Nul ne peut contester la part restreinte des informations sur l’international dans les grands médias. La concentration extrême du pouvoir de décision dans le domaine de la politique étrangère n’y est pas pour rien : les intérêts économiques et stratégiques sont trop décisifs pour être soumis au contrôle populaire le plus élémentaire ! Les « démocraties » les plus avancées sont hémiplégiques et infirmes : les sommets de l’État et quelques experts sont seuls « qualifiés » et les simples citoyens n’ont rien à apporter, y compris lorsqu’ils sont consultés : en 2005, le « Non » à la « Constitution » européenne des Français n’a pas compté. Il dérangeait les pouvoirs publics et privés et contredisait tous les médias qui avaient appelé à voter « Oui » !
Les grands médias, sans complexe, et bien au-delà de la question européenne, mentent, déforment, dissimulent avec plus ou moins de subtilité, pour s’aligner (lorsqu’ils ne sont pas acquis par le recrutement sélectif de leurs éditorialistes) sur les intérêts des groupes qui les financent. Le résultat est une méconnaissance crasse de l’opinion sur la réalité des relations internationales et un enfermement mental des citoyens sur leur pré-carré. Comment s’étonner des relances périodiques d’un chauvinisme étroit, d’un nationalisme arrogant, accompagnés souvent de racisme, au sein des grandes puissances ? Les pouvoirs « enseignent » en effet le mépris des autres et une volonté de puissance bien davantage que la solidarité transnationale (1) !
Le paradoxe est profond à l’heure d’une mondialisation voulue par le monde des affaires et leurs auxiliaires étatiques, qui fait qu’aucune économie nationale et aucun peuple ne peuvent échapper aux ingérences étrangères et à l’impact des intérêts multinationaux partout présents : tout régime, quel qu’il soit, subit ainsi une sorte de « métissage ». L’État le plus attaché à la souveraineté nationale et le peuple le plus patriote sont eux-mêmes victimes d’un environnement international défavorable et se trouvent transformés, malgré eux, par la pénétration d’intérêts qui ne sont pas les leurs. Il en est ainsi particulièrement des rares bastions se réclamant d’un socialisme souvent abâtardi par des sanctions de toutes sortes (embargos, blocage d’avoirs financiers, discriminations commerciales, pressions politiques et idéologiques, etc.) pouvant aller jusqu’au sabotage et à l’intervention militaire.
Les grands médias occidentaux font silence sur ce qui accable, en raison des rapports de force, les régimes qui leur déplaisent : la présentation de la Corée du Nord depuis plus qu’un demi-siècle va jusqu’à la caricature le plus sommaire. Il en est de même pour la Chavisme au Venezuela, comme il en a été par le passé du Vietnam et de Cuba ! La mal information est la règle : un simplisme malsain domine dans le combat qui oppose un « camp » à l’autre, dans un brouillard entretenu par un bavardage incessant sur les « valeurs » et les « idées » ! L’adhésion à l’idéologie des managers capitalistes, doublée d’un « inculture branchée et culottée, bavarde et narcissique », comme l’écrit A. Accardo (2), caractérisent certains spécimens issus d’écoles de journalisme productrices de savoir-faire plus que de savoir. Ce n’est pas le fait de tous les journalismes, mais, précarisés, presque tous acceptent de subir la laisse tenue par les « patrons » (3) !
Les médias dominants, qu’il s’agisse particulièrement des chaînes d’information continue, des radios privées ou publiques, ou de la presse écrite, bénéficiant d’un label quasi-officiel (en France, par exemple, certains journaux sont eux-mêmes « médiatisés » par la radio et la télévision, comme Libération, Le Figaro, Valeurs Actuelles, etc.), sont des outils de fabrication d’une pensée conforme, malgré leur diversité apparente plus ou moins « branchée », source d’une servilité « volontaire » ! L’international est un domaine d’information particulièrement « efficace » pour produire un consensus très favorable aux pouvoirs établis : sans concerner de manière directe les affrontements politiques internes, il favorise une approche sur eux affectée d’un fort coefficient idéologique néolibéral, voire fascisant. Parler d’ « ailleurs » est un excellent moyen de peser sur le « chez soi » : pourquoi se priver d’attaquer sans réserve Chavez puisqu’on atteint en même temps Mélenchon !! Durant des décennies, toute critique de l’URSS permettait de mettre en cause les partis communistes occidentaux qui n’y pouvaient pourtant pas grand chose !
