L’observateur désireux d’entrevoir la carte des événements (proches et plus lointains) vraisemblables au Liban doit suivre les informations en provenance d’Arabie, et plus particulièrement les prises de position et les déclarations de son ministre des Affaires étrangères, le prince Saûd al-Fayçal, cela en raison de la grande influence qui est la sienne et de son alliance avec les Etats-Unis, d’où découle sa connaissance dans les moindres détails, des plans que l’on y concocte contre ce malheureux pays.
Ainsi, lorsque ce prince affirme lors d’une interview à la chaîne télévisée Al-Arabiyya que la situation au Liban est « grave » et que son pays a renoncé à la médiation qu’il menait avec la Syrie en vue d’une solution de la crise relative au Tribunal Spécial sur le Liban (TSL) mis sur pied afin d’examiner l’assassinat du président libanais Rafiq Al-Hariri et ses conséquences, nous devons, en nous fondant sur ces déclarations très claires venues d’un homme proche du camp des faucons dans la famille régnante, nous attendre au pire. Ce pire peut se cristalliser selon trois possibilités :
1) l’explosion d’une guerre confessionnelle opposant les chiites et les sunnites au Liban, prenant l’ampleur d’une guerre civile et offrant des prétextes à des interventions militaires étrangères, ainsi qu’à des opérations de polarisation internes ;
2) une agression israélienne de grande envergure contre le Liban prenant pour prétexte la dégradation de la situation sécuritaire et l’exploitation du verdict supposé du tribunal international pour incriminer le Hezbollah via l’accusation lancée contre certains de ses éléments d’être responsables de l’assassinat de Hariri, ce qui donnerait le feu vert et servirait de prétexte à l’élimination de toute résistance au Liban par la voie armée ; enfin,
3) le partage du Liban entre cantons isolés indépendants ou quasi indépendants, ou en micro-états type Monte Carlo, Liechtenstein ou Île de Mann…
Le prince Fayçal ne parle pas en l’air lorsqu’il dit : « Si les choses en arrivent jusqu’à la sécession et au partage du Liban, c’en sera fini du Liban en tant qu’Etat caractérisé par son mode de coexistence pacifique » : cela signifie tout simplement qu’un tel plan de partage existe bien et qu’il est envisagé comme une solution parmi d’autres, conformément aux frontières posées par les deux camps opposés, le Courant du 14 mars (dirigé par Saad Al-Hariri) et le courant de la résistance et de l’opposition emmené par le Hezbollah.
Nous ne savons pas sur quelles bases le prince Fayçal a évoqué une partition du Liban dans ses déclarations : entend-il, par là, la séparation du Sud (majoritairement peuplé de chiites) du Nord (où vit une majorité sunnite et maronite) ? Dans ce cas, il est permis de s’interroger, par exemple sur le sort des poches chrétiennes, druzes et sunnites (au Sud) : assistera-t-on à des opérations d’épuration ethnique et au départ forcé des indésirables, dans le cadre de la flambée de confessionnalisme qui montre sa tête et reçoit les encouragements de l’extérieur, tant arabe qu’occidental ?
La carte politique actuelle du Liban diffère du tout au tout de celle des années 1970, au moment où la guerre civile a éclaté. Il y avait alors deux camps opposés, un camp islamiste « progressiste » soutenu par la Résistance palestinienne et regroupant les sunnites, les chiites et les druzes, et un camp purement chrétien, avec l’existence de quelques poches, très limitées, « neutres » ou « opposées à la guerre ».
Aujourd’hui, rien de tel : nous avons des sunnites avec Hariri et des sunnites contre Hariri, nous avons un courant chrétien maronite puissant allié au camp de la Résistance, sous la direction du général Michel Aoun, regroupant M. Suleïman Franjiéh et d’autres personnalités, de même que nous avons des chiites réunis sous la bannière du Courant du 14 mars, opposé au Hezbollah et au courant Amal que dirige M. Nabîh Berri, qui est le président de l’Assemblée nationale libanaise.
