Les BRICS décidés à se passer du dollar

Pour la fin de l'année, les leaders des BRICS veulent s'entendre sur le lancement de monnaies alternatives à la suprématie du dollar. Un objectif monétaire qui inquiète Washington d'autant que la part des échanges mondiaux en dollars est en baisse... (I'A) 


Le 5 mars dernier le conseiller du président Poutine pour les affaires diplomatiques, Yury Ushakov, rendait public par une dépêche de l’agence Tass les objectifs des BRICS en matière de monnaies numériques. Il y déclare : « La création d’un système de paiement BRICS indépendant est un objectif important pour l’avenir. Il serait basé sur des outils de pointe tels que les technologies numériques. L’essentiel est de s’assurer que c’est commode pour les gouvernements, les citoyens et les entreprises ».

Cet objectif s’inscrit dans la stratégie de rendre moins dépendant l’économie internationale à l’égard du dollar et ce, dès la fin de l’année 2024, poursuit le conseiller. « La tâche spécifique pour cette année est d’accroître le rôle des BRICS dans le système monétaire et financier international. Je rappelle que, la Déclaration de Johannesburg de 2023 met l’accent sur l’augmentation des règlements en monnaies nationales et le renforcement des réseaux bancaires de correspondants pour sécuriser les transactions internationales » ajouté Ushakov.

Les Etats-Unis ont des raisons sérieuses de s’inquiéter de cette stratégie financière des BRICS. Donald Trump, qui exprime souvent publiquement, ce que d’autres représentants de la classe dominante états-uniennes tentent de masquer, évoquait déjà ses craintes en août dernier à l’issue du sommet des BRICS de Johannesburg :

« Notre pays va en enfer. Nous avons le pouvoir mais il est en déclin. En fait tout change en matière de monnaie. Je ne parle pas seulement de la valeur de notre monnaie, je parle de l’utilisation même de notre monnaie dans le monde entier. La perte du statut du dollars comme monnaie de réserve internationale serait plus grande que le fait de perdre n’importe quelle guerre. Le dollar est le cœur de notre puissance. Mais regardez ce qui lui arrive maintenant. De plus en plus de pays essayent de ne plus l’utiliser ou de moins l’utiliser. Vous savez aussi que la Chine veut le remplacer par le Yuan. »

Suprématie en recul


A part le ton catastrophiste et la phobie antichinoise, la description de la situation n’est pas erronée. La part des échanges mondiaux réalisés en dollars est effectivement en baisse. Il est ainsi passé pour les transactions internationales bancaires de 78 % en 1980 à 35 % en 2022. De même la part du dollar dans les réserves des banques centrales est passé de 72 % en 1980 à 58.4 % en 2022 selon les données du Fond Monétaire International.

Si l’érosion du dollar est indéniable, le ton catastrophiste de Trump n’est pas de mise. En effet le dollar garde encore largement la suprématie. Il reste dominant dans les transactions commerciales mondiale avec une part de 54 % en 2023. Il reste aussi largement dominant sur le marché des transactions de devises où il se situe à 90 % des échanges.

Indéniable, l’érosion du dollar ne remet pourtant pas encore en cause la suprématie de la monnaie états-unienne. Une telle situation pourrait bien sûr changer rapidement si les projets des BRICS, décidés à Johannesburg en août dernier, étaient mis en œuvre avec succès, à savoir le développement des échanges dans d’autres monnaies et la création d’une nouvelle monnaie internationale à partir du panel des monnaies des pays membres.

Pillage du reste du monde



Rappelons l’origine et l’intérêt pour les Etats-Unis d’avoir leur propre monnaie comme monnaie internationale dominante. L’internationalisation d’une monnaie est un signe de la confiance accordée à l’économie émettrice. Cette confiance fut pendant longtemps basée sur la convertibilité du dollar en or, obligeant la banque centrale états-unienne à disposer d’un stock d’or équivalent aux dollars mis en circulation.

Or, en 1971 le président Richard Nixon décrète unilatéralement la fin de cette convertibilité en or avec comme échéance le printemps 1973. Depuis cette date l’étalon or est remplacé par l’étalon dollars. Le privilège économique ainsi instauré est gigantesque. Désormais les Etats-Unis peuvent émettre sans limite des dollars. Le premier avantage palpable est ce que les économistes appelle les « gains de seigneurages ».

L’économiste Barry Eichengreen le décrit comme suit, je cite : « fabriquer un billet de 100 dollars ne coûte que quelques cents à l’imprimerie nationale des Etats-Unis, mais pour l’obtenir, les autres pays doivent débourser 100 dollars de biens et services réels (…) Environ 500 milliards de dollars circulent à l’extérieur des Etats-Unis ; en contrepartie, les étrangers ont dû fournir aux Etats-Unis 500 milliards de dollars de biens et services réels ».

Le second avantage est le pouvoir d’avoir des déficits infinis et de s’endetter à l’infini. La dette publique états-unienne a ainsi atteint un montant inédit de 31 400 milliards de dollars fin 2022 selon les données de la réserve fédérale. A elle seule elle dépasse les PIB combinés de la Chine, du Japon, de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni. Concrètement cela signifie que c’est le reste du monde qui finance les dépenses états-uniennes.


Monnaies numériques


La déclaration du conseiller Russe Iouri Ushakov signifie concrètement l’accélération de la création en 2024 des monnaies numériques des banques centrales des pays membres. Pékin a déjà annoncé que le projet de Yuan numérique était très avancé. Moscou annonce par la déclaration à l’agence Tass l’ouverture du chantier du rouble numérique.

Ces deux premières expériences peuvent ainsi servir de test et d’expérience pour les autres pays membres. Si le chemin est encore long avant d’obtenir la fin de la suprématie du dollar, les progrès des BRICS dans ce domaine indique qu’il s’agit d’un réel objectif de ce regroupement qui constitue 46 % de la population mondiale.

L’accélération de la volonté de sortir d’une dépendance vis-à-vis du dollar est significativement issus de la multiplication des sanctions états-uniennes contre ses adversaires.

La décision du gouvernement états-unien de geler les réserves en devises de la banque centrale russe détenue à la réserve fédérale et dans d’autres banques centrales occidentales est venue accélérer la volonté d’accélérer la sortie de la dépendance à l’égard du dollar. Avant la Russie d’autres pays avait déjà eu à subir cette sanction. Ce fut le cas de la Syrie, de l’Iran, de la Lybie, du Vénezuela, etc.

Comme on le constate le statut de monnaie internationale est une arme politique permettant de maintenir une hégémonie.


Saïd Bouamama


Source : investig’Action

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