Israeli soldiers detain a Palestinian protester during a demonstration against the Israeli settlement expansion in the village of Jbara, south of Tulkarm in the occupied West Bank, on September 1, 2020. (Photo by JAAFAR ASHTIYEH / AFP)AFP

Les Palestiniens parlent le langage violent qu’Israël leur a enseigné

Un État colonial peut-il se targuer d’être démocratique et aspirer à vivre en paix ? Chris Hedges explique que la violence qui s’est abattue sur Israël à travers l’opération Déluge d’Al-Aqsa n’a rien de surprenant. Il y a longtemps déjà, un survivant du soulèvement du ghetto de Varsovie et un philosophe israélien tiraient la sonnette d’alarme, prévenant que la violence de l’occupation coloniale conduirait Israël à la faillite morale et entraînerait davantage de violence. (I’A)

Les tirs aveugles du Hamas et d’autres organisations de résistance palestinienne sur des Israéliens, les enlèvements de civils, les tirs de roquettes sur Israël, les attaques de drones sur diverses cibles allant des tanks aux dépôts de mitrailleuses automatiques… Tout cela est le langage familier de l’occupant israélien. Israël parle ce langage de violence sanguinolente aux Palestiniens depuis que les milices sionistes se sont emparées de plus de 78 % de la Palestine historique, depuis qu’ils ont détruit quelque 530 villes et villages palestiniens et qu’ils ont tué quelque 15 000 Palestiniens au cours d’une septantaine de massacres. Quelque 750 000 autres Palestiniens ont fait l’objet d’un nettoyage ethnique entre 1947 et 1949 pour créer l’État d’Israël en 1948.

La réponse d’Israël à ces incursions armées sera un assaut génocidaire sur Gaza. Israël tuera des dizaines de Palestiniens pour chaque Israélien tué. Des centaines de Palestiniens sont déjà morts dans les attaques aériennes d’Israël depuis le lancement de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » samedi matin, opération qui a fait 700 morts parmi les Israéliens[1].

Dimanche, le Premier ministre Netanyahou a invité les Palestiniens de Gaza à « partir maintenant », car Israël va « réduire en ruines toutes les cachettes du Hamas ».

Mais où les Palestiniens de Gaza sont-ils censés aller ? Israël et l’Égypte imposent un blocus aux frontières terrestres. Et il n’y a pas d’issue par les voies aériennes ou maritimes qui sont contrôlées par Israël.

La vengeance collective contre des innocents est une tactique couramment employée par les puissances coloniales. Nous l’avons utilisée contre les Amérindiens, puis aux Philippines et au Viêt Nam. Les Allemands l’ont utilisée contre les Herero et les Namaqua en Namibie. Les Britanniques au Kenya et en Malaisie. Les nazis l’ont utilisée dans les régions qu’ils occupaient en Union soviétique, en Europe centrale et orientale. Israël suit le même schéma. Mort pour mort. Atrocité pour atrocité. Mais c’est toujours l’occupant qui ouvre cette danse macabre et échange des piles de cadavres contre d’autres piles de cadavres.

Il ne s’agit pas de défendre les crimes de guerre commis par l’un ou l’autre camp. Il ne s’agit pas non plus de se réjouir des attaques. J’ai vu suffisamment de violence dans les territoires occupés par Israël, où j’ai couvert le conflit pendant sept ans, pour détester la violence. Mais tout ce qui se passe est le dénouement habituel de tout type de projet colonial. Les régimes implantés et maintenus par la violence engendrent la violence. La guerre de libération d’Haïti. Les Mau Mau au Kenya. Le Congrès national africain en Afrique du Sud. Ces soulèvements ne réussissent pas toujours, mais ils suivent des schémas habituels. Les Palestiniens, comme tous les peuples colonisés, ont le droit à la résistance armée en vertu du droit international.  

Israël n’a jamais eu intérêt à un règlement équitable avec les Palestiniens. Il a construit un État d’apartheid et n’a cessé d’absorber des pans de plus en plus vastes du territoire palestinien dans le cadre d’une campagne de nettoyage ethnique menée au ralenti. En 2007, il a fait de Gaza la plus grande prison à ciel ouvert du monde.

Que pouvait croire Israël ou la communauté internationale ? Comment peut-on piéger 2,3 millions de personnes à Gaza, dont la moitié sont au chômage, dans l’un des endroits les plus densément peuplés de la planète pendant 16 ans, réduire la vie de ses habitants, dont la moitié sont des enfants, à un niveau minimal de subsistance, les priver de fournitures médicales de base, de nourriture, d’eau et d’électricité, utiliser des avions de combat, de l’artillerie, des unités mécanisées, des missiles, des canons navals et des unités d’infanterie pour massacrer au hasard des civils non armés et ne pas s’attendre à une réponse violente ? Actuellement, Israël mène des vagues d’assauts aériens sur Gaza, y prépare une possible invasion terrestre et a privé l’enclave d’électricité – électricité qui ne fonctionne habituellement que deux à quatre heures par jour.

