La pandémie du Covid-19 souligne la faillite d’un système de soins de santé soumis aux cures d’austérité. Et avec lui, celle du néolibéralisme. Cette gestion calamiteuse annonce une grave crise économique. Mais une fois de plus, il y a peu à parier que ceux qui ont détruit les soins de santé et déréglementé les marchés financiers paient l’addition. Il est donc urgent de prendre des mesures pour empêcher de saigner les peuples. L’Assemblée internationale des Peuples et la Tricontinentale ont élaboré un plan de 16 actions. (IGA)
La pandémie mondiale de COVID-19 s’est étendue à presque tous les pays de la planète. Le virus fera de nombreuses victimes, perturbera les communautés et les institutions, et il laissera derrière lui un traumatisme et une économie mondiale dévastée. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) estime que d’ici à la fin de 2020, les revenus mondiaux s’effondreront de 1 000 à 2 000 milliards de dollars ; ce dernier chiffre est le pire des scénarios, la chute des prix du pétrole rendant le problème encore plus aigu pour les pays exportateurs de pétrole.
La chute de la finance
Les marchés boursiers, déjà gonflés, enregistrent aujourd’hui de lourdes chutes. Les banques centrales utilisent toutes leurs ressources monétaires pour soutenir les marchés financiers et tenter de renflouer le plus grand nombre possible de secteurs de l’économie. Même la banque centrale norvégienne, généralement stable et avantagée par son secteur énergétique massif, a réduit son taux d’intérêt et a promis d’intervenir pour éviter un effondrement complet de son économie.
Il n’y a pas de moyen facile d’évaluer l’issue de cette crise. Mais si nous nous référons aux crises précédentes — comme la crise financière de 2008-2009 — nous savons que les coûts de ces crises sont rarement supportés par les très riches ; ce sont ceux qui ont peu de pouvoir dans le système, la majorité, qui finissent par payer la facture d’une crise qu’ils n’ont pas provoquée. Ce sont les très riches, qui ont un pouvoir disproportionné sur la politique et les politiques, qui ont imposé aux États des régimes d’austérité. Ceux-ci ont taillé dans les systèmes de santé publique et ont laissé la déréglementation s’introduire dans les marchés financiers. Lorsqu’une crise de santé publique survient, ces États ne sont pas préparés, et c’est leur manque de préparation qui jette les marchés financiers — aujourd’hui déréglementés — dans le chaos. Ceux qui ont détruit le système de santé publique et qui ont déréglementé le système financier devraient payer le prix du désastre ; mais ce n’est pas ainsi que le pouvoir fonctionne.
Des États efficaces
L’une des principales réussites des très riches a été d’ôter toute légitimité à l’idée d’institution publique. En Occident, le comportement typique a été d’attaquer le gouvernement en tant qu’ennemi du progrès ; le but était de réduire les institutions gouvernementales — à l’exception de l’armée. Tout pays doté d’un gouvernement et d’une structure étatique solides a été qualifié d’« autoritaire ». Mais cette crise a bousculé cette vision des choses. Les pays dont les institutions publiques sont intactes et qui ont été capables de gérer la pandémie, comme la Chine, ne peuvent pas facilement être considérés comme autoritaires ; il est généralement admis que ces gouvernements et leurs institutions publiques sont plutôt efficaces.
Pendant ce temps, les États occidentaux rongés par des politiques d’austérité s’efforcent maintenant de faire face à la crise. La plupart d’entre eux ont privatisé des pans entiers des soins de santé et de l’éducation, fermant de précieuses institutions de santé publique et démantelant la capacité de déploiement de leurs hôpitaux en cas d’urgence. La formule de la médecine « juste à temps » pour le profit privé est devenue la formule magique. L’échec du système de soins de santé soumis à l’austérité forcée est désormais clairement visible. Il est impossible d’affirmer plus longtemps que ce système est plus performant qu’un système d’institutions publiques rendues efficaces par le procédé d’essais-erreurs.
Un plan socialiste
Dans le cadre du débat mondial en cours sur la compréhension de cette crise et sur la façon d’avancer, l’Assemblée internationale des peuples et le Tricontinental : Institute for Social Research ont élaboré un plan en 16 points : « À la lumière de la pandémie mondiale, concentrer l’attention sur les gens ». Ce plan est le fruit d’une discussion avec des mouvements politiques de tous les continents. Il s’agit d’un document vivant, qui encourage le dialogue et qui devrait être approfondi au fur et à mesure que nous apprenons comment nous développer. Voici ces seize points :
- Cessation immédiate de tout travail, sans perte de salaire, sauf celui du personnel médical et logistique essentiel et celui qui est nécessaire à la production et à la distribution de nourriture et de produits de première nécessité. L’État doit assumer le coût des salaires pour la durée de la quarantaine.
- La santé, l’approvisionnement en nourriture et la sécurité publique doivent être maintenus de manière organisée. Les stocks de céréales d’urgence doivent être immédiatement libérés pour être distribués aux pauvres.
- Fermeture de toutes les écoles.
- Socialisation immédiate des hôpitaux et des centres médicaux afin qu’ils ne se préoccupent pas de faire du profit au fur et à mesure que la crise se développe. Ces centres médicaux doivent être sous le contrôle de la campagne sanitaire du gouvernement.
- Nationalisation immédiate des entreprises pharmaceutiques et la coopération internationale immédiate entre elles pour trouver un vaccin et des systèmes de test plus faciles. Abolition de la propriété intellectuelle dans le domaine médical.
- Test immédiat de toutes les personnes. Mobilisation immédiate des tests et soutien au personnel médical qui est en première ligne de cette pandémie.
- Accélération immédiate de la production du matériel nécessaire pour faire face à la crise (kits de tests, masques, respirateurs).
- Fermeture immédiate des marchés financiers mondiaux.
- Rassemblement immédiat des fonds pour éviter la faillite des gouvernements.
- Annulation immédiate de toutes les dettes non liées à une entreprise.
- Suspension immédiate de tous les loyers et hypothèques, suppression des expulsions ; cela inclut la fourniture immédiate d’un logement adéquat en tant que droit humain fondamental. Un logement décent doit être un droit garanti par l’État pour tous les citoyens.
- Reprise immédiate de tous les paiements des services publics par l’État — l’eau, l’électricité et Internet font partie des droits de l’homme. Là où ces services ne sont pas universellement accessibles, nous demandons qu’ils soient fournis avec effet immédiat.
- Fin immédiate des régimes de sanctions pénales unilatérales et des blocus économiques qui touchent des pays comme Cuba, l’Iran et le Venezuela et les empêchent d’importer les fournitures médicales nécessaires.
- Soutenir urgemment la paysannerie pour augmenter la production de nourriture saine et la fournir au gouvernement afin qu’il en assure la distribution directe.
- Suspendre le dollar comme monnaie internationale et demander aux Nations unies de convoquer d’urgence une nouvelle conférence internationale pour proposer une monnaie internationale commune.
- Assurer un revenu minimum universel dans chaque pays. Cela permet de garantir le soutien de l’État à des millions de familles sans emploi, travaillant dans des conditions extrêmement précaires ou exerçant une activité indépendante. Le système capitaliste actuel exclut des millions de personnes des emplois formels. L’État doit fournir un emploi et une vie digne à la population. Le coût du revenu de base universel peut être couvert par les budgets de la défense, en particulier les dépenses d’armes et de munitions.
La crise a vraiment ébranlé le système. On ne peut pas en douter. Une conséquence de l’échec des politiques d’austérité est que des idées qui étaient inconcevables il y a quelques mois à peine — notamment la nationalisation des hôpitaux et l’octroi d’une aide substantielle au revenu des chômeurs — sont à l’ordre du jour. Nous espérons que cette discussion se transformera en un mouvement populaire mondial pour une reconstruction totale du système. Il est plus facile d’imaginer le socialisme au milieu de la pandémie de coronavirus que de continuer à vivre sous le régime sans cœur du capitalisme.
Vijay Prashad est un historien, rédacteur et journaliste indien. Il est rédacteur et correspondant en chef de Globetrotter, un projet de l’Independent Media Institute. Il est le rédacteur en chef de LeftWord Books et le directeur de Tricontinental: Institute for Social Research. Il a écrit plus de vingt ouvrages, dont The Darker Nations: A People’s History of the Third World (The New Press, 2007), The Poorer Nations: A Possible History of the Global South (Verso, 2013), The Death of the Nation and the Future of the Arab Revolution (University of California Press, 2016) and Red Star Over the Third World (LeftWord, 2017)
Manuel Bertoldi est un dirigeant du Front Patria Grande (Argentine) et d’Alba Movimientos. Il est un des coordinateurs de l’Assemblée internationale des peuples.
This article was produced by Globetrotter, a project of the Independent Media Institute.
Source originale: People Dispatch
Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour Investig’Action
Source: Investig’Action
Photo: Des pompiers désinfectent une rue à Téhéran, en Iran, le 13 mars dernier. L’administration Trump a renforcé la pression sur le pays avec des sanctions économiques malgré l’épidémie de coronavirus, qui a affaibli sa capacité à y répondre efficacement. Photo: Associated Press/Vahid Salemi