Est utilisée quasi-systématiquement pour toute question internationale une évaluation binaire fondée sur les notions (primaires et quasi-religieuses) du Bien et du Mal, confirmées régulièrement par les courants doctrinaux étasuniens. La transposition dans l’ordre interne va de soi : les médias dominants servent le Bien et ceux qui sont en désaccord se situent dans le camp du Mal !
Enfin, toutes les informations macro-économiques se situent dans le cadre exclusif du capitalisme et de sa gestion : les problèmes propres au socialisme jugé « contre-nature » ne font jamais l’objet que d’un rejet global. Les controverses ne sont admises dans les médias dominants que dans le seul système admis, c’est-à-dire l’économie de marché et sa logique à laquelle nul ne saurait échapper sous peine de désastre social. Il n’y aurait aucune alternative et l’histoire économique n’a nulle place : elle est achevée. La preuve de cette fin de l’évolution a été apportée par l’échec des autres expériences qu’il est donc absurde de vouloir reproduire « chez soi » : pas question de prendre ne compte les multiples agressions économiques et financières subies par l’URSS, Cuba, le Chili, la Corée du Nord, le Venezuela, etc.) !
Dénoncer la pénurie « ailleurs » (ou dans certains cas le succès de telle ou telle mesure qu’il faudrait prendre « chez soi ») est le moyen d’écarter les propositions des oppositions dans notre propre économie ! Y compris si les contextes étrangers sont très différents et rationnellement non transposables. Est ainsi favorisé dans les esprits le concept de « modèle » ou de modèle-repoussoir. Tous les « experts » (sélectionnés) convoqués par les rédactions en chef le confirment évidemment à toutes occasions.
Les règles suivies
L’information internationale par les médias dominants est soumise à certaines règles « d’efficacité » propagandiste, bien que les rédactions s’en défendent en se déclarant « offensées » et victimes d’un populisme inacceptable lorsqu’elles sont mises en cause.
Une courte exposition des méthodes suivies est pourtant difficilement contestable de bonne foi.
Le descriptivisme l’emporte systématiquement. Les événements du jour n’ont ni racine ni histoire. Le flash privilégié, recherchant l’émotion, exclut l’explicitation. On fait usage de l’image symbolique (par exemple, l’enfant blessé dans les ruines d’un bombardement) ou le témoignage individuel choisi, qui suffiraient à faire sens !
Le temps-long n’est pas pris en compte : la question kurde, par exemple, ne remonte-t-elle pas pourtant aux lendemains de la Première Guerre mondiale, et ne soulèverait-elle pas la responsabilité des vainqueurs de 1918 ? La question palestinienne n’aurait-elle pas près de soixante-dix ans, tout comme la question coréenne (dont la guerre dévastatrice de 1950-1953) et ces décennies écoulées n’auraient-elles aucun impact sur l’actualité ?
Chaque événement médiatiquement martelé un ou plusieurs jours consécutifs, avec une forte intensité pour imprégner les esprits, disparaît brusquement pour céder la place à un autre qui lui-même s’efface à son tour:il n’y a pas de suivi. L’objectif n’est pas de faire comprendre mais « d’impressionner » l’esprit pour fabriquer l’opinion désirée par les pouvoirs.
On peut imaginer les dégâts intellectuels qu’une telle méthode produirait dans le domaine de la pédagogie scolaire !
