Les écoles devraient progressivement rouvrir en Belgique à partir du 18 mai. Clairement, cette mesure répond à la nécessité de remettre au plus vite les parents au travail. Elle se base sur l’avis hésitant de quelques scientifiques: les enfants ne présenteraient pas de risques pour les grands-parents. C’est contredit par des études plus poussées menées en Allemagne et au Royaume-Uni. Il semble de plus que les conditions de sécurité préconisées pourront difficilement être appliquées sur le terrain. (IGA)
La décision est tombée, les écoles redémarrent progressivement à partir du 18 mai. Beaucoup l’attendaient avec impatience, mais tous les doutes sont permis quant à la sagesse et plus encore l’aspect sécurité de ce choix.
Stratégie média
Tout comme son prédécesseur au ministère flamand de l’Éducation, Ben Weyts se comporte plus en stratège médiatique qu’en ministre. Il a annoncé en grande pompe que l’éducation reprendrait progressivement à la mi-mai. Annonce quelque peu déconcertante, car ce n’est pas à lui, mais au Conseil de Sécurité Nationale (CSN) qu’il appartient d’en décider. Il est clair qu’il fallait forcer quelque chose.
Il ne faut pas oublier que la N-VA se positionne comme le représentant de la fédération patronale flamande VOKA. L’objectif de la manœuvre Weyts était – pour le bien de l’élite économique – de faire pression sur le gouvernement et le CSN pour assouplir le confinement le plus rapidement possible. En même temps, il s’est retrouvé au centre de l’attention des médias, ce qui constitue un bonus. Avouons qu’ il a réussi à entraîner tout le monde de l’enseignement dans sa manœuvre et également à convaincre son collègue wallon.
Bien que non ouvertement admis, les projets en cause sont largement motivés par la logique économique. Le plus grand nombre possible d’écoliers du primaire devraient retourner à l’école, car il s’agit d’enfants qui ne peuvent être laissés seuls à la maison. Lorsqu’ils seront à nouveau accueillis à l’école, leurs parents pourront reprendre leur activité économique. Une grande partie des élèves de la dernière année du secondaire technique et professionnelle entrera sur le marché du travail à partir de cet été. Ce n’est pas un hasard si eux aussi sont prioritaires.
Guerre de propagande
Une véritable guerre de propagande a eu lieu pour motiver ce redémarrage rapide. On dit que les enfants présentent peu ou pas de risque d’infection. Un article du journal De Standaard s’intitule : « Finalement les enfants ne sont pas un si grand danger pour les grands-parents ». Pour soutenir cela, on se réfère à l’épidémiologiste Joanna Merckx : « Les enfants ne sont pas plus susceptibles d’être contaminés par le virus que les adultes, peut-être même moins ». La citation nous apprend qu’au fond, elle ne sait pas, « peut-être », rien de plus.
Le journal fait également référence à une étude réalisée par Merckx à l’appui de cette affirmation, basée sur 31 familles. Vous avez bien lu: 31 familles. Pas besoin d’être expert en statistiques pour savoir que le nombre 31 est tout à fait insuffisant pour en conclure quoi que ce soit, donc certainement pas pour en tirer des conclusions scientifiquement solides.
Un son de cloche très différent nous vient d’Allemagne. Dans ce pays, il y avait deux épicentres. L’un est la petite municipalité de Gangelt avec 12 000 habitants, située près des frontières néerlandaise et belge. Plus d’une personne sur six y a été infectée. Le professeur Edda Klipp a étudié de manière approfondie la propagation du coronavirus dans cette municipalité. Elle en a conclu que « les écoles sont d’importantes sources de transmission des infections ». Le graphique ne laisse planer aucun doute à ce sujet.
Le prestigieux institut Imperial College COVID-19 Response Team du Royaume-Uni suppose également que les enfants transmettent les infections comme les adultes. C’est dans cette hypothèse que les experts ont insisté pour une fermeture rapide les écoles.
La réouverture précoce des écoles peut relancer la courbe et peut-être même nécessiter un nouveau confinement. C’est pourquoi l’Ordre des Médecins français s’est fermement opposé à la réouverture annoncée des écoles primaires de leur pays pour le 11 mai. Le Conseil scientifique qui conseille le gouvernement français avait aussi recommandé de fermer les écoles jusqu’au mois de septembre. C’est la première fois que le gouvernement va à l’encontre d’un avis du Conseil scientifique.
