Cuba, le Nicaragua et le Venezuela sont aujourd’hui menacés par l’impérialisme nord-américain. La première salve de l’ère moderne de l’impérialisme a commencé en 1898 lorsque les États-Unis se sont emparés de Cuba ainsi que de Porto Rico et des Philippines pendant la guerre hispano-américaine.
L’ère de l’impérialisme, comme l’a observé Lénine, se caractérise par la concurrence des diverses puissances impériales pour la domination. Cette rivalité inter-impérialiste a conduit à la Première Guerre mondiale. Lénine qualifiait de « social-impérialistes » les supposés socialistes qui soutenaient leurs propres projets impérialistes nationaux. Le social-impérialisme est une tendance qui est socialiste de nom et impérialiste de fait. L’impérialisme et ses serviteurs sociaux impérialistes sont encore parmi nous aujourd’hui.
Les États-Unis émergent comme puissance hégémonique mondiale
Les États-Unis sont apparus comme la puissance impérialiste dirigeante après la Seconde Guerre mondiale. Avec l’implosion du bloc socialiste en 1991, l’hégémonie américaine s’est encore renforcée. Aujourd’hui, les États-Unis sont la puissance hégémonique mondiale incontestée.
L’hégémonie signifie gouverner mais encore plus dominer. En tant que puissance hégémonique mondiale, les États-Unis ne toléreront pas les neutres et encore moins les éléments hostiles. Comme le dit la doctrine Bush, les États-Unis essayeront d’asphyxier tout projet anti-hégémonique naissant, aussi insignifiant soit-il.
Dans les Caraïbes, par exemple, les États-Unis ont étouffé le gouvernement de gauche de la Grenade en 1983, dans l’opération portant le nom de code de Urgent Fury [Fureur urgente]. La population de Grenade est plus faible que celle de Vacaville, en Californie.
Les seules puissances que l’hégémonie mondiale tolérera sont les partenaires juniors comme la Colombie en Amérique latine. Le partenaire junior doit accepter un régime économique néolibéral destiné à servir les intérêts du capital. L’ajustement structurel de l’économie est exigé afin que les « réformes » néolibérales deviennent irréversibles ; pour qu’on ne puisse pas repousser la pâte dentifrice dans le tube.
La Colombie a récemment adhéré à l’OTAN, mettant l’armée du partenaire junior en interaction directe avec le Pentagone, sans passer par son gouvernement civil. Les États-Unis ont sept bases militaires en Colombie afin de projeter – ce sont les mots du gouvernement américain – une suprématie « tous azimuts » sur la scène latino-américaine.
Cela va sans dire, il n’y a pas de base militaire colombienne aux États-Unis. Aucun autre pays n’a de base militaire sur le sol américain. La puissance hégémonique mondiale a quelque 1000 bases militaires à l’étranger. Même le plus sycophante des partenaires juniors des États-Unis, la Grande-Bretagne, est militairement occupée par 10 000 soldats américains.
Les États-Unis ont fait une liste très claire de leurs ennemis. Le 1er novembre, le conseiller américain à la Sécurité nationale John Bolton, prenant la parole à Miami, a qualifié le Venezuela, le Nicaragua et Cuba de « troïka de la tyrannie ». Il a décrit un « triangle de terreur qui s’étend de la Havane à Caracas et Managua ».
Le Venezuela, le Nicaragua et Cuba sont la cible de l’impérialisme américain parce qu’ils représentent ce qu’on pourrait appeler la « menace d’un bon exemple », c’est-à-dire une alternative à l’ordre mondial néolibéral.
Ces pays subissent des attaques des impérialistes pour ce qu’ils ont fait de bien, pas pour leurs défauts. Ils tentent de bâtir une société plus inclusive pour les femmes, les gens de couleur et les pauvres ; d’avoir un État qui au lieu de servir les riches et les puissants fait passer en priorité les travailleurs, parce que ce sont les gens qui ont le plus besoin d’être aidés socialement.
Les sanctions : la guerre économique contre le Venezuela, le Nicaragua et Cuba
La rhétorique impérialiste américaine est soutenue par les actes. En 2015, le président Obama a déclaré que le Venezuela était une « menace extraordinaire pour la sécurité des États-Unis » et il a imposé des sanctions. L’administration Trump a étendu et renforcé ces sanctions. De même, depuis plus d’un demi-siècle, les États-Unis soumettent Cuba à des sanctions dans le cadre de la politique bipartisane des Républicains et des Démocrates. Aujourd’hui, ils sont en train d’imposer des sanctions au Nicaragua.
Les sanctions unilatérales comme celles imposées par les États-Unis sont illégales en vertu des chartes de l’ONU et de l’Organisation des États d’Amérique, parce que c’est une forme de punition collective visant la population.
Les sanctions américaines sont conçues pour rendre la vie si misérable pour les masses populaires que celles-ci rejetteront leur gouvernement démocratiquement élu. Pourtant, au Venezuela, ceux qui sont le plus durement touchés par les sanctions sont ceux qui soutiennent de la manière la plus militante leur président Nicolás Maduro.
