La crise de l’Euro expliqué par le “Cercle de Frenkel”

Après l’entrée officielle de la Croatie dans l’UE cette année, différents pays frappent à la porte de l’Union. Quelles sont les implications – du point de vue politique, économique et social – que cela comporterait pour ces pays dits “périphériques”? L’exemple de la catastrophe grecque est en soi très parlant. Au sens plus large, toutes les tentatives de fixation du taux de change entre pays à données économiques différentes ont conduit à un abîme socio-économique. Le cercle de Frenkel, ici expliqué par l’économiste italien Alberto Bagnai, décrit les 7 étapes qui se produisent inéluctablement chaque fois qu’un pays périphérique décide d’accrocher sa monnaie à une zone économiquement plus forte (comme l’Argentine avec le dollar ou la Grèce avec l’Euro).

 

 

C'est une donnée de fait: toutes les crises financières des trente dernières années ont été précédées par une tentative de fixation du change  entre un pays plus fort (le"centre")et un pays plus faible (la"périphérie") qui caractérise la première phase du cercle. Dans la seconde phase, l'avantage pour le centre est évident: il peut prêter de l'argent à la périphérie, en encaissant des intérêts généralement plus élevés que dans son propre pays, sans encourir les risques dus au change. Au cours de la troisième phase la périphérie aussi en tire, au début, des avantages: en devenant  "crédible", elle a accès au crédit étranger, à un coût relativement bon marché, qu'elle peut utiliser pour encourager son propre développement. Ce jeu donc pourrait se révéler positif, mais le problème est qu'il est toujours poussé trop loin.

Dans une quatrième phase, d'un côté les créditeurs du centre prêtent trop, de façon irresponsable, en sachant qu'à la fin quelqu'un devra payer (ou les débiteurs, ou les contribuables). De l'autre les débiteurs de la périphérie s'endettent trop, et n'utilisent pas toujours les capitaux empruntés pour des investissements productifs (infrastructures, recherche, etc…).Attention cependant: dans un système capitaliste, la charge de vérifier que le produit financé soit valide incombe au créditeur. Quand vous demandez un prêt, la banque évalue votre fonds de crédit non?…Les banques du centre pourtant évitent de le faire, et elles ont une raison bien claire. Cela vous semble-t-il logique que le centre finance la périphérie pour la rendre plus forte, c'est à dire pour avoir un concurrent dangereux de plus? Pas vraiment n'est-ce pas? La périphérie est financée afin que ses citoyens achètent les produits de ce centre, et pas pour qu'elles se dotent d'infrastructures efficaces, qui les placent  en concurrence avec ce centre.

En somme, la périphérie, en s'endettant, devient la locomotive du centre dont elle achète les biens. Voilà un autre avantage évident pour les capitalistes du centre, qui doublent leurs profits industriels de profits financiers. Mais les politiques et les capitalistes de la périphérie aussi en tirent quelque avantage. En utilisant le prétexte de la servitude extérieure, du "c'est l'Europe qui l'impose", ils réussissent à faire avaler à leurs propres citoyens des politiques de détricotage de leurs droits et de compression de leurs revenus, politiques qui sans cela ne seraient pas politiquement soutenables.

Ce jeu est basé sur le crédit facile qui a été concédé par le Nord. Un jour ou l'autre  se déclenche un évènement qui, en mettant  les débiteurs en difficulté, rend clair à tout le monde que les dettes accumulées sont insoutenables. C'est là la cinquième phase, qui voit les investisseurs étrangers s'épouvanter de cette situation, les financements extérieurs s'arrêter brusquement, et c'est ainsi qu'éclate la crise et que les bulles explosent. Une dévaluation serait alors nécessaire pour relancer l'économie, mais un taux de change fixe ne le permet pas.

Dans le cas de la zone Euro, la crise des subprimes, puis le scandale Lehman, ont mis en grande difficulté les banques allemandes, farcies de titres toxiques. L'état allemand en a sauvé quelques-unes, comme l'explique Adriana Cerretelli  sur le "Sole 24 ore", puis quand la situation est devenue insoutenable, il a commencé à lever le ton avec les pays de la zone Euro (ne pouvant faire de même avec les Etats Unis).



Notez bien que jusqu'ici on parle de dette privée: dans la phase préparatoire de la crise, l'économie périphérique tourne à plein régime, l'Etat encaisse des impôts, en conséquence la dette publique baisse, comme elle l'a fait en Irlande, en Espagne et en Italie (pour prendre ces trois exemples). Quand les marchés commencent à s'énerver, les gouvernements adoptent des réponses récessives (austérité) et la dette publique explose. On en est là désormais, dans la sixième phase du cycle. La septième ce sera, comme cela l'a toujours été le décrochage de la périphérie du centre, c'est à dire, dans le cas de la zone Euro, la dissolution de l'Euro.

L'Euro est insoutenable. Ceux qui parlent de le sauver avec "plus d'Europe" délirent. Dans tous les pays membres, de l'Italie à l'Allemagne et à la Hollande, on commence à mettre en discussion les mécanismes de transfert de revenu entre régions qui ont jusqu'ici garanti la cohésion territoriale.

Il me semble que personne ne comprend que nous devrions être dans une Union pour coopérer, et non pour se compétitionner. Tous pensent  que le contraire est inéluctable. Le comportement du gouvernement allemand, qui a exaspéré la dynamique centre/périphérie en Europe, a été critiqué pour ce motif par des organisations internationales comme l'Office International du Travail des Nations Unies, pour n'en citer qu'une).

Le problème du modèle mercantiliste allemand c'est qu'il  est de courte vue. Il n'y a aucun courage particulier à contenir les salaires, en déprimant la demande interne, afin de vendre plus à l'étranger. Cette stratégie est injuste et obtuse pour deux motifs. Le premier c'est que les entreprises allemandes sont devenues substantiellement plus compétitives parce que les travailleurs allemands n'ont pas bénéficié de leur plus grande productivité (et en fait en Allemagne l'inégalité entre les revenus a augmenté, comme nous le rappelle l'Economist, à tel point que le gouvernement a cherché à manipuler un récent rapport sur la pauvreté). Rappelons-nous toujours que ceux qui parlent d'une Allemagne "gagnante" oublient de nous rappeler qu'en Allemagne le nombre des "perdants" est en train d'augmenter, et ce mal commun n'est pas un demi bonheur, mais une source de préoccupation: rappelons-nous que le peuple allemand réagit avec une certaine véhémence aux crises économiques. Le second motif est que si tu veux grandir grâce à la demande des autres, tu perds aussi quand tu gagnes. Regardez ce qui est en train de se passer. En 2012 l'Allemagne a eu une croissance infime, environ la moitié de celle prévue en début d'année. Pourquoi?….Parce que si ta croissance est due seulement à la demande extérieure, en fait tu appauvris tes partenaires commerciaux, qui doivent s'endetter pour acheter tes produits. Quand ils explosent, tu te retrouves sans débouché alternatif et tu arrêtes de croître toi aussi, et c'est exactement ce qui arrive maintenant à l'Allemagne.

 

Traduit depuis l'italien par Jean Fantini pour Investig'Action

Source: scenarieconomici.it

 

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