Tandis que les médias internationaux prétendent mettre en avant les accords résultant de la réunion du G 2O, affirmant qu’ils permettront au système financier international bien endommagé de survivre, les pays du Sud apparaissent comme voulant établir une nouvelle architecture mondiale fondée sur le déploiement d’efforts financiers d’un impact élevé, comme la création de nouvelles banques et la signature d’accords régionaux novateurs.
Le 7 avril 2009
Le communiqué du G20, actuellement appelé « Consensus de Londres », annonçant l’octroi au FMI d’un milliard de dollars, n’est pas convaincant aux yeux de la société internationale, bien que le communiqué mette en relief d’autres mesures, comme la publication d’une liste de paradis fiscaux et la fin du secret bancaire . En fait, on a fait fi des attentes de plus de 180 pays qui n’étaient pas présents, comme l’on a fait fi des recommandations d’organismes indépendants qui s’étaient donné pour tâche d’analyser le développement de l’économie mondiale et de ses principales variables.
Nonobstant la consolidation du FMI, la situation mondiale reste incertaine ; au fond, nous nous trouvons bien loin de la concertation portant sur un accord commercial durable.
Les problèmes laissés en suspens par le Consensus de Londres
La déclaration finale de Londres ne met pas un terme aux inquiétudes de plusieurs pays concernant la création d’une devise plus consistante que le dollar américain qui ,sans provoquer de trouble, faciliterait les échanges de biens et de services au niveau mondial. Rappelons que peu de jours avant la réunion, le président de la Banque Populaire de Chine proposa l’introduction d’une devise stable qui ne soit pas liée à un pays concret, proposition qui serait profitable au système financier mondial. C’était là une position semblable à celle de la Russie et du Brésil.
De son côté, le Global Europe Anticipation Bulletin, édité par la think-tank LEAP/Europe 2020, publia dans l’édition internationale du Financial Time du 24/03/09, une lettre ouverte adressée aux participants du sommet du G20 sous le titre : « dernière opportunité avant une dislocation politique globale ». On y trouve les recommandations suivantes :
1. La solution de la crise s’appuie sur la création d’ une nouvelle monnaie de réserve internationale. Il est recommandé de « réformer le système monétaire et de créer une nouvelle monnaie de réserve internationale ». Et l’on prévient : « tant que le problème stratégique ne sera pas abordé et résolu, la crise ira en s’aggravant ». De même, il est suggéré que cette monnaie puisse être créée sur la base d’un panier de devises provenant des principales économies mondiales et qui pourrait être fonctionnelle dès le premier janvier 2010.
2. Il faudrait installer le plus vite possible les systèmes de contrôle bancaire. Cette lettre fait référence à la nécessité de créer un système de contrôle à l’échelle mondiale et demande la nationalisation rapide des institutions financières, nationalisation considérée comme l’unique moyen d’éviter que celles-ci n’entament un nouvel épisode d’endettement énorme.
3. Il faudrait veiller à ce que le FMI évalue les systèmes financiers nord américains, britanniques et suisses. Il est essentiel que pour le mois de juillet de cette année, le FMI présente au G20 une évaluation indépendante afin de connaître « les dommages causés par la crise aux trois piliers du système financier mondial »
La lettre ouverte se termine en remarquant que la « tâche du G20 consiste à rendre confiance à 6 millions de personnes ainsi qu’à de nombreuses organisations publiques et privées ». Elle prévient également que si ces mesures ne sont pas prises « la dislocation géopolitique mondiale deviendra inévitable à la fin de cette année »
Jusqu’à présent, l’ensemble des membres du G20 paraissent accepter sans réticences les points qui avaient été convenus lors du Consensus de Londres. Il reste à savoir de quelle habileté feront preuve les gouvernements nationaux pour dépasser les protestation des citoyens et répondre aux situations locales inédites caractérisées par la fermeture massive d’entreprises, le chômage ainsi qu’une migration intensive .C’est le cas du Mexique, pays qui, de plus, retombe dans le cercle vicieux bien connu de l’endettement. Le Mexique a obtenu en effet un prêt de 47 milliards de dollars, doublant ainsi sa dette externe.