Chaque jour, les événements sont multiples au sein ou entre les quelques 200 États qui se partagent la planète. Les médias dominants font « leur marché », en relation avec l’ordre du jour intérieur monopolisé par les pouvoirs publics et privés, afin de peser sur l’opinion soit pour conforter une idée-reçue générale soit pour agir sur une question précise qu’il s’agit d’orienter. Seront choisis, par exemple, des événements renforçant l’hostilité à la Chine ou à la Russie ou démontrant que la police algérienne sait jouer de la matraque comme la française et que l’on ne saurait s’attarder sur les condamnations du gouvernement français prononcées par les Nations Unies ou le Parlement européen à l’occasion de la répression des Gilets Jaunes à Paris !
Les événements ne sont pas retenus au quotidien pour leur intérêt intrinsèque, leur caractère inédit, leur portée plus ou moins grande, mais pour leur « utilité » dans la bataille locale du moment (sociale, idéologique, institutionnelle, etc.). Il s’agit d’illustrer par une image internationale « significative » ce qu’il est « convenable » de penser dans l’ordre interne : l’exercice médiatique, de parfaite mauvaise foi, se veut avant tout « pédagogique » !
Dans l’ordre international, les rédactions disposent d’une grande « liberté » : les citoyens sont pour la plupart hors d’état de vérifier leurs dires, à la différence de ce qui peut être affirmé dans l’ordre interne. Dans la masse des événements survenant sur tous les continents, où les citoyens disposent de quelques moyens d’évaluation, il y en a toujours quelques-uns qu’il suffit de repérer et de développer pour légitimer n’importe quelle cause !
Aucun ne s’impose objectivement au détriment de tous les autres ! Aux journalistes « responsables » (4) d’être habiles, capables de bien choisir les faits et aux « sachants » qui offriront une petite musique d’objectivité, de bien canaliser les débats, de déstabiliser éventuellement le mal-pensant invité par exception et tout exprès pour rendre crédible les « bien » pensants invités « réguliers » parce que leur position est connue à l’avance !
Il est évidemment exclu que les dominants soient dominés, ne serait-ce qu’accidentellement (d’où la rareté de passage télé ou radio d’un Bourdieu (dans le passé), d’un Onfray ou d’un Badie (aujourd’hui), ou plus généralement des universitaires en nombre capables (pourvu qu’ils soient sollicités) de faire front aux « abonnés » du style Minc, Finkelkraut, B-H. Lévy et autres Zémour ou Ménard et d’une cohorte de faux experts plus ou moins économistes ou politistes sortis de fondations et organismes fantômes, lorsqu’on a besoin d’eux !
La répétition est une autre règle lorsque le fait traité est potentiellement « persuasif ». L’information continue audiovisuelle permet de pratiquer un véritable « bombardement » de l’opinion qui ne peut qu’y être sensible. A cette critique de cette insistance partisane, il est répondu que d’autres informations (non « exemplaires » pour le système) ont été aussi données dans l’esprit pluraliste qui est la doctrine officielle. Mais il n’est pas précisé si ces informations « secondaires » n’ont été diffusées qu’après 23 heures, une ou deux fois, en bas d’écran, avec ou sans images, à la différence des « principales » !
Ainsi, la plus ou moins grande intensité répétitive et la maîtrise des horaires et des mises en scène créent les conditions d’un respect fictif d’une pseudo-«objectivité », dont se réclament hautement les professionnels du média mensonge ! Or, le pluralisme n’est pas cette « objectivité » inaccessible, mais une honnêteté élémentaire prenant en compte le plus grand nombre possible d’événements internationaux, en leur donnant un contenu explicatif.
Le fait que sur les différentes chaînes de télé et radio la sélection des informations internationales soit standard ne serait pas la preuve d’une volonté de formatage de l’opinion, mais au contraire du respect d’une « Vérité » unique face aux colporteurs de « fake news », est une triste plaisanterie. Il suffirait pour en faire la démonstration de faire l’historique des différentes fausses « vérités » largement diffusées et répétées, par exemple celles portant sur l’armée irakienne et « ses armes de dissuasion massive » ou sur le « massacre » de Benghazi par les mercenaires de M. Kadhafi, origine de la destruction par la France et l’OTAN de la Libye.