Le Liban est trop petit et trop compliqué pour pouvoir ainsi éclater en de multiples Etats, cités, confessions ou obédiences. A moins qu’il n’existe un plan américain dont nous ignorerions l’existence ? En effet, ceux qui ont divisé le Soudan, dispersé l’Irak et déchiqueté les territoires palestiniens occupés entre deux fronts rivaux sont capables de plonger leur couteau dans le corps libanais et de dépecer ce pays avec des complicités internes et un soutien arabe en profitant de l’état de décrépitude humiliante que traverse actuellement la nation arabe.
Mais, en réalité, la médiation syro-saoudienne dont le prince Fayçal vient d’annoncer la fin n’existait pas. S’il y en a eu une, celle-ci n’était sans doute pas sérieuse. Et si, sérieuse, elle l’était, c’était uniquement dû à la bonne volonté de ses initiateurs et non pas au désir de Washington de la voir réussir, ni à son soutien. Si Washington a soutenu cette médiation, ce fut uniquement pour l’utiliser à la manière d’une sorte d’injection d’anesthésiant ou d’une sorte d’allaitement artificiel visant à distraire les Libanais et à calmer le jeu dans leur pays afin de gagne un maximum de temps, jusqu’à ce que soient réunies les conditions favorables à la publication du verdict présumé du tribunal international dans les délais prévus.
Le fait que l’annonce de la fin de la médiation saoudo-syrienne soit aussi brutale et intervienne au lendemain des fêtes de Noël ne doit rien au hasard. De même que ne doit rien au hasard non plus le fait que ce ‘divorce’ syro-saoudien ait été officialisé à la fin d’une réunion quadripartite tenue dans la suite du souverain saoudien, le roi Abdullah Ibn Abdel- Aziz à New York et ce, en présence du président français Nicolas Sarkozy et de la Secrétaire d’Etat américaine Mme Hillary Clinton, en sus de M. Saad Hariri, président du Rassemblement du 14 mars et alors Premier ministre.
De même que ne relève pas de la coïncidence le fait qu’Ehud Barak, ministre israélien de la Défense, démissionne du parti travailliste pour constituer un nouveau regroupement politique visant à renforcer son alliance avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu et avec Avigdor Lieberman, ministre des Affaires étrangères, en vue de la constitution d’un « cabinet de guerre » en Israël.
Ce qui réunit Netanyahu et Barak, c’est le fait qu’ils sont convaincus du caractère inéluctable d’une guerre visant à détruire le Hezbollah au Liban et servant de piège pour entraîner la Syrie ou l’Iran (voire les deux) dans la guerre, ce qui permettrait d’avoir des prétextes pour étendre ce conflit et y impliquer les Etats-Unis et l’Union européenne aux côtés d’Israël et de ses alliés (directs et indirects) au Liban.
C’est à notre grand regret que nous devons dire que le Liban s’achemine à grands pas vers la guerre. Les possibilités de paix reculent, si elles ne se sont pas déjà totalement évaporées, ce qui signifie que les patients efforts déployés actuellement par le triangle syro-turco-qatari sont confrontés à de multiples difficultés. Nous n’exagérons nullement en disant que les déclarations du prince Saoud Al-Fayçal, qui son tombées juste au moment de la réunion du sommet tripartite de Damas, visaient à faire avorter cet effort tripartite (ou tout au moins, dans le meilleur des cas, à en réduire les chances de succès).
Ce qui nous rassure quelque peu, dans ce contexte de sombres intrigues, c’est le fait que la Résistance a choisi de tenir bon ; elle a opté pour le ‘çumûd’. Elle a décidé de défendre le Liban et son arabité dans la confrontation de toute agression israélienne éventuelle avec la même fermeté à laquelle nous avons assisté durant la guerre de l’été 2006. Les guerres israéliennes ne sont plus des promenades de santé, ni des incursions à sens unique face à des régimes corrompus et croulants bien que vociférant. Non, ce sont désormais des guerres qui doivent faire face à des peuples dont les enfants sont prêts, aujourd’hui, à s’immoler par le feu afin d’allumer la mèche des révolutions qui feront sauter ces régimes répressifs, pourris et obscurantistes.
Source: ISM France
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