La situation est encore plus incertaine pour les nations qui n’ont pas été invitées au sommet de Londres, à l’exception de quelques pays du Sud qui ont audacieusement réagi par des mesures spécifiques. Ces mesures leur permettront d’atténuer les effets de la crise internationale et de poursuivre leurs projets de développement régional
La réponse du Sud
Les réactions des pays du Sud, face aux crises économiques répétées, ne datent pas d’aujourd’hui. Il suffit de se reporter aux discours prononcés par divers chefs d’Etat et de gouvernement au cours de ce que l’on a appelé le sommet du Millénaire des Nations Unies, en septembre 2000. De ce sommet est née la Campagne du Millénaire, avec des objectifs précis devant être atteints au plus tard en 2015. Parmi les objectifs prévus, aujourd’hui inatteignables, l’accent a été mis sur l’éradication de la pauvreté. Le FMI et la Banque Mondiale, organismes associés officiellement au programme dénommé « Objectifs du Développement du Millenium », portent une grande responsabilité dans l’échec de ces objectifs. Assumeront-ils ces responsabilités ?
Lors de ce sommet, le premier ministre irlandais, Bertie Ahern, fut celui qui présenta le condensé le plus dramatique de la situation régnant dans les pays sous-développés : « la moitié de la population mondiale lutte pour survivre avec un revenu inférieur à deux dollars par jour et quelques 250 millions de personnes tentent de le faire avec moins d’un dollar par jour. De plus, 250 millions d’enfants, âgés de 14 ans ou moins, travaillent parfois dans de terribles conditions ». Il ajouta : « dix personnes mourront de malaria durant les cinq minutes au cours desquelles je vais parler devant vous ».
Le président Chavez, l’un des septante orateurs qui se présentèrent devant le micro de l’Assemblée Générale, fit la remarque suivante : « les graves crises du XXème siècle trouvent leur origine dans les différences abyssales existant entre dirigeants et dirigés, pauvres et riches, exploiteurs et exploités, entre le comportement caractérisé par la rhétorique formaliste des organismes internationaux d’une part et les conflits et la souffrance des peuples d’autre part.. »
Il ajouta : « ce qu’il faut dès lors élucider, c’est de savoir si le monde du nouveau millénaire continuera à fonctionner de cette façon perverse ou s’il y a des possibilités de changement ». De même, sur la base de la proposition de Kofi Annan de réduire de moitié le nombre de personnes –22%- qui, dans le monde entier, ont des revenus inférieurs à un dollar par jour, le président du Venezuela fit remarquer que pour atteindre l’objectif fixé, il faudrait augmenter le revenu de 140.000 personnes, chaque jour de chaque mois de chaque année, en commençant à cet instant même, en ce 7 septembre 2000, jusqu’au 31 décembre 2015. Face à cette situation et se référant au droit international, il propose « un changement structurel dans l’Organisation des Nations Unies…. ». Il propose également d’ « assumer pleinement la réalité en abandonnant tout double discours et en revendiquant les normes de droit international rendant possible la totale égalité de tous les peuples sur la terre ».
En mars 2002, sous les auspices de l’ONU et du FMI, s’est tenue, dans la ville de Monterrey, au Mexique, la Conférence Internationale sur le Financement du Développement. Le président Chavez se présenta au forum au titre de président du Groupe des 77, plus la Chine. Il proposa la création d’un Fonds Humanitaire International (FHI) « alimenté par un pourcentage prélevé sur la dette externe mondiale, par un pourcentage prélevé sur les dépenses militaires effectuées dans les pays en développement, ainsi que par un pourcentage prélevé sur le narco-trafic ou alors provenant d’un impôt mondial sur les transactions spéculatives et les paradis fiscaux ». Devant ces propositions, la Conférence de Monterrey garda le silence.
