Figure de proue du cinéma palestinien, Najwa Najjar a signé et dirigé de nombreux films qui reflètent les épreuves et les tribulations de la vie sous une occupation et qui ouvrent un espace aux Palestiniens désireux de raconter leur propre histoire.
Parmi de nombreuses distinctions, son film de 2014, Eyes of a Thief (Les yeux d’un voleur) a été le nominé palestinien pour l’Oscar du Meilleur Film Étranger et son film de 2019, Between Heaven and Earth (Entre ciel et terre) a remporté le prix Naguib Mahfouz du Meilleur Scénario lors de la 41e édition du Festival international du film du Caire.
Najwa était en ville à cette occasion et nous avons nous asseoir en sa compagnie pour l’interroger sur l’importance de réalisateurs palestiniens qui soient en mesure de se représenter dans le cinéma, dans les combats que sont le fait de filmer sous occupation en Palestine, et sur ce qu’elle cherche avant tout à voir dans le Festival du Caire.
Via le cinéma, certains pays sont en mesure d’écrire leurs propres narrations et de se représenter eux-mêmes. Sont-ce habituellement les Palestiniens en personne qui vont se représenter eux-mêmes dans le vaste monde ?
Depuis de très nombreuses années, notre narration est en fait racontée par tout le monde, sauf par nous-mêmes. Nous avons été transformés en stéréotypes. Cela s’est fait d’une façon qui, en quelque sorte, a relégué notre pays, nous, tels que nous sommes, ce qui nous est arrivé, et cela a tout transformé en un conflit religieux, et non comme un conflit national.
Nous avons été dépouillés de notre humanité et si vous observez tout ce qui vient de Hollywood, la façon dont ils nous perçoivent, la façon dont la Palestine est dépeinte, c’est une façon si inhumaine.
Ainsi donc, oui, au fil des années et au prix d’énormes difficultés, les Palestiniens réclament leurs narrations. Après 1948, il y a eu des gens qui prenaient des photos, des photographies, qui faisaient du cinéma, des documentaires, puis cela partait dans des films de fiction et des prises de vue sur le terrain. C’est une façon d’avoir notre mot à dire, de rompre les stéréotypes et de réclamer notre narration, et de monter notre pays tel que nous le voyons.
Plus généralement, les Arabes sont-ils confrontés de la même façon à des représentations erronées au cinéma ? Et, si c’est le cas, d’où croyez-vous que cela provient ?
Je pense qu’en général, il y a eu un processus de déshumanisation des Arabes. Il y a la relégation de chaque problème dans le terrorisme islamique. Cela, en soi, oublie les gens qui vivent ici depuis toujours, comme les chrétiens qui ont vécu ici dans la région, et les autres. Soit, vous êtes un terroriste, ou une victime, ou un homme qui bat sa femme, et c’est comme qui dirait allez, ça suffit. Voyez la plupart des films hollywoodiens, il n’y a pas de conversation, il n’y a rien qui soit de loin attrayant, même pas la façon dont ils regardent, la façon dont ils s’habillent, rien, réellement.
L’un ou l’autre de ces problèmes vous a-t-il initialement poussée à devenir réalisatrice ?
C’est la première chose qui m’y a poussée. J’ai grandi dans une famille pleine de musique et mon père m’a enseigné la façon d’utiliser une caméra. Il a été journaliste, à un moment de sa vie, et ma mère était une grande passionnée de musique. J’ai également lu une cargaison de livres, à la maison, et c’est ainsi que toutes ces choses mises ensemble m’ont d’une certaine façon conduite au cinéma. Puis, comme j’ai étudié la politique et l’économie, j’ai pensé que je pouvais soit me plaindre, soit faire quelque chose à ce propos et, pour moi, l’arme a été le cinéma.
Vos films ont parlé d’amour, de divorce, d’expression, de la famille et de bien d’autres sujets mais, derrière tous, il y a l’omniprésente occupation de la Palestine bien accrochée à l’arrière-plan comme un rappel constant. Pourquoi cela ?
En 1948, ma mère, mon père et 750 000 Palestiniens ont été forcés de quitter leurs maisons et de vivre en tant que réfugiés. En 1967, d’autres personnes ont été chassées de leurs maisons, quelque 300 000, voire plus.
C’est un nettoyage ethnique, systématique, qui se déroule en Palestine depuis 1948. C’est permanent, c’est quotidien, c’est tout ce que nous voyons depuis un mur de 750 kilomètres qui a pris notre eau, bien qu’il s’agisse de bien plus que de l’eau, car il s’agit aussi d’une fille de quinze ans qui allait chercher du pain pour ses enfants il y a deux jours et qui a été abattue. C’est le fils de mon ami, un garçon de seize ans qui fréquente une école de quakers et dont la mère dirige Yabous, un centre culturel à Jérusalem, et son mari dirige le conservatoire national de musique. Le garçon de seize ans est emprisonné depuis six semaines. Hormis le fait qu’il n’y a rien contre lui, cela fait un mois et demi de l’éducation d’un enfant, c’est quelque chose qui perturbe leurs existences, et les parents ont été arrêtés tous deux pour de prétendues raisons fiscales il y a deux ans. Tout le concept de ce qui arrive à cette famille, et ce qui leur arrive est représentatif de nombreuses familles, c’est qu’il ne vous est pas permis d’avoir de la culture et qu’il ne vous est pas permis d’avoir une vie en Palestine.
Moi non plus je n’ai pas été autorisée de me rendre dans le pays pendant un bout de temps. Ce n’est pas compliqué, c’est en fait assez noir et blanc parce que, tout simplement, nous vivons sous occupation. L’occupation doit finir parce qu’elle est injuste et qu’en tant que cinéastes, nous essayons de survivre, nous essayons de montrer notre histoire et nous essayons de reprendre notre narration afin de pouvoir faire en sorte qu’une solution pacifique juste et plus complète puisse voir le jour.
