Sous Trump, la chasse aux migrants a repris — avec pour résultat une déportation massive de Vénézuéliens innocents vers une mégaprison notoire au Salvador. L'histoire du coiffeur de 24 ans, Francisco, montre comment les tatouages et l'origine suffisent à vous faire disparaître derrière les barreaux sans procès.
Rêve qui finit derrière les barreaux
Depuis que Trump est de retour à la Maison Blanche, il a ouvert la chasse aux migrants. Sur la base d’une loi de 1798, des centaines de Vénézuéliens ont récemment été déportés vers le Salvador, où ils sont enfermés dans la mégaprison notoire CECOT.
Parmi eux, Francisco Javier García Casique, un coiffeur de 24 ans de Maracay, Venezuela. Pas de casier judiciaire, pas d’accusation, pas de procès. Seulement quelques tatouages — et la malchance d’être au mauvais endroit, au mauvais moment, avec le mauvais passeport.
Début mars, Francisco a été arrêté par les services d’immigration des États-Unis. Il a dit à sa famille qu’il allait bientôt rentrer au Venezuela en avion. Un accueil chaleureux était préparé à Maracay.
Jusqu’à ce que son jeune frère Sebastián voie quelque chose dimanche soir qu’il n’espérait jamais voir : son frère, le crâne rasé, menotté, dans une vidéo du président salvadorien Bukele, avec des dizaines d’autres hommes, en route vers une prison pour « terroristes ».
La version officielle ? Ces personnes sont des « monstres », membres d’un gang vénézuélien appelé « Tren de Aragua » (Train d’Aragua).
La réalité ? De jeunes hommes avec des tatouages visibles, comme Francisco, ou Mervin Yamarte, un jeune père de Dallas, qui portait un tatouage avec le nom de sa fille. Ce qui suffit aux autorités américaines pour les qualifier de membres de gangs.
Les avocats tirent la sonnette d’alarme
« C’est simplement une escalade absolument choquante des violations des droits de l’homme contre les migrants », déclare Lindsay Toczylowski, une avocate qui travaille avec des demandeurs d’asile vénézuéliens aux États-Unis. Elle a également reconnu son client — un migrant LGBTQ+ — sur la vidéo de Bukele.
« Il n’a jamais été en prison, il est innocent et il nous a toujours soutenus avec son travail de coiffeur », a déclaré son jeune frère. Vous êtes migrant, donc vous êtes criminel. C’est à cela que ça se résume.
La prison CECOT, la plus grande du continent américain, est conçue pour 40 000 prisonniers, mais selon les organisations de défense des droits de l’homme, les conditions y sont tout simplement inhumaines. Les cellules sont surpeuplées, avec parfois jusqu’à 80 personnes entassées, sans lits, draps ou oreillers.
Les prisonniers ne sont autorisés à quitter leur cellule que 30 minutes par jour et il n’y a aucune forme de vie privée. De plus, il n’y a pas de procès équitable et il y a peu ou pas d’espoir de libération. Même le président Bukele a admis que des innocents sont également détenus. Mais selon lui, c’est un prix acceptable « pour vaincre le crime ».

Chasse ouverte
Pour que la déportation ait lieu, Trump a activé l’Alien Enemies Act, une loi de 1798, datant de l’époque de la traite des esclaves. Selon cette loi, les États-Unis peuvent déporter des personnes sans procès en cas de « guerre ». Un juge a tenté d’intervenir à la dernière minute. Il a ordonné que les vols reviennent. Mais le gouvernement a ignoré cette décision. « Oups, trop tard », a écrit le président Bukele sur X.
Lors de son premier mandat, Trump a déporté 1,9 million de migrants. Biden était encore plus zélé, sous son administration, 4 millions de migrants ont été expulsés du pays. Trump envisage maintenant d’en expulser un nombre beaucoup plus important.
Le chiffre de 13 millions qu’il a avancé est cependant irréalisable, pour des raisons logistiques et économiques. C’est pourquoi il s’attaque maintenant violemment aux Vénézuéliens. Trump veut paraître dur auprès de sa base. C’est pourquoi les gens sont arrêtés au hasard et déportés sans ménagement.
