L’accord sur les céréales est tombé à l’eau. Et maintenant ?

Ceux qui veulent poursuivre la guerre envers et contre tout en Ukraine avancent l’argument qu’on ne peut pas négocier avec les Russes. Avec Minsk 1 et 2, Moscou s’y était prise pourtant à deux fois pour tenter de mettre fin à la guerre du Donbass. Et on sait qui n’a pas respecté les accords, et pourquoi. De même, l’accord permettant à l’Ukraine d’exporter des céréales à travers la mer Noire était accompagné de contreparties en faveur des Russes. Ces contreparties n’ont jamais été rencontrées, ce qui n’a pas empêché de renouveler l’accord plusieurs fois, jusqu’à lundi. Avec qui est-il impossible de négocier ? (I’A)


 

Lundi à minuit, les termes de l'”accord sur les céréales” ont expiré. Et avec eux, le transport sécurisé de produits agricoles à partir de trois ports ukrainiens. Par ordre de quantité, les produits en question étaient constitués de maïs, blé, farine de tournesol, huile de tournesol et “autres”, c’est-à-dire colza, soja, etc. Quant aux ports concernés, il s’agissait des ports d’Odessa, de Černomorsk et de Yuzhny. Le port de Pivdennyi était exclu de l’accord.

Pour le moment – et j’insiste sur le moment – il ne semble pas y avoir de piste pour une extension de l’accord, quoiqu’en disent les déclarations triomphantes du président turc Erdoğan, immédiatement démenties par Dimitri Peskov, porte-parole de la présidence russe. Mais la politique étant faite de compromis, qui sait ce que l’avenir réserve ?

Les raisons pour lesquelles la Russie n’a pas l’intention de renouveler l’accord sont nombreuses.

Les principales sont : le pipeline transportant du nitrate d’ammonium de Togliatti à Pivdenny, dont le transit est interrompu depuis le début du conflit ; les navires russes chargés d’engrais bloqués dans différents ports ; l’exclusion de Rosselkhozbank, la banque agricole russe, du réseau SWIFT, lui empêchant d’exporter des produits agricoles vers l’Occident, la Corée et le Japon car elle ne peut pas recevoir de paiements ; le problème des assurances internationales pour les navires marchands russes.

L’accord sur les céréales signé l’an dernier devait apporter en contrepartie des solutions à ces problèmes. Mais rien n’a été fait. Le 5 juin dernier, l’oléoduc Togliatti-Pivdenny a même été bombardé.

D’après Reuters, le secrétaire général de l’ONU, Anotnio Gutierres, aurait proposé il y a quelques jours de relier une filiale de la Rosselkhozbank au réseau SWIFT uniquement pour le commerce de produits agricoles et de nitrate d’ammonium. Mais il n’y a pas eu de déclaration officielle de part et d’autre.

Dans ces conditions, le gouvernement russe a décidé de sortir d’un accord qui, en pratique, ne profite qu’à l’Ukraine.

En réalité, dit-on, l’accord est bénéfique pour le monde entier, en particulier pour les pays en développement qui peuvent obtenir beaucoup de céréales à bas prix. Mais, ce n’est pas exactement le cas, au-delà du fait que les prix sont fixés par les marchés.

L’initiative sur les céréales de la mer Noire dispose d’un site web magnifique et actualisé. Mais si l’on analyse les mouvements des navires et les ports de destination, on constate immédiatement que la plupart des produits agricoles ne sont pas destinés aux pays en développement, mais à des pays qui ne sont pas menacés par l’insécurité alimentaire.

En effet, sur 32 856 252 tonnes de marchandises, 8 millions ont débarqué en Chine, 6 en Espagne, 3,2 en Turquie, 2,1 en Italie et 2 aux Pays-Bas. 38 % sont ainsi allés vers les pays de l’UE, près d’un quart vers la Chine et seulement 2,3 % vers les pays les plus pauvres du monde.

Par exemple, bien que le navire que l’on trouve en haut de la page web susmentionnée transportait des céréales à destination de l’Afghanistan, ce pays n’a reçu que 130.900 tonnes de produits agricoles. L’Éthiopie en  a reçu quant à elle 282.800, et le Soudan seulement 95 300. Quant aux deux navires qui sont partis hier d’Odessa, probablement les derniers à moins de dénouements soudains et imprévus, ils sont à destination de la Hollande.

Le document indiquant les destinations PMA/non PMA – les PMA étant les pays les moins avancés –  est encore plus éclairant : les PMA, c’est-à-dire les pays pour lesquels l’accord sur les céréales a été théoriquement créé, n’ont reçu que 5,8 % des exportations agricoles totales (le document se trouve ici). Petite mise en garde pour l’observation des autres graphiques : la Chine est qualifiée de “pays en développement”, si bien que les pays en développement ont reçu 57,4 % des exportations.

Ce n’est pas un mystère, bien sûr, et je l’ai déjà mentionné plus d’une fois (pour ce que cela vaut). Mais justement, l’accord ne sert qu’à l’Ukraine et les promesses faites à la Russie n’ont pas été tenues.

De plus, comme on a pu le constater ces dernières semaines, les relations avec la Turquie s’enveniment un peu. Or, la Turquie était et reste l’un des principaux sponsors de l’accord. Certains observateurs avaient même suggéré que le dernier renouvellement de l’accord était une faveur de Poutine à Erdogan pour ne pas embarrasser le président turc avant les élections.

Difficile d’être optimiste sur une reconduite de l’accord. Son renouvellement aurait pourtant été une bonne chose, ne fût-ce que pour empêcher une hausse des prix du blé et du maïs.

Les Ukrainiens n’étaient sans doute pas très optimistes non plus. En témoignent, les attaques de drones contre la Crimée et le port de Sébastopol avant la fin officielle de l’accord sur les céréales. La Russie a annoncé avoir déjoué les deux attaques.

 

Source originale: Contropiano

Traduit de l’italien par GL pour Investig’Action

Photo: Wikimedia CC 4.0

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