Par conséquent, l’administration Trump laisse aussi planer l’option d’une intervention militaire contre le Venezuela. Les dirigeants d’extrême droite récemment élus, Bolsonaro au Brésil et Duque en Colombie, qui représentent les deux puissants États aux frontières ouest et sud du Venezuela, sont de connivence avec la puissance hégémonique du nord.
Les organisations de défense des droits de l’homme agissant à l’intérieur, comme Human Rights Watch, renoncent à condamner ces sanctions illégales et immorales. Elles se lamentent sur les souffrances humaines causées par les sanctions, tout en soutenant leur imposition. Elles n’élèvent pas non plus la voix contre l’intervention militaire, peut-être le plus grave de tous les crimes contre l’humanité.
Des institutions libérales comme le groupe de pression Washington Office on Latin America (WOLA) essaie de se distinguer des impérialistes purs et durs en s’opposant à une invasion militaire du Venezuela tout en appelant à des sanctions encore plus efficaces et punitives. En effet, elles jouent le rôle du bon flic, offrant une ouverture libérale à l’ingérence dans les affaires intérieures de pays latino-américains.
Ces ONG financées par des milliardaires ont un arrangement pour une dotation en personnel sous forme de pantouflage avec le gouvernement américain. Il n’est donc pas surprenant qu’elles reflètent les initiatives de politique étrangère de Washington.
Mais pourquoi certaines organisations qui se proclament de gauche font-elles systématiquement écho aux impérialistes, s’inquiétant à tel point du Venezuela, de Cuba et du Nicaragua tout en ignorant des problèmes beaucoup plus importants comme par exemple au Mexique, en Colombie, au Honduras, qui sont des États-clients des États-Unis ?
Le pays le plus progressiste d’Amérique centrale est visé
Prenons le Nicaragua. Il y a un an, l’institut de sondage Latinobarómetro a révélé que le taux d’approbation des Nicaraguayens pour leur démocratie était le plus élevé d’Amérique centrale et le second en Amérique latine.
Daniel Ortega avait remporté l’élection présidentielle en 2006 avec une majorité de 38%, en 2011 avec 63% et avec 72.5% en 2016. L’Organisation des États d’Amérique a officiellement observé et certifié le vote. Les sondages indiquaient qu’Ortega était peut-être le chef d’État le plus populaire dans tout l’hémisphère occidental. Comme l’a fait remarquer Chuck Kaufmann, vieux militant de la solidarité avec le Nicaragua, « Les dictateurs ne gagnent pas des élections équitables avec des marges de plus en plus grandes ».
Le Nicaragua est membre de l’Alliance bolivarienne anti-impérialiste pour les peuples de notre Amérique avec Cuba, le Venezuela, la Bolivie et quelques pays caribéens. Prenant la parole à l’ONU, le ministre des Affaires étrangères nicaraguayen a eu la témérité de faire la liste des nombreuses transgressions du pays que Martin Luther King appelait « Le plus grand pourvoyeur de violence dans le monde » et d’exprimer l’opposition du Nicaragua.
Ce sont des raisons suffisantes pour qu’une alternative progressiste comme le Nicaragua encoure l’hostilité des États-Unis. L’énigme est de savoir pourquoi ceux qui se prétendent de gauche cibleraient un pays qui:
- Présente le deuxième taux de croissance le plus élevé et l’économie la plus stable en Amérique centrale ;
- Est le seul pays de la région produisant 90% de la nourriture qu’il consomme ;
- A réduit la pauvreté et l’extrême pauvreté de moitié ; c’est le pays où l’extrême pauvreté a le plus diminué ;
- A atteint l’objectif du millénaire pour le développement des Nations unies de réduire de moitié la malnutrition ;
- Assure aux Nicaraguayens la gratuité des soins de santé de base et de l’éducation ;
- A pratiquement éliminé l’analphabétisme, il était de 36% lorsque Ortega est entré en fonction ;
- A atteint une croissance économique moyenne de 5.2% ces 5 dernières années (FMI et Banque mondiale) ;
- Est le pays le plus sûr d’Amérique centrale (Programme de l’ONU pour le développement) avec l’un des taux de criminalité les plus bas d’Amérique latine ;
- A le niveau le plus élevé d’égalité entre les sexes (Rapport mondial de 2017 sur l’écart entre les sexes du Forum économique mondial) ;
- N’a pas contribué à l’exode des migrants aux États-Unis, contrairement à ses voisins, le Honduras, El Salvador et le Guatemala ;
- Contrairement à ses voisins, il a mis les cartels de la drogue sous contrôle et a été un pionnier de la police de proximité.
En avril dernier, tout ceci a été menacé. Les États-Unis avaient déversé des millions de dollars dans des programmes de « promotion de la démocratie », un euphémisme pour les opérations de changement de régime. Soudain et de façon inattendue, une cabale de la hiérarchie de l’Église catholique réactionnaire, des associations commerciales conservatrices, des vestiges des Contras financés par les États-Unis et d’étudiants d’universités privées ont fomenté une tentative de coup d’État.