Cette chasse à l’homme provoque une véritable onde de choc dans la communauté des migrants. L’incertitude affaiblit considérablement leur position, ce qui les rend très vulnérables et encore plus faciles à exploiter qu’auparavant. Et c’est une aubaine pour les employeurs qui emploient ces migrants.
Une vie humaine pour 6 000 dollars
Trump et Bukele font des migrants une marchandise. Pour chaque personne déportée, le Salvador reçoit 6 000 dollars des États-Unis. Cet argent doit aider à entretenir le système pénitentiaire, qui coûte 200 millions par an à Bukele. Il s’agit donc d’un modèle économique qui repose sur le dos des migrants vulnérables.
La coopération entre Trump et Bukele n’est pas une coïncidence. Selon CNN, les entourages des deux présidents ont des contacts depuis longtemps, notamment via Erik Prince, le fondateur de la société militaire privée controversée Blackwater [1] et fidèle allié de Trump. Bukele fait le sale boulot, les États-Unis paient.
Le silence de la communauté internationale
Plus de 260 personnes ont été déportées en un week-end. Beaucoup d’entre elles n’avaient ni casier judiciaire, ni liens avec la criminalité, mais un rêve. Elles cherchaient un avenir meilleur, loin de la crise économique au Venezuela ou au Pérou.
Comme Francisco, qui a documenté son voyage vers les États-Unis sur Instagram. Il a parlé de son espoir et de sa nouvelle vie de coiffeur au Texas, jusqu’à ce qu’elle se termine soudainement dans une cellule, le crâne rasé, enfermé comme un « terroriste ». Les innocents sont déshumanisés comme des monstres.
Pour Adam Isacson, expert en migration au Bureau de Washington pour l’Amérique latine, les déportations sont « choquantes ». Dans le passé, de tels migrants étaient souvent détenus dans un « centre [de détention] misérable ici aux États-Unis » ou étaient « renvoyés » chez eux. Maintenant, ils sont envoyés « dans une prison médiévale d’un dirigeant autoritaire dans un autre pays ».
Les enfants sont enfermés, les migrants humiliés et des milliers de personnes disparaissent sans procès dans des cachots. Cette déshumanisation brutale et cette déportation sont des symptômes effrayants de la fascisation de la société américaine.
La question est donc de savoir pourquoi la communauté internationale reste si silencieuse. Où sont l’Union européenne, l’ONU, Human Rights Watch, etc. ? Si une telle chose se produisait en Iran, en Chine ou dans un autre pays non occidental, ça ferait la une des journaux. Mais dans ce cas-ci c’est à peine mentionné.
Au Venezuela, en tout cas, la question est très vive. Près de 90 % de la population condamne fermement la déportation. Le gouvernement vénézuélien a appelé à une mobilisation massive. Des marches de protestation et des actions de signature sont organisées dans tout le pays pour exiger le retour des « Vénézuéliens enlevés ».
La déportation de Francisco est un symbole de la façon dont la migration est criminalisée et dont les vieilles lois sont dépoussiérées et mène à la fascisation rampante de la société. Elle montre comment les dirigeants politiques comme Trump et Bukele construisent leur pouvoir sur la peur, le racisme et la politique du spectacle.
Sources :
Cuatro F :Venezolanos secuestrados por Trump y Bukele volverán | Cuatro F
Cuatro F : Del “Sueño Americano” a los campos de concentración. | Cuatro F
The Economist : Donald Trump has reshaped one of the world’s most important migration routes
The Guardian : ‘He is innocent’: family of deported Venezuelan rebukes Trump claims | Venezuela | The Guardian
Note :
[1] Blackwater est une société militaire privée controversée des États-Unis, surtout connue pour ses activités en Irak et en Afghanistan pendant la « Guerre contre le terrorisme » après 2001. Elle a été fondée en 1997 par Erik Prince, un ancien membre de Navy SEAL, une unité spéciale d’élite de la marine.
Pingback:
Pingback: