Ce titre est sciemment emprunté à Berthold Brecht puisque OUATTARA est un dirigeant politique imposé par des forces sociales qui l’ont choisi comme le plus à même de défendre leurs intérêts à la tête d’un pays et sans l’appui desquelles il n’aurait jamais accédé au pouvoir. Bien sûr, la Côte d’Ivoire des années 2000 est très différente de l’Allemagne des années 30 mais il reste que dans les deux cas l’accession au pouvoir du personnage central de la pièce tient plus à la puissance et à la permanence de ses soutiens qu’à ses mérites.
Après le coup d’Etat militaire en sa faveur organisé à Abidjan le 11 Avril 2011 par la République Française, OUATTARA vient d’être imposé à la tête de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Cette communauté de 15 Etats (en orange sur la carte) née en 1975, siège à Abuja, est pour l’heure la plus importante communauté économique africaine. Elle est issue de l’association régionale d’anciennes colonies françaises, britanniques et portugaises et constitue un point fort des politiques néocoloniales conduites par les impérialismes français et anglo-saxon (principalement étasunien), le premier s’appuyant sur la principale économie de sa zone d’influence?: la Côté d’Ivoire, et le second sur celle du Nigéria.
Le choix d’Alassane OUATTARA scelle l’alliance entre ces deux pays et entre les deux zones d’influence néocoloniale. Il succède à la tête de la CEDEAO au président nigérian Jonathan GOODLUCK.
Il a été fortement appuyé dans la zone française d’influence par son compère burkinabé, CAMPAORE lequel a été récompensé par la désignation de OUEDRAGO KADRE DESIRE ancien ministre des finances du Burkina au poste de président de la commission de la CEDEAO et les autres chefs d’Etat de la zone francophone ont suivi le mouvement. Dans la zone anglophone, le Nigeria exerce une domination sans partage?: Etat le plus peuplé d’Afrique il représente à lui seul plus de la moitié de la population de toute la CEDEAO, il est le premier producteur pétrolier d’Afrique un Etat où les compagnies pétrolières anglo-saxonnes y tiennent depuis l’origine le haut du pavé et il est aujourd’hui un important fournisseur des Etats-Unis. D’autre part, les sanctions contre l’Iran devraient conduire à un accroissement des achats français de pétrole nigérian.
L’alliance Côte d’Ivoire-Nigeria est donc la concrétisation sur le terrain de l’alliance néocoloniale franco-anglo-saxonne.
Dans la crise ivoirienne ayant débouché sur l’enlèvement de Laurent Gbagbo par l’armée française, le Nigeria a pesé de tout son poids pour entrainer la CEDEAO dans un soutien sans faille à OUATTARA, la politique de la France ayant de son côté été très soutenue en particulier par la Burkina et le Sénégal.
Pour les puissances néocoloniales la CEDEAO est un outil pour créer un bloc hostile à l’Union Africaine, une riposte à?l’entrée de l’Afrique du Sud dans le BRICS et une zone de contre-attaque aux influences chinoise, indienne et brésilienne grandissantes sur le Continent.
Laurent Gbagbo, favorable à l’Union Africaine, n’était pas l’homme de cette politique.
L’alliance NIGERIA – COTE D’IVOIRE a également des objectifs économiques en particulier dans le domaine pétrolier. A côté du n°1 africain, la Côte d’Ivoire n’est encore qu’un débutant prometteur mais le projet de faire participer des hommes d’affaires nigérians au développement pétrolier ivoirien commence à prendre corps? et ouvre la voie à une intensification des relations financières entre les deux équipes dirigeantes.
La réunion de la CEDEAO a été en effet l’occasion de découvrir un de ces projets. La société pétrolière nigériane TALAVERAS s’est vue octroyer un permis de recherche en Côte d’Ivoire. La décision a de quoi surprendre. TALAVERAS n’est qu’une société de négoce pétrolier et n’a encore jamais foré un seul puits. Elle est cependant très prospère car elle importe au Nigéria les carburants que le premier producteur de pétrole d’Afrique est incapable de fabriquer chez lui?: raffineries mal entretenues, coulage, sabotage, piratage, corruption, marché noir, l’économie pétrolière nigériane fuit par tous ses tuyaux. Résultat?: le Nigeria doit importer.
Cette situation fait bien l’affaire de TALAVERAS et des généraux nigérians qui le laissent opérer et ne font rien pour assurer l’autosuffisance du pays en carburant. Le consommateur nigérian lui n’en est pas très satisfait puisqu’il doit payer à la pompe un prix très largement supérieur à tout ce qui se pratique dans les autres pays producteurs du monde.
OUATTARA vient donc d’ouvrir à TALAVERAS l’accès à la production pétrolière et donc la possibilité de devenir un grand du pétrole, allant de la production à la distribution, sur le marché africain. Nul doute qu’une telle opportunité offerte à cette société suscitera sa reconnaissance envers la Présidence ivoirienne. Ainsi les amis de JONATHAN GOODLUCK (nota?: le Nigeria est le pays d’Afrique qui compte le plus grand nombre de milliardaires) sont en train de devenir les amis d’ALASSANE OUATTARA.
Avec à sa tête un Président formé au FMI, dans le même temps où Christine Lagarde manifeste un intérêt soutenu pour le Nigeria où elle s’est rendue fin 2011, la CEDEAO ne peut qu’être de plus en plus appréciée à Washington.