Les événements internationaux « préférés » par les grands médias ne sont pas les mouvements populaires lorsqu’ils sont porteurs de revendications sociales, sauf s’ils se produisent dans des pays « ennemis ». Ce qui est mis en avant, ce ne sont pas les peuples, mais leurs dirigeants qui seraient « bons » ou « mauvais » !
Cette personnalisation de la vie internationale est poursuivie à l’extrême et les affrontements se résument à des « guerres de têtes » de personnalités ayant leurs petits et grands défauts, ou au contraire leurs vertus, porteurs de hautes « valeurs » : les intérêts matériels en jeux ne font jamais la une, au profit d’une sorte de psychologisation des problèmes. Il est évidemment plus « simple » et plus convainquant de transformer les conflits internationaux en quasi-querelle de voisinage entre individus (Trump/Poutine, par exemple), susceptibles de se résorber s’il y a changement de personnages !!
Un fait n’est jamais « pur ». Il est toujours « traité » par l’informateur qui fabrique l’impression qu’en a « l’informé ». Le ton du commentateur, les mots qu’il utilise, éventuellement la musique de fond qui accompagne l’image, la proximité d’autres informations qui la contaminent, travestissent au gré des médias la réalité brute difficilement accessible. Une « bonne » rédaction est par fonction manipulatrice : les adjectifs qualificatifs sont utilisés avec opportunité (pour un dirigeant honni qu’on ne négligera pas d’appeler « dictateur »), l’ironie bienvenue (particulièrement pour les petits États du Sud dont certains aspects peuvent apparaître folkloriques), la prudence austère qui s’impose (s’il s’agit du Vatican ou d’Israël). Le style doit aller jusqu’à l’indignation (pour les violations des droits de l’homme dans un pays non occidental ou pour les guerres destructrices lorsqu’elles ne sont pas « justes », par exemple celles de la Russie (et non d’une coalition pro-occidentale comme au Yémen) dont on doit admettre les « dommages collatéraux »….
Il faut parvenir à bien dissocier comme étant de nature totalement différente les « dictatures » des « démocraties », les guerres « justes » et les autres, les interventions « humanitaires » et le recours à la force armée, les élections chez les alliés et celles (toujours contestables) des autres… Il convient d’être « simple », d’éviter la notion de contradiction, de se refuser à la complexité du réel, obstacles à une compréhension « saine » des relations internationales favorable au maintien d’un ordre établi, moindre mal grâce à un Occident travaillant sans cesse au progrès de l’Humanité !
Pour les médias dominants, un lanceur de pavé contre les forces de l’ordre à Paris, ou contre la police de Mme Park (aujourd’hui en prison) à Séoul (5) est un voyou, c’est un citoyen lucide et courageux s’il est « gazé » à Alger (6) ou à Caracas ! Un manifestant tué ou blessé à Paris n’est qu’une « bavure » fruit d’un comportement individuel dans le cadre du maintien de « l’ordre républicain », dans les pays peu appréciés comme le Venezuela c’est le résultat de la nature répressive des pouvoirs !
Ces pratiques font que les médias dominants sont nécessairement atteints d’un discrédit croissant (10% des Français leur font encore confiance), qu’il s’agisse de la Pravda de la fin de l’URSS ou de BFMTV sous la présidence Macron. Ils ont le « devoir » cependant de surmonter, par toute une gamme de diversions, leur absence de principe, l’incohérence de leurs jugements de valeur et l’affaiblissement de la culture démocratique de nombreux journalistes, souvent sélectionnés pour leur adéquation aux « normes » admises et leur servilité opportuniste (7) !
Quelques illustrations
Dans l’ordre intérieur, c’est le social qui fait l’objet de toutes les censures et autocensures : les revendications nécessairement budgétisables contredisent en effet la logique d’un capitalisme sans scrupule qui ne cède rien lorsqu’il s’agit d’argent !
