Vers quoi s’achemine-t-on en République démocratique du Congo ? L’élection présidentielle n’aura plus lieu le 19 décembre, comme le prévoyait la constitution. Pour éviter une déflagration sociale, le régime en place a initié des consultations qui ont abouti à un accord politique avec une partie de l’opposition. Un gouvernement d’union nationale a d’ailleurs été constitué. Le président Kabila s’est adressé à la nation. Mais l’autre partie de l’opposition dirigée par Etienne Tshikesedi a boycotté les consultations et promet de descendre dans la rue après le 19 décembre pour faire partir Kabila et son gouvernement. Décryptage avec Elza Vumi, journaliste et militante des droits humains.
Cette interview est extraite du Journal de l’Afrique du mois de novembre (n°26)
Photo: 1993-2016, Le Congo connaît la douleur des charniers. Novembre 2015, Elza Vumi devant le Bataclan, Paris
Quelle est la stratégie de l’opposition congolaise ?
Le problème avec le milieu politique congolais est que l’opposition n’a jamais été unie depuis l’assassinat de Kabila père. Au fur et à mesure des présidentielles, elle n’a jamais pu s’unir et c’est seulement maintenant qu’elle semble vouloir le faire. Ce qui est extraordinaire, c’est que pour s’unir, elle a eu besoin d’aller au Sénégal. Elle a eu besoin que des enfants donnent leur vie à travers des manifestations. Des jeunes sont morts au mois de janvier 2015. Ce sont des martyrs. Et au moment où ces jeunes sont morts au Congo, on a vu les leaders politiques aller chercher une légitimité à l’extérieur. On les a vus aller aux USA, faire le tour de l’Europe, etc … Je pense que le peuple congolais n’est pas dupe. Il sait ce qu’il ne veut plus. Seulement, on ne l’entend pas beaucoup ce peuple congolais. A travers le site Ingeta – que je recommande -, vous aurez beaucoup d’angles de vue du peuple congolais.
Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on voit cette opposition chercher la légitimité à partir de l’extérieur. Alors on se demandait ce qui va se passer au moment des élections, si élections il y a. [initialement prévues pour décembre 2016, l’élection présidentielle a été renvoyée au mois d’avril 2018. Une partie de l’opposition conteste ce renvoi et promet de descendre dans la rue]. Ce qui est certain c’est que le peuple congolais aimerait avoir une candidature en dehors de tous ceux qui se présentent maintenant. La candidature d’un homme…ou une femme providentielle. Quelque chose de complètement nouveau, qui parle au peuple congolais, parce que là on ne parle pas au peuple congolais.
Il y a des millions de morts et il n’y a pas d’état d’urgence au Congo. Il n’y en a pas eu depuis 20 ans. Les femmes enterrées vivantes, les assassinats de masse qui continuent à la frontière. Au Congo, la destruction du tissu social est à un niveau hallucinant depuis 20 ans. On n’en entend jamais parler, ni au niveau du Parlement, ni à l’international ; y compris ceux qui se présentent comme étant de l’opposition. Ils ne parlent ni du féminicide, ni du génocide.
Nous avons eu l’attentat du Bataclan ici à Paris et l’état d’urgence a immédiatement été décrété. Il y a eu un charnier en plein Paris, il y a eu l’état d‘urgence. Nous avons des milliers de charniers au Congo et il n’y a pas d’état d’urgence.
Moi je me mets du côté du peuple auquel j’appartiens. Le paradoxe, c’est que nombre de ceux qui constituent cette opposition, sortent du mouvement de la majorité présidentielle. Il faut aller chercher la réponse du côté du peuple parce que le peuple sait très bien ce dont il ne veut plus.
Jusqu’ici, on ne voit pas ce peuple se mobiliser véritablement…
Le peuple s’est mobilisé. Il y a eu de grandes manifestations dernièrement. Il y a eu des villes mortes il y a quelques temps. Les villes mortes ont très bien fonctionné. Pour qu’un peuple se mobilise, il faut des leaders. Un peuple ne se mobilise pas sans leaders.
Quelle est le degré d’implication des grandes puissances, notamment les USA dans le débat politique congolais ?
L’influence des USA a toujours été visible depuis la colonisation. Ce que nous vivons actuellement n’est que le prolongement de la Conférence de Berlin de 1885. Cette Conférence de Berlin était la signature des traités essentiellement commerciaux entre les puissances occidentales. On dit souvent le partage de l’Afrique, mais bon… Un vrai jackpot pour Léopold II (roi des Belges, NDLR) qui a fait adopté tout ça par les USA et au fil du temps les USA ont trouvé leur intérêt en termes de matières premières : la bombe d’Hiroshima et tout ce qui s’en suit.
Le Congo aujourd’hui est un grand puisement pour les matières premières des grandes firmes technologiques. C’est pourquoi la chape de plomb et le silence médiatique sont aussi assourdissants. La responsabilité de briser cette chape de plomb est congolaise, mais aussi africaine. Si les autres africains se taisent, ils se rendent complices.
Mais nous, nous ne devons pas toujours penser matières premières. Nous devons penser humain parce que c’est cette première ressource qu’on est en train de détruire, de bestialiser, de déshumaniser à un point sans précédent et ce dans le silence le plus complet. Il ne faut pas oublier que l’Afrique, c’est le jardin du monde. L’Afrique pour les Chinois par exemple, c’est la terre où il ne se passe rien. On ne voit l’Afrique qu’en termes de commerce. On nous prépare pour être des consommateurs des nouvelles règles économiques. Voilà ce qu’il faut très vite faire comprendre aux Africains. Pour détruire cette chaîne de peur, de traumatisme, je crois que les journalistes progressistes du monde entier ont un énorme challenge. Ce n’est pas rien que de demander au peuple congolais de se lever après cinq siècles de traumatisme. La traite négrière, Léopold II…
Est-ce que vous êtes en train de nous faire comprendre que la Chine, qui est présentée comme une alternative au pillage des Occidentaux en Afrique, n’en est pas une ?
