisse continuellement, car le gouvernement de Damas, soutenu par la Russie, l’Iran, la Chine, Cuba et le Hezbollah, a gagné la guerre contre les groupes terroristes armés et soutenus par l’Occident et ses alliés.
C’est en fait l’Occident – ses ONG et même ses agences gouvernementales – qui « avertissent » les Syriens de ne pas retourner chez eux, affirmant que « la situation dans leur pays est toujours extrêmement dangereuse ».
Mais de tels avertissements ne peuvent guère dissuader le flot de réfugiés de retourner en Syrie. Comme CBS News l’a rapporté le 2 février 2018 :
« … L’homme de 36 ans est de retour chez lui à Alep. Il y est retourné l’été dernier – déprimé, nostalgique et redoutant un nouvel hiver, il ne pouvait pas supporter la vie dans la ville allemande de Suhl. L’Allemagne, a-t-il dit, « était ennuyeuse, ennuyeuse, ennuyeuse. »
Selon le Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), pour la première fois depuis 2014, le nombre d’immigrants syriens sur le territoire libanais est déjà passé sous le cap d’un million.
Les gens rentrent chez eux. Ils y rentrent par milliers chaque semaine.
Ils reviennent du Liban, de Jordanie, de Turquie et même de ce qui fut un jour un paradis imaginaire – les pays européens comme l’Allemagne – qui, d’une manière ou d’une autre, ne sont pas parvenus à matérialiser et même à impressionner de nombreux habitants issus d’un pays dont l’histoire et la culture sont parmi les plus anciennes et les plus grandes sur la terre.
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Mohammad Kanaan, étudiant en maintenance industrielle à l’ULF au Liban, explique :
« Quand j’étais en Syrie, j’étudiais la conception et le développement mécanique pendant trois ans. À cause des crises et de la guerre, j’ai dû arrêter ma formation pour trois ans encore. Ensuite, grâce à une initiative de l’UNESCO, j’ai été accepté pour étudier au Liban… Après la guerre contre la Syrie, j’ai été plus motivé à poursuivre dans mon domaine d’étude. En particulier, puisque l’infrastructure a besoin d’être restaurée et les usines seront bientôt opérationnelles. Le pays a besoin de beaucoup de gens armés de connaissances… »
L’Occident ne s’attendait pas à une telle détermination de la part des réfugiés syriens. C’était courant chez les migrants provenant d’innombrables pays ruinés et déstabilisés : des gens capables de faire à peu près n’importe quoi tant qu’on leur permettait de rester en Occident.
L’Occident a essayé de transformer les Syriens en ce genre d’immigrants, mais il a échoué. En décembre 2014, j’ai fait un reportage dans la région kurde autonome d’Irak :
« Non loin des champs de pétrole, il y a un immense camp de réfugiés ; celui-ci est pour les exilés syriens.
Après avoir négocié, je réussis à demander au directeur du camp, M. Khawur Aref, combien de réfugiés sont accueillis ici. « 14 000, répond-il. Et une fois qu’il atteindra le chiffre de 15 000, cet endroit deviendra ingérable. »
Je suis découragé d’interviewer des gens, mais j’arrive quand même à parler à plusieurs réfugiés, dont M. Ali et sa famille, qui sont arrivés de la ville syrienne de Sham.
Je veux savoir si tous les nouveaux arrivants sont interrogés. La réponse est oui. Leur pose-t-on des questions pour savoir s’ils sont pour ou contre le président Bachar al-Assad ? « Oui : on pose à tout le monde ces questions et davantage… » Et si une personne – vraiment désespérée, dans le besoin et affamée – répond qu’elle soutient le gouvernement de Bachar al-Assad et qu’elle est arrivée ici parce que son pays a été détruit par l’Occident, qu’arrive-t-il ? » On me dit : « Lui et sa famille ne seraient jamais autorisés à rester au Kurdistan irakien. »
J’ai rencontré des réfugiés syriens partout au Moyen-Orient ainsi que dans divers pays européens.
Presque tous étaient nostalgiques, et même désespérés d’être loin de leur terre bien-aimée. La plupart d’entre eux voulaient y retourner. Certains ne pouvaient pas attendre la première occasion.
J’ai connu des Syriens qui avaient des visas dans la poche, même pour des endroits comme le Canada, et qui ont décidé, au dernier moment, de ne pas quitter leur patrie.
La Syrie est vraiment un pays exceptionnel.
L’Occident ne s’y attendait pas ; il n’était pas habitué à une telle détermination de la part de gens dont il a détruit les vies.
« Nous partons maintenant pour l’Ouest, nous devons partir », m’a dit une dame syrienne avec deux enfants accrochés à elle, et qui attendait devant le bâtiment municipal de l’île grecque de Kos. « Nous le faisons pour nos enfants. Mais croyez-moi, la plupart d’entre nous reviendront bientôt. »
Et maintenant ils rentrent. Et l’Occident n’aime pas ça ; il déteste. Il aime se plaindre de la façon dont il est utilisé par « ces hordes appauvries », mais il ne peut pas vraiment vivre sans les immigrants, notamment venant de pays instruits comme la Syrie.
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Non seulement le peuple syrien s’est battu avec bravoure, vainquant l’invasion brutale des terroristes soutenus, fabriqués, formés et financés par l’Occident. Mais maintenant, les réfugiés tournent le dos au faux confort, souvent humiliant, de l’exil en Europe, au Canada et ailleurs.
Une telle attitude « doit être punie ». Pour un tel courage, les villes syriennes et la victorieuse armée syrienne pourraient être bientôt bombardées et attaquées, directement par les États-Unis et peut-être aussi par les forces européennes.
Lorsque je terminais la rédaction de cet article à Beyrouth, j’ai reçu une courte visite de mes amis, des éducateurs syriens, l’un d’Alep et l’autre de Damas.
« Ça redevient difficile », ai-je dit.
« Oui », ont-ils opiné. « Juste avant mon départ pour ce voyage, deux enfants ont été tués par des balles tirées par les terroristes dans mon quartier, à Damas. »
« Les États-Unis disent qu’ils pourraient attaquer le pays, directement », ai-je dit.
« Ils menacent toujours », m’a-t-on répondu. « Nous n’avons pas peur. Notre peuple est déterminé, prêt à défendre notre pays. »
Malgré les nouveaux dangers, encouragés, les Syriens retournent dans leur pays. L’Empire peut essayer de les punir pour leur courage, leur patriotisme et leur détermination. Mais ils n’ont pas peur et ils ne sont pas seuls. Les Russes et d’autres alliés sont « sur le terrain » et prêts à les aider à défendre la Syrie.
Tout le Moyen-Orient regarde.
Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour Investig’Action
Les points de vue exprimés dans cet article sont strictement ceux de l’auteur et ils ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.