Dans l’ordre international, de même, est neutralisé tout ce qui concerne les transactions financières, « l’optimisation » fiscale, les phénomènes de concentration, la concurrence jamais libre et toujours faussée ! Il convient de faire croire à une société internationale « équilibrée », grâce au « libre jeu des lois du marché », c’est-à-dire ce qu’il y a de mieux pour assurer la croissance et le progrès. Le cœur du système est donc soigneusement protégé par les médias dominants.
L’ordre de l’Union Européenne fait ainsi l’objet de toutes les « précautions » médiatiques : quels que soient les reproches que certains lui font, l’Union Européenne, la Commission et la BCE bénéficient d’une grande complaisance médiatique : on l’a constaté lorsque l’État grec s’est opposé à elle ainsi qu’à l’occasion du Brexit et des contestations italiennes. En France, l’épisode du « Non » au Référendum de 2005, malgré le soutien total et quasi-unanime des médias au « Oui », puis la manipulation parlementaire, ont été présentées de manière caricaturale.
Le traitement des paradis fiscaux et de l’évasion fiscale est d’une très grande complaisance : il n’y a de critiques médiatiques qu’à l’encontre de quelques « brebis galeuses à col blanc », mais jamais le procès n’est fait au système de fraude « légale » tolérée par les États. Les affaires « Paradise papers » ou « Panama papers » ont été dépolitisées au maximum et les propositions de mesures contraignantes n’ont pas été soutenues.
Les journalistes soumis aux classes décadentes et corrompues ont, comme elles, peur de la vérité, comme disait Jaurès dès 1904 ! Ils appartiennent à cet « extrême centre », au cœur de l’idéologie rampante du système médiatique, option qui permet successivement tous les ralliements (aussi bien à Sarkozy, à Hollande et à Macron, ce dernier omniprésent sous toutes ses facettes sur toutes les chaînes, expression d’un « Nouveau » monde parfaitement analogue à l’ancien. En se parant des atours de la « modération » à propos des questions financières les plus « délicates », les médias dominants sauvegardent le libéralisme financier et sa place hors toute controverse politique !
Pour ces « honnêtes » observateurs que sont les journalistes des grands médias, le monde se divise sans nuance entre deux types d’État, deux types de système socio-économique, dirigés par deux types de dirigeants : les « Bons » (les États-Unis, même avec Trump, le capitalisme et les responsables allemands, britanniques, ….) et les « mauvais » (la Russie, la Chine, l’Iran, ainsi que Poutine, les dirigeant du P.C. Chinois, etc.). Les médias ne font pas dans la nuance : ces derniers ne réussissent jamais rien, sont en crise permanente et « nous » menacent dangereusement ! Bref, tout irait bien dans le monde s’ils n’existaient pas.
Le délire atteint parfois des sommets : pour les seules dernières décennies, on peut collecter les absurdités accumulées contre la Corée du Nord ou la Libye !
Les médias occidentaux n’ont cessé, par exemple, d’annoncer la mort du régime de Pyong Yang et de brandir la menace qu’il représentait pour la paix du monde, incarnée par le sempiternel défilé militaire, présenté sur tous les écrans, visiblement la seule activité des Nord-Coréens fanatisés. A ce spectacle édifiant, se sont ajoutés jusqu’au revirement de Trump, les commentaires télévisés et radio des « experts » les plus analphabètes sur les horreurs sans pareil du régime nord-coréen.
L’évolution des États-Unis sur le sujet a pris à contre-pied la mal-information européenne qui a donc, avec regret, changé de ton et … « d’experts », sans pour autant rappeler les dégâts économiques, politiques et humains de 70 ans d’embargo !
M. Kadhafi, assimilé à un fou dangereux, et la Jamahiriya libyenne n’ont pas été mieux traités jusqu’à la guerre de Sarkozy et B-H. Lévy détruisant tout le pays vivant toujours dans le chaos huit ans après ! Les médias préfèrent aujourd’hui le silence quasi-total sans le moindre repentir.