Même la chancelière Merkel met en garde contre un redémarrage trop rapide des écoles dans son pays. En Allemagne, il y a relativement moins de décès dus au coronavirus que dans notre pays. Le redémarrage progressif des écoles est prévu pour le 4 mai. Au Parlement, Merkel a mis en garde contre un redémarrage si rapide: « Cela semble parfois très rapide, voire trop rapide ». En Italie, les écoles ne rouvriront pas avant septembre.
La sécurité avant tout?
De l’avis du secteur de l’enseignement flamand : «La sécurité de tous les élèves et du personnel est une condition de base absolue lors du redémarrage des écoles. … Nous aspirons à l’environnement scolaire le plus sûr possible, dans lequel nous essayons de limiter au maximum le risque de contamination. »
Ça sonne bien. Mais ce ne sont que des paroles, des paroles faciles. Jetons un coup d’œil sur certains points sensibles. Par exemple, pas un mot dans l’avis sur les tests des enseignants. On s’ attendait pourtant au moins à apprendre ce qu’il en est.
En ce qui concerne le port de masques buccaux, selon l’avis pour le personnel, il est «fortement recommandé». Le CSN dit maintenant qu’il sera obligatoire pour les enfants de plus de 12 ans et pour le personnel. Pas sûr du tout qu’il y en aura en nombre suffisant. On peut le déduire du passage: «masques buccaux (achat ou autoproduction via l’école ou les étudiants)». Le CSN indique que des masques buccaux seront proposés. Mais si nous constatons déjà qu’on manque encore de matériel de protection dans les centres résidentiels pour personnes âgées et que cette fois un groupe beaucoup plus important est concerné, cela n’augure rien de bon pour l’enseignement.
L’avis indique également que le redémarrage s’accompagnera d’une «distanciation sociale». Mais quiconque a quelque expérience dans la pratique du terrain, sait que c’est un vœu pieux pour les élèves du primaire et pour de nombreux élèves du secondaire. Même avec des moitiés de classes.
Bref, tant en termes de tests, de masques ou de distanciation sociale, les «conditions de base absolues» de sécurité ne sont nullement réalisées.
Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait peu d’enthousiasme parmi les enseignants. Il y a une bonne semaine, enseignons.be a réalisé un sondage à large échelle à propos du redémarrage. Résultat : 28 000 sur 32 000, soit 87% des enseignants s’opposent à la réouverture des écoles pendant cette année scolaire. Cela pourrait encore produire des étincelles. Les syndicats d’enseignants souhaitent déposer un préavis de grève.
Alors quoi ?
Les experts prédisent que le virus sera encore longtemps parmi nous et que nous pouvons nous attendre à plusieurs périodes de confinement. Il faut donc voir à plus long terme, plutôt que d’essayer de tout forcer pour les semaines restantes avant l’été.
Tout d’abord, ce long terme signifie que nous devons élaborer des plans d’urgence bien conçus pour les confinements futurs. En outre, il nous faudra une excellente préparation de la rentrée prochaine, afin que les enseignants et les élèves puissent se rencontrer en toute sécurité. Cela signifie que nous n’improviserons pas sur les questions de tests, de masques et de distanciation sociale, mais qu’il nous faudra des garanties totales pour la sécurité du personnel et des élèves.
De plus, pendant ce dernier trimestre, il importe que les élèves de la sixième année primaire et les élèves des deuxième, quatrième et sixième années du secondaire soient correctement orientés vers un trajet ultérieur. Au cours des dernières semaines, on a manqué d’espace et de temps pour le faire.
Enfin, dans les semaines à venir, il est important que nous accordions une attention particulière – en ligne ou autrement – aux élèves qui ont des soucis par rapport à l’enseignement à domicile et qui restent sur la touche. De cette façon, nous pourrons garantir que l’écart entre les étudiants forts et faibles, déjà si important en Belgique, ne se creuse davantage. Des cours d’été sur une base volontaire – volontaire tant pour les étudiants que pour les enseignants – pourront certainement y contribuer.
Source: Investig’Action