Le traité de paix entre l’Erythrée et l’Ethiopie met fin à des décennies de conflit frontalier

Les habitants ont célébré dans les rues d’Asmara, la capitale de l’Erythrée, la normalisation des relations diplomatiques et le rétablissement des voies de communication.

 

On a assisté à des scènes de liesse dans les rues d’Asmara, la capitale de l’Érythrée, où des centaines de personnes défilaient et dansaient pour célébrer la restauration de la paix et de l’amitié avec l’Éthiopie voisine. Comme les relations diplomatiques entre les deux pays ont été normalisées après presque deux décennies, les familles, un jour séparées par la guerre, ont été réunies puisque les lignes téléphoniques ont été rétablies. Les vols entre les deux pays sont aussi prévus pour la semaine prochaine, mettant fin à des années d’interdiction de franchir la frontière.

« Historique », a twitté Hallelujah Lulie, un analyste politique spécialisé dans la Corne de l’Afrique. « Ce n’est pas la paix entre deux voisins ordinaires. L’Éthiopie et l’Érythrée partagent une mémoire et un héritage complexes. La reconnaissance de leur passé entrelacé et de leur destinée commune aura des retombées politiques et socio-économiques positives pour elles et redessineront la carte géopolitique de la Corne de l’Afrique », a-t-il ajouté.

Lundi, les deux pays africains ont signé une « Déclaration conjointe de paix et d’amitié », qui met formellement fin à 20 ans d’immobilisme militaire. En mai, le gouvernement éthiopien, à la surprise générale, a annoncé qu’il appliquerait les Accords d’Alger de 2000. Cet événement a été suivi par une rencontre au sommet le 9 juillet entre le président érythréen Issaias Afwerki et le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, où ils ont signé une déclaration de paix.

L’Érythrée et l’Éthiopie se sont fait une guerre sanglante de 1998 à 2000 autour de revendications territoriales, guerre qui a conduit à la mort de plus de 80 000 personnes et le déplacement d’environ 650 000. L’une des zones contestées était Badme, une ville dans la région de Garh Barka, pour laquelle les gouvernements des deux pays, autrefois proches alliés, se sont battus.

 

Un tweet de la mission érythréenne auprès de l’ONU

 

Le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), prédécesseur de l’actuel Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ), actuellement au pouvoir, et le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiien (FDRPE), aujourd’hui membre de la coalition dirigeante, ont combattu ensemble le gouvernement éthiopien pendant la guerre d’indépendance de l’Érythrée et la guerre civile éthiopienne dans les années 1980 et 1990. Le FDRPE a renversé le régime du Derg de Mengistu Haile Mariam en 1991 avec l’aide du FPLE et, en 1994, l’Érythrée a conquis son indépendance au terme d’une lutte de libération de 30 ans.

Le conflit territorial entre l’Erythrée et l’Ethiopie, comme beaucoup d’autres sur le continent, trouve son origine dans la « ruée sur l’Afrique » du XIXe siècle, lorsque les puissances coloniales européennes faisaient la course pour annexer la région. Le traité entre l’Ethiopie et l’Italie de 1902 a mal délimité la frontière entre l’Ethiopie et l’Erythrée, semant les graines de la discorde. En 1936, l’Italie, sous le régime fasciste de Benito Mussolini, a fusionné ses territoires coloniaux de l’Erythrée, de l’Ethiopie et du Somaliland. Les Britanniques ont pris le contrôle de la région après avec vaincu les Italiens dans la Seconde Guerre mondiale. Même après que la Grande-Bretagne eut renoncé à ce contrôle, elle a veillé, avec les Etats-Unis, à ce que l’Erythrée reste soumise à l’Ethiopie. Celle-ci était alors sous le règne monarchique de Haile Selassie lorsqu’en décembre 1950, la Résolution 390 (V) de l’ONU) a fédéré l’Erythrée avec l’Ethiopie.

On peut découvrir la raison de l’intérêt des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne pour l’Erythrée et de leurs pressions pour qu’elle se fédère avec l’Ethiopie en dépit de son histoire comme pays indépendant, dans une lettre de 1945 écrite par le président d’une entreprise américaine, la Sinclair Oil Corporation, à James F. Byrnes, alors secrétaire d’Etat. La lettre mentionnait son accord avec le « gouvernement impérial éthiopien pour la prospection pétrolière en Ethiopie ». Elle relevait en outre que comme le pays était enclavé, il était nécessaire de construire des « oléoducs adéquats depuis l’Ethiopie jusqu’à un bon port de mer, ainsi qu’un terminal d’exportation », et le seul accès possible à la mer passait par l’Erythrée.

La lettre proposait :

« Tout notre programme de développement sera gravement retardé et affecté si l’Erythrée passait sous la domination d’une autre puissance que l’Ethiopie. Je demande donc instamment que vos bons offices soutiennent la demande de l’Ethiopie concernant l’Erythrée. »

L’indépendance de l’Erythrée en 1993 a enterré l’un des aspects du conflit dans la région, mais la question de la frontière a couvé jusqu’à ce qu’il flambe en 1998.

 

Les accords d’Alger

 

La guerre entre les deux pays a cessé le 18 juin 2000 après la signature de l’ « Accord de cessation des hostilités », soutenu par les Nations unies et l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Les Accords d’Alger, tels que nous les connaissons, appelaient les deux parties à s’abstenir de recourir à la force et à libérer tous les prisonniers de guerre. Ils appelaient également à assurer « un traitement humain aux ressortissants de chacun des pays et aux personnes d’origine nationale de l’autre dans leurs territoires respectifs ».

Les accords ont constitué deux commissions. La première était chargée de la délimitation et de la démarcation de la frontière internationale entre les deux pays (Commission des frontières). La seconde traitait des plaintes relatives aux pertes, aux dommages et aux blessures (Commission des réclamations).

En 2003, la Commission des frontières a achevé le processus de délimitation et décidé d’attribuer la plus grande partie des territoires contestés, y compris Badme, à l’Erythrée. Le processus de démarcation n’a pu être achevé en raison d’objections de l’Ethiopie, qui a refusé d’appliquer la décision de la commission et de retirer ses troupes.

Avec la signature du traité de paix de lundi, le gouvernement d’Abiy Ahmed a accepté de respecter la décision de la Commission des frontières, mettant ainsi fin à l’un des plus longs conflits frontaliers dans la région.

« Nous allons démolir le mur et, avec amour, construire un pont entre les deux pays », a déclaré Abiya, qui a reçu un accueil chaleureux à Asmara.

 

Source The Dawn News

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