Estimez-vous que les Palestiniens comprennent vos films différemment que les gens qui ne sont pas palestiniens ?
Oui, je crois et, parfois, ce n’est pas toujours positif. Parfois, c’est très négatif. Pour Pomegranates and Myrrh (Grenades et myrrhe), il y a eu tout un scandale parce que je parlais de la femme d’un prisonnier et que, dans mes films, je parle de problèmes auxquels notre société est confrontée.
Le principal déclencheur du scandale, ç’a été quand nous avons eu une projection avec un millier de personnes lors de la soirée d’ouverture à Ramallah. Une cinquantaine de personnes n’ont pas du tout aimé le film et l’une d’elles en particulier, un journaliste, s’est levé et il était indigné tout en disant « comment pouvez faire cela à une femme de prisonnier ? »
Il a écrit plus tard un article dans un journal disant à quel point j’avais fondamentalement prostitué une épouse de prisonnier dans mon film. Mais, alors, ce qui se passa, ce fut que les autorités israéliennes dans les prisons mirent la main sur l’article, le découpèrent, le photocopièrent et le transmirent à tous les prisonniers.
C’était fou. Je veux dire que le gouvernement de Gaza s’est réunit et qu’il demanda mon bannissement du pays. Les gens étaient tellement bouleversés mais la chose merveilleuse, c’est que la Palestine est une société très littéraire et culturelle.
Et, ainsi, il y eut le soutien massif, vraiment massif, avec des gens qui accouraient pour me défendre. Il y avait des gens de la Palestine historique, de Nazareth, Haïfa, Jérusalem, Naplouse, Ramallah, des gens qui avaient été des prisonniers, et ce fut une admirable conversation, elle lança un dialogue.
Je ne le fais pas exprès, je ne suis pas une réalisatrice à sensation et je ne suis pas ce genre de personne, mais je traite également des problèmes. Je pense que je le fais gentiment, mais c’est compris d’une façon parfois critique. Et je le comprends, c’est la narration de la Palestine et je prends des histoires de Palestiniens qui sont très importantes pour nous tous. C’est pourquoi les Palestiniens, et particulièrement ceux qui vivent ici, sont très protectifs à propos de la narration.
Je le comprends, j’en fais partie, mais je pense qu’il est très important aussi de créer un dialogue. Je ne veux pas quelqu’un qui dise tout simplement bravo et qui applaudisse. Parlons, voyons ce que nous pouvons faire et voyons comment nous pouvons faire avancer les choses.
On a toujours affirmé que le film palestinien était son propre genre bien distinct. Voyez-vous des préoccupations, des styles ou des approches qui sont partagés et qui unissent le cinéma palestinien récent ?
Je pense qu’ils défendent tous une cause ; nous tous avons quelque chose à dire. Je pense que tout le monde trouve un langage avec lequel parler, parce que n’oubliez pas qu’en tant que Palestiniens, l’on ne nous permet pas de dire un tas de choses. Ainsi donc, c’est une quête de langage, c’est une quête d’authenticité, mais c’est également un cinéma qui se rassemble avec une voix puissante et sonore.
Est-ce difficile, de faire des films en Palestine ?
Extrêmement difficile. C’est horrible. Pour Between Heaven and Earth (Entre ciel et terre), nous avons dû filmer en 24 jours et nous filmions en Palestine historique et en Cisjordanie. Filmer à Jéricho et à Ramallah en Cisjordanie était chouette mais, quand nous avons dû aller filmer à Haïfa et à Nazareth, ç’a été l’enfer parce que vous devez présenter votre script. Mais si vous le faites, ils vont vous le refuser et il vous faut donc en gros filmer sans autorisation. Cela signifie que vous ne pouvez installer votre caméra, bloquer les routes, il y a un tas de choses que vous ne pouvez donc faire. La seule fois que nous avons demandé une autorisation, c’était à Rosh HaNikra tout juste sur la frontière libanaise, nous avions voyagé pendant trois heures et, juste à la minute avant de filmer, ils nous ont dit que nous ne pouvions pas filmer. Vous devez toujours avoir un plan B, C, D et E.
Qu’est-ce qui vous amène au Festival international du film du Caire, cette année ?
Avant tout, j’aime le Festival du film du Caire, pour voir des films et des amis, et tout ça. Mais je suis aussi venue au Caire en grande partie parce que mon prochain film se passe à Alexandrie. Ainsi, je me suis dit que j’allais venir voir des amis, des films et poursuivre la préparation de mon film.
Y a-t-il quelque chose que vous pouvez déjà nous dire sur votre prochain film ?
C’est une ode au passé, c’est un film musical et nous verrons. En espérant qu’au même moment, l’an prochain, il sera sorti et qu’alors, nous pourrons avoir une autre conversation.
Y a-t-il un film en particulier que vous envisagez de voir ?
J’aime voir tous les films arabes et égyptiens. Un de mes amis, Ahmed Abdullah, a un film qui va passer, un film intitulé 19b, et je vais faire en sorte de le voir. Presque tous les films arabes, je vais essayer de les voir, mais les films internationaux… Je peux tout aussi bien les voir ailleurs.
On peut souvent voir Thomas Pinn se balader au Caire à la recherche de l’étrange et du merveilleux. Il s’intéresse aux histoires locales et il prépare un master en relations internationales avec une attention particulière pour le développement urbain et la conservation du patrimoine du Caire.
Source originale: ScoopEmpire
Traduit de l’anglais par Jean-Marie Flémal pour Charleroi pour la Palestine