D’anciens membres du Parti sandiniste d’Ortega, qui étaient tombés depuis longtemps dans l’oubli politique et avaient dérivé vers la droite, sont devenus des propagandistes efficaces de l’opposition. En incitant à la violence et en utilisant habilement la désinformation dans un barrage concerté à travers des médias sociaux, ils ont tenté d’atteindre par des moyens illégaux ce qu’ils ne pouvaient réaliser démocratiquement.
L’impérialisme au visage souriant
Nous qui vivons dans le « ventre de la bête » sommes bombardés en permanence par les médias grand public qui formulent les problèmes (par exemple les « bombardements humanitaires »). Certains groupes et individus de gauche captent ces signaux, les amplifient et les rediffusent. Bien qu’ils puissent sincèrement croire à ce qu’ils promeuvent, il y a aussi des récompenses comme des financements, une couverture médiatique, la possibilité de fréquenter des politiciens américains importants et de remporter des prix pour abhorrer les excès de l’impérialisme tout en acceptant ses prémisses.
Les organisations d’aujourd’hui, qui sont socialistes de nom et impérialistes de fait répercutent l’exigence impériale que les chefs d’État des mouvements progressistes en Amérique latine « s’en aillent » et légitiment l’argumentation selon laquelle ces dirigeants sont des « dictateurs ».
Ils essaient de se démarquer des impérialistes en proposant un mouvement mythique, qui créera une alternative socialiste triomphante et correspondant à la ligne de leur secte : le chavisme sans Maduro au Venezuela, le sandinisme sans Ortega au Venezuela et la Révolution cubaine sans le Parti communiste de Cuba.
La réalité politique en Amérique latine est qu’une offensive droitière attaque les gouvernements de gauche qui résistent. Le président George W. Bush avait raison : « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes. » Il n’y a pas de troisième voie utopique. Chacun de nous doit déterminer qui sont les véritables terroristes, alors que le rouleau compresseur de l’impérialisme américain développe un ordre mondial néolibéral.
Le chaos : le nouveau plan impérialiste
Pour l’heure, le coup d’État au Nicaragua a été évité. S’il avait réussi, le chaos aurait régné. Comme l’admettent même les plus ardents défenseurs de l’opposition, la seule force organisée dans l’opposition était l’extrême-droite soutenue par les États-Unis, qui aurait instauré le règne de la terreur contre la base sandiniste.
Les États-Unis préféreraient installer des États-clients de droite stables ou même des dictatures militaires. Mais s’ils ne peuvent atteindre ni les uns ni les autres, le chaos est l’alternative préférée. La Libye, où des seigneurs de guerre rivaux se disputent le pouvoir et où les esclaves sont ouvertement échangés dans la rue, est le modèle qui se profile en Amérique latine.
Le chaos est le nouveau plan impérialiste, en particulier pour les pays que Bolton appelle la « troïka de la tyrannie ». Les impérialistes comprennent que les mouvements sociaux progressistes au Venezuela, au Nicaragua et à Cuba sont trop populaires et ancrés pour être éradiqués par un simple changement de personnel au palais présidentiel. Ils envisagent des moyens beaucoup plus énergiques ; des moyens qui, en comparaison, rendraient pâles les conséquences sanglantes du coup d’État de Pinochet soutenu par les États-Unis, au Chili en 1973.
Au Venezuela, par exemple, l’opposition aurait pu remporter l’élection présidentielle de mai 2018 vu la situation économique catastrophique causée en grande partie par les sanctions américaines. L’opposition s’est divisée entre une aile modérée prête à s’engager dans la lutte électorale et une aile d’extrême droite qui préconisait une prise de pouvoir violente et l’emprisonnement des chavistes.
Lorsque le président vénézuélien Maduro a rejeté la demande américaine d’annuler les élections et de démissionner, il a été qualifié de dictateur par Washington. Et lorsque le modéré Henri Falcon a participé à la course présidentielle sur un programme de transition néolibérale total, Washington, au lieu de se réjouir, l’a menacé de sanctions pour s’être présenté. Les États-Unis ont agité une option militaire belliciste pour le Venezuela, durci les sanctions étouffantes et fait basculer l’équilibre au sein de l’opposition vers la droite radicale.
Les États-Unis ne sont pas prêts de permettre au Venezuela un atterrissage en douceur. Leur intention est de détruire la contagion des programmes sociaux progressistes et de la politique internationale qui ont été l’héritage de près de deux décennies de chavisme. Idem pour Cuba et le Venezuela. Nous devrions aussi ajouter la Colombie dans la ligne de mire de l’empire.
Nous avons vu ce que la Pax Americana a signifié pour le Moyen-Orient. Le même scénario impérial est mis en œuvre en Amérique latine. La solidarité avec les mouvements sociaux progressistes et leurs gouvernements en Amérique latine est nécessaire, surtout si leur défaite serait synonyme de chaos.
Roger Harris est membre du comité directeur de la Task Force on the Americas, une organisation anti-impérialiste de défense des droits de l’homme vieille de 33 ans, et il participe activement à la Campagne pour mettre fin aux sanctions canado-américaines contre le Venezuela.
Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour le Journal Notre Amérique
Source : Journal Notre Amérique, octobre-novembre