Nonobstant la position inflexible affichée par les organismes financiers multilatéraux, la construction d’une nouvelle architecture financière internationale se poursuit. Signalons parmi les avancées les plus importantes les éléments suivants.
Le SUCRE. Les pays faisant partie de l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (ALBA), c’est-à-dire la Bolivie, le Honduras, Cuba, le Nicaragua et le Venezuela, ont travaillé intensément cette année pour l’instauration d’une monnaie appelée SUCRE (Système Unique de Compensation Régionale) . Il s’agira d’une formule se substituant au dollar pour les échanges commerciaux. La Dominica participe au projet comme observateur en se fondant sur son expérience du dollar des Caraïbes, monnaie commune à plusieurs pays des Caraïbes Orientales. Le Sucre commencera à fonctionner de façon virtuelle, en tant que valeur symbolique servant aux échanges entre les membres du groupe. Il sera ensuite converti en papier monnaie destiné à l’usage quotidien. C’est la voie qu’ a suivie l’euro. Il débuta en tant qu’unité comptable appelée ECU ( European Currency Unif) et servit à l’échange entre les pays de la Communauté.
La Banque du Sud. Créée par l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, l’Equateur, l’Uruguay, le Paraguay et le Venezuela, fin 2007, elle reçut, au cours d’une réunion ministérielle, le 23 mars passé, l’approbation lui permettant de commencer ses activités en disposant d’un capital initial de dix milliards de dollars. En mai prochain, les ministres tiendront une nouvelle réunion à Buenos Aires, réunion après laquelle sera convoqué un sommet présidentiel à Caracas. Ce sommet fixera la date du début des opérations.
Le Sommet ASPA. Le 31 mars passé, deux jours à peine avant la réunion du G 20 à Londres, 12 pays sud-américains et 22 pays arabes se sont réunis pour la seconde fois à Doha, au Qatar, afin de lutter contre la spéculation financière. Au cours de la réunion, le président du Venezuela, Hugo Chavez, parla d’une banque de l’OPEP et souligna à nouveau la nécessité d’une nouvelle monnaie internationale qui pourrait prendre le nom de « monnaie pétrolière » . Le Global Europe Anticipation Bulletin a donné à cette monnaie le nom de El Khaleeji.Elle pourrait être mise en circulation en janvier 2010.
La Banque irano-vénézuélienne. Inaugurée le 3 avril dernier par les présidents du Venezuela et d’Iran, un jour après le G 20, cette banque est une réponse emblématique à l’impérialisme financier elle commence à tracer les plans d’une nouvelle architecture financière à court terme. La banque aura comme capital initial un milliard 200 millions de dollars, 600 millions investis par la partie vénézuélienne et 600 million par la partie iranienne. Cet investissement permettra de financer les projets de production des deux pays : ceux de la société iranienne « Petropars » et de la société d’Etat « Petroleos de Venezuela S.A » qui envisagent la construction de navires pétroliers. Cet investissement assurera également les projets relatifs au développement des opérations commerciales et au développement de la production d’hydrocarbures dans les deux nations. L’impact de cette banque permettra des opérations avec effet de levier avec diverses institutions financières, ainsi que la création d’accords avec d’autres banques du Moyen Orient.
Devant les contradictions révélées par le Consensus de Londres , différents pays du Sud ont, somme toute, renforcé leurs actions au travers d’une nouvelle conception des relations financières internationales afin de contrer la crise économique capitaliste mondiale. Dans ce processus, l’appui total et la pleine participation des citoyens des pays engagés dans ces actions de portée mondiale est de plus souhaitable.
Juan Manuel Bueno Soria est docteur en droit, spécialiste en Coopération Internationale. Université de Toulouse I. France.
Source: Rebellion
Traduit de l’espagnol par Jean-Pierre Plumat pour Investig’Action