A l’inverse, le moindre tressaillement positif en Arabie Saoudite, comme l’autorisation de conduire pour les femmes, est salué comme un bond en avant démocratique ! Dollars et pétrole obligent !
Sur l’Afrique (notamment francophone), où se multiplient les élections présidentielles truquées, les médias occidentaux dominants font preuve de discrétion : l’indignation pour les fraudes électorales est orientée dans d’autres directions ! C’est que les médias doivent être prudents avec les Bolloré, et certains grands groupes comme Total qui ont de gros intérêts en ces terres difficiles et sont donc complaisant avec les pouvoirs locaux les plus corrompus (8).
Lorsque les troupes de l’OTAN ont détruit tout le Moyen Orient et continuent de le faire avec l’Arabie Saoudite au Yémen, il est « expliqué » que ces guerres sont menées dans le respect du droit humanitaire, ce qui n’est pas le cas des Russes en Syrie, par exemple, « allié inconditionnel » du bourreau de Damas ! Les journalistes n’ont pas à s’interroger sur le coût des « guerres justes » mais seulement sur celui des interventions russes ou iraniennes, dont la malfaisance est une évidence !
La nouvelle dictature brésilienne n’inquiète pas les journalistes spécialistes d’Amérique du Sud. Par contre, le Venezuela chaviste mérite toutes les accusations, bien que le régime bolivarien ait sorti, avant de connaître la crise actuelle largement due aux politiques étasuniennes, des milliers de Vénézueliens de la misère !
Il est clair, pour les médias dominants, qu’aucune expérience d’orientation socialiste ne doit bénéficier du moindre crédit parce qu’il va de soi qu’aucune ne « doit » réussir !
Depuis Allende jusqu’à Maduro, via le régime cubain, il a été médiatiquement proclamé que l’échec était programmé ! C’est autant de coups frappant la gauche occidentale lorsqu’elle est solidaire.
Enfin, lorsque la question est trop délicate pour être jugée sans prudence (c’est le cas par exemple du problème des migrants ou du conflit entre le Pakistan (allié des États-Unis) et l’Inde (contre-feu à la Chine), les grands médias font leur marché dans le cheptel des intellectuels occidentalo-centristes et acquis à la « culture Wall Street », même s’ils n’ont pas grand chose à dire : le bavardage branché et modéré des heureux experts élus fait gagner du temps aux journalistes à qui il est recommandé de conserver une posture « neutre » et modérée.
Plus généralement, les grandes lignes stratégiques des médias dominants satisfont les préoccupations des pouvoirs publics et privé eux aussi dominants en Occident.
Ayant besoin d’ennemis, le système médiatique cultive un esprit « guerre froide » et un monde unipolaire dont le centre est l’Occident, contre toute avancée d’une multipolarité pourtant favorable aux échanges et au maintien d’une paix équitable.
L’OTAN (à la différence des Nations Unies) n’est jamais mise en cause, malgré le premier rôle qu’y jouent les seuls États-Unis et son unilatéralisme agressif (800 bases militaires à travers le monde). Elle est au contraire médiatiquement soutenue, comme on l’a vu pour la crise ukrainienne, la réintégration de la Crimée à la Russie ainsi que pour l’agressivité polonaise ou balte vis-à-vis du Kremlin.
Quant aux droits de l’homme et à l’humanitaire, ils sont traités de manière très différenciée selon les cas.
Ils occupent parfois l’essentiel au point de subordonner tout autre problème ; ils passent aux oubliettes lorsque les pouvoirs qui les violent sont associés à l’Occident, comme c’est le cas pour la Turquie d’Erdogan, pivot de l’Alliance Atlantique, y compris lorsqu’elle massacre le peuple kurde. Il en est de même pour les droits des migrants dont on oublie qu’il s’agit d’humains, relégués derrière un sécuritarisme envahissant.