De nombreux résistants qui se sont infiltrés en Israël savaient sans doute qu’ils seraient tués. Mais comme les résistants d’autres guerres de libération, ils ont décidé que s’ils ne pouvaient pas choisir comment vivre, ils choisiraient comment mourir.

J’étais un ami proche d’Alina Margolis-Edelman, qui faisait partie de la résistance armée lors du soulèvement du ghetto de Varsovie pendant la Seconde Guerre mondiale. Son mari, Marek Edelman, était le commandant adjoint du soulèvement et le seul leader à avoir survécu à la guerre. Les nazis avaient enfermé 400 000 Juifs polonais dans le ghetto de Varsovie. Les Juifs enfermés sont morts par milliers, de faim, de maladie et de violence aveugle. Lorsque les nazis ont commencé à transporter les Juifs restants vers les camps d’extermination, les résistants ont riposté. Aucun n’espérait survivre.

Après la guerre, Edelman a condamné le sionisme comme une idéologie raciste utilisée pour justifier le vol des terres palestiniennes. Il s’est rangé du côté des Palestiniens, il a soutenu leur résistance armée et il a fréquemment rencontré les dirigeants palestiniens. Il s’est fermement opposé à l’appropriation par Israël du drame de l’Holocauste pour justifier la répression du peuple palestinien. Alors que la propagande israélienne se nourrit de la mythologie du soulèvement des ghettos, elle a traité le seul leader ayant survécu au soulèvement – leader ayant refusé de quitter la Pologne – comme un paria. Edelman avait compris que la leçon à tirer de l’Holocauste et du soulèvement des ghettos n’était pas que les Juifs sont moralement supérieurs ou qu’ils sont d’éternelles victimes. L’Histoire, selon Edelman, appartient à tout le monde. Les opprimés, y compris les Palestiniens, ont le droit de lutter pour l’égalité, la dignité et la liberté.

« Être juif signifie être toujours du côté des opprimés et jamais du côté des oppresseurs« , déclarait Edelman.

Le soulèvement de Varsovie inspire depuis longtemps les Palestiniens. Les représentants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont l’habitude de déposer une gerbe au monument du ghetto de Varsovie lors de la commémoration annuelle du soulèvement en Pologne.

Plus le colonisateur déploie de violence pour soumettre l’occupé, plus il se transforme en monstre. Le gouvernement actuel d’Israël est peuplé d’extrémistes juifs, de sionistes fanatiques et de bigots religieux qui démantèlent la démocratie israélienne et appellent à l’expulsion ou à l’assassinat en masse des Palestiniens, y compris ceux qui vivent à l’intérieur d’Israël.

Le philosophe israélien Yeshayahu Leibowitz, qu’Isiah Berlin appelait « la conscience d’Israël », a averti que si Israël ne séparait pas l’Église de l’État, il donnerait naissance à un rabbinat corrompu qui transformerait le judaïsme en un culte fasciste.

« Le nationalisme religieux est à la religion ce que le national-socialisme était au socialisme« , déclarait Leibowitz, décédé en 1994.

Il a compris que la vénération aveugle de l’armée, en particulier après la guerre de 1967, était dangereuse et conduirait à la destruction finale d’Israël, ainsi qu’à tout espoir de démocratie. Lors de cette guerre, l’armée avait confisqué le Sinaï égyptien, Gaza, la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et les hauteurs du Golan syrien.

« Notre situation se détériorera jusqu’à devenir celle d’un second Vietnam, celle d’une guerre en constante escalade sans perspective de résolution finale« , avait averti Leibowitz.

Il prévoyait que « les Arabes seraient les travailleurs et les Juifs les administrateurs, les inspecteurs, les fonctionnaires et la police – principalement la police secrète. Un État gouvernant une population hostile de 1,5 à 2 millions d’étrangers deviendra nécessairement un État de police secrète, avec tout ce que cela implique pour l’éducation, la liberté d’expression et les institutions démocratiques. La corruption caractéristique de tout régime colonial prévaudra également dans l’État d’Israël. L’administration devra, d’une part, réprimer l’insurrection arabe et, d’autre part, se doter de Quislings arabes. Il y a également de bonnes raisons de craindre que les forces de défense israéliennes, qui ont été jusqu’à présent une armée populaire, dégénèrent du fait de leur transformation en armée d’occupation, et que leurs commandants, qui seront devenus des gouverneurs militaires, ressemblent à leurs collègues d’autres nations« .

Il estimait qu’une occupation prolongée des Palestiniens engendrerait inévitablement des « camps de concentration ».

« Israël ne mériterait alors pas d’exister et ne vaudrait pas la peine d’être préservé », déclarait Leibowtiz.

La prochaine étape de cette lutte sera une campagne massive de massacres industriels à Gaza par Israël. Cette campagne a déjà commencé. Israël est convaincu que des niveaux de violence plus élevés finiront par écraser les aspirations palestiniennes. Israël se trompe. La terreur qu’Israël inflige est la terreur qu’il récoltera en retour.

Source originale: Scheer Post
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

Note:
[1] Premier bilan lors de la parution originale de l’article, le 8 octobre.

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