J’aimerais qu’on laisse un peu la Chine tranquille. Depuis cinq siècles, l’Afrique est le champ de l’Occident. Tout ce qui est numérique et qui trouve sa matière première au Congo à travers ce minerai emblématique qu’est le Coltan parce que c’est le symbole du pillage international, ce sont d’abord les USA, l’Angleterre, Israël… C’est quand même M. Tony Blair qui gère la bourse des matières premières à Kigali pour commercialiser les ressources pillées au Congo. Vous pouvez le vérifier sur Internet. La Chine c’est quoi pour tout le monde ? C’est là où l’on va fabriquer à moindre coût. Mais ceux qui pillent, ceux qui organisent ce pillage, ce ne sont pas les Chinois.
Tout ceci peut-il être possible sans la complicité des dirigeants africains ?
Qui place ces dirigeants au pouvoir ? On tue les nationalistes et on met à la tête de nos Etats des hommes aux ordres. Mais nous avons notre responsabilité. Lorsqu’on ne brise pas le silence, nous sommes responsables. Surtout ceux qui sont dans la diaspora. Là, je suis très sévère. Les élites (je n’aime pas beaucoup ce mot) ont une énorme responsabilité. Nous qui sommes en Occident, que faisons-nous pour briser ce silence ? L’intelligentsia congolaise comme africaine a une énorme responsabilité. On ne nous interdit pas de distribuer les flyers à la sortie des métros ni de manifester. Malheureusement nous, membres de la diaspora, ne sommes pas assez actifs sur ce terrain.
A votre avis, qu’est-ce qui pousse les Africains à fuir leur pays au point de se retrouver par milliers aux portes de l’Europe ?
Il y a la liberté de circuler qui est d’abord une liberté fondamentale, comme se nourrir, s’habiller ou être éduqué. Quand vous n’avez pas la liberté de vous nourrir, de nourrir vos enfants, de les éduquer, vous vous déplacez pour chercher mieux ailleurs. C’est la vie et c’est normal. En plus s’il y a la dictature, l’impérialisme, c’est un droit élémentaire de se déplacer. En revanche, cette migration africaine est désormais oubliée au profit des syriens ou des afghans. Tous les jours, nous avons le décompte des morts syriens sous les bombes. Le Congo aurait aimé une telle médiatisation.
Mais l’information est à sens unique, nous sommes responsables de notre propre médiatisation. Nous sommes la base de l’iceberg. Mais ce que nous voyons là, c’est la partie émergée. Quand nous regardons les médias occidentaux, ils ne parlent jamais des causes. Maintenant la cause des viols de masse au Congo commence à sortir. Mais c’est toujours l’alibi de la femme violée. Il faut que la honte change de camp parce que lorsqu’une femme est violée en masse, ce sont bien des hommes qui violent. C’est la dignité des hommes africains qui est mise en cause de façon immensément lourde. Là encore, nous avons une énorme responsabilité en ne nous levant pas assez pour dénoncer.
Voilà plusieurs années déjà que nous demandons aux Africains de regarder ce qui se passe au Congo parce que c’est ce qui va arriver à d’autres pays. Il y a eu la Côte d’Ivoire, la Centrafrique, le Mali qui sont autant de métastases. Il ne faut pas saucissonner. Le cas de l’Afrique est un.
Sur le troisième mandat, il y a comme une politique de « deux poids, deux mesures »…
Je pense que partout en Afrique, on est contre le troisième mandat, contre la violation de la constitution. Et puis sur le plan d’un Etat de droit, des droits de l’Homme, de l’ONU, on ne viole pas une constitution. Dans tous les pays où la constitution a été violée, il y a eu la répression d’Etat. La constitution a été violée au Rwanda, en Ouganda… Mais la population ne trouve pas cela normal. Et là encore, il faut que les élites africaines se lèvent.
Le peuple manifeste contre le troisième mandat au point d’oublier de demander aux dirigeants de rendre compte de leur gestion avant de partir. Est-ce que cette limitation de mandat ne cache pas un problème de fond qui est celui du partage du fruit de la croissance ?
Moi je ne demande pas de comptes à un dictateur complice du pillage international. Nous espérons tous un Etat de droit. Nous attendons tous un leadership providentiel. Mais en attendant que pouvons-nous faire ? Il faut regarder les réalités du terrain. On fait avec ce qu’on a.
Pourquoi le peuple, qui se lève comme un seul homme pour demander à un dictateur de partir, ne se lève-t-il pas pour demander du pain, de l’eau ou de l’électricité ?
Justement, c’est pour ça qu’il se lève. C’est parce que le peuple n’a pas de pain, d’eau, etc, qu’il se lève. Et ça a fait de grandes révolutions, de grandes immigrations en Angleterre. C’est aussi pour cela que des Anglais et des Français ont émigré aux USA. Il ne faut pas sous-estimer la répression. Le peuple se lève, mais vous avez vu comment il est réprimé ? Moi, je peux parler là. Mais je ne peux pas donner de leçon au peuple. Je dors dans un excellent lit. Et je suis sûre d’avoir ma nourriture tous les midis.
Vous savez, on est dans un certain cynisme en ce qui concerne l’Afrique. Les dirigeants qui nous oppriment sont toujours soutenus par ceux-là même qui refont les cartes géopolitiques du monde. Nous sommes sous leur agenda.
Source : Le Journal de l’Afrique, novembre 2016, Investig’Action