Ces orientations générales n’excluent pas des expressions ponctuelles de positions critiques faisant croire qu’il n’y a pas monolithisme, illusion ayant le « mérite » de renforcer la crédibilité d’un pensée conforme mais renouvelée, si on la compare, par exemple, à l’époque gaulliste des débuts de la V° République française. La pseudo « élite » qui exerce son hégémonie par la voie médiatique a, il faut le reconnaître, la capacité d’innover et d’offrir à l’opinion des variations qui lui permettent de durer (9).
Ainsi, au jour le jour, se développe en continu une mal-information qui formate, en usant du détour de l’international, les citoyens afin qu’ils adoptent une position « politiquement correcte » dans l’ordre interne. C’est le seul but du temps et de la place limités accordés aux relations internationales. Cette propagande intensive est à la « société dite démocratique, comme le dit Noam Chomsky, ce que la matraque est à l’État totalitaire « ! Si la matraque est douloureuse, la pratique des médias occidentaux a la « vertu » de fabriquer à la chaîne des imbéciles ignares qu’il est difficile de guérir.
En paraphrasant G. Bachelard affirmant qu’ « il n’est de science, que critique », on peut conclure « qu’il n’est d’information authentique, que critique », c’est-à-dire en rupture avec l’État et l’argent.
Mais comment y parvenir ?
Dans le cadre du système, il est évident que le réalisme interdit toute solution.
Mais « le réalisme, réplique Bernanos, est le bon sens des salauds ».
On en est là !
Notes :
1. On peut rappeler comment les « boatpeoples » vietnamiens et anticommunistes étaient « applaudis », à la différence des réfugiés chiliens par exemple, expulsés par Pinochet, accueillis par les communistes et les progressistes européens.
2. A. Accardo. Pour une socio-analyse du journalisme. Agone. 2017.
3. Cf. A. Lancelin. La pensée en otage. S’armer intellectuellement contre les médias dominants. Les liens qui libèrent. 2018.
4. Cette catégorie très privilégiée et très restreinte, acquise au système, est à distinguer de la masse des journalistes plus ou moins précaires qui ne peuvent pas exercer réellement leur métier (la moitié des journalistes français sont des smicards totalement dépendants de leur employeur).
5. Le mouvement populaire en Corée du Sud qui, de manière massive et pacifique, a réussi à imposer la démission de Mme Park, en 2017, a été pratiquement passé sous silence en Europe. L’ « exemple » était « dangereux » !
6. Comme il est de tradition pour les gouvernements et les médias français, la position vis-à-vis des événements en Algérie est celle des « 2 fers au feu » : on se garantit pour la suite quelle qu’elle soit en se gardant d’opter clairement pour une force ou une autre (voir la « prudence » lors de la guerre civile entre les Islamistes et l’armée dans les années 1990 ou lors des élections présidentielles d’avril 2019).
7. Lorsque les journalistes les plus « éminents » (les seuls responsables du discours dominant) sont mis en cause pour leur suivisme, leur courtisanerie et leur agressivité (y compris dans le Service Public) contre les opposants, ils ont tendance à faire bloc, profitant du silence obligé de leurs confrères plus précaires. Ils dénoncent alors le « complotisme » et le « populisme », sans en donner la moindre définition. Ce corporatisme est préfabriqué dans les écoles de journalisme où l’on enseigne surtout un certain « savoir-faire » sans exiger la culture critique nécessaire.
8. Les critiques sont beaucoup plus fermes lorsqu’il s’agit de certains pays plus distants de l’Europe, comme par exemple, le Soudan ou l’Algérie, par exemple. Il y a donc un regard très différent sur les pratiques intérieures identiques des États selon leur orientation extérieure. Voir R. Charvin. « Nouvelle « guerre froide » ou nouveau type de belligérance ? » in Relations Internationales (Paris), n° 108. Janvier-mars 2017.
9. Heureusement, « l’Histoire est un cimetière d’élites », comme l’écrit Thomas Bo Homore (Élites and Society. Londres. Watts. 1964).
Source : Investig’Action
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