L’île de Jeju, placée au sud ouest de la péninsule coréenne occupe une position stratégique exceptionnelle : à 500 km de Shanghai, à moins de 100 km des côtes de la Corée du sud péninsulaire comme de celles de la grande île japonaise de Ryükyü, placée à un carrefour des axes de transport maritime reliant la Chine, le Japon, les deux Corées voire la Russie (Vladivostok est à moins de 2000 km), elle est une plaque sensible de tous les conflits régionaux.
Jeju, une île stratégique dans l’encerclement de la Chine par les USA
Jeju est le nom d’une petite ile coréenne au Sud-ouest de la péninsule. Couvrant 1846 km2 elle est un peu plus grande que la Guadeloupe et compte 560000 habitants.
Ile volcanique dominée par le volcan (éteint) Hallasan qui, avec ses 1950m, est le point culminant de toute la Corée du Sud.
Sa géologie est exceptionnelle voir http://whc.unesco.org/fr/list/1264/
Dotée d’un climat subtropical agréable, d’une flore exceptionnellement riche ? elle bénéficie des classements les plus prestigieux : patrimoine mondial de l’UNESCO, réserve botanique naturelle remarquable…
Pour toutes ces raisons JEJU est devenue pour les coréens une destination touristique trés prisée et le lieu idéal des voyages de noces , elle est même présentée comme une des nouvelles 7 merveilles du monde.
Les commentaires de certains touristes étrangers ne sont pas tous aussi élogieux, la très réelle beauté de l’ile ayant débouché selon eux sur une exploitation touristique trop intense qui serait en train de la transformer en un véritable parc d’attractions.
Mais cette ile qui reste un lieu très remarquable, offrant aux visiteurs ses trésors géologiques, botaniques et ses paysages volcaniques rares est poursuivie par un autre destin : celui que lui assigne sa position géopolitique.
Placée au sud ouest de la péninsule coréenne elle occupe une position stratégique exceptionnelle : à 500 km de Shanghai, à moins de 100 km des côtes de la Corée du sud péninsulaire comme de celles de la grande ile japonaise de Ryükyü, placée à un carrefour des axes de transport maritime reliant la Chine, le Japon, les deux Corées voire la Russie (Vladivostok est à moins de 2000 km), elle est une plaque sensible de tous les conflits régionaux.
Après avoir servi de base aux mongols pour attaquer le Japon elle devient colonie japonaise quand l’empire de soleil levant s’empare de la Corée en 1910. Jeju est absorbée comme un avant poste de ses ambitions continentales vers la Chine et sa population (comme celle de toute la Corée) durement traitée par l’envahisseur. Certains émigrent vers le Japon, d’autres amorcent un mouvement de résistance contre le colonialisme japonais qui débouchera après 1945 sur un soutien au mouvement indépendantiste impulsé par les communistes coréens.
On sait que les Etats-Unis déterminés à ne pas laisser s’installer un nouveau régime socialiste sur la péninsule coréenne exporteront dans le pays une dictature militaire et un dictateur certes d’origine coréenne mais formé aux Etats-Unis et gardé en réserve pour les besoins de cette mauvaise cause : Syngman Rhee. Cette politique débouchera sur la guerre de Corée, sur la partition du pays et sur ce qui reste la dernière stigmate de la guerre froide : un pays et un peuple avec sa langue, son histoire, sa culture coupés en deux dans la situation précaire d’un simple armistice vieux de 60 ans.
Dans cette partition, Jeju est trop stratégique, trop proche du Japon, trop méridionale pour pouvoir échapper à l’emprise des Etats-Unis et de leur dictateur de service. Or les habitants de Jeju sont très majoritairement favorables à la politique d’indépendance nationale défendue par les communistes coréens dans laquelle ils voient comme beaucoup de coréens une façon d’échapper à une prolongation de l’invasion japonaise sous domination étasunienne.
Les Etats-Unis décident donc – Mac Arthur est de facto gouverneur du japon jusqu’en 1951 et Syngman Rhee est à ses ordres – de réduire l’opposition des habitants de Jeju à la partition du pays et au régime dictatorial de Syngman Rhee. Cette opposition se manifeste par une forte implantation dans l’ile du parti du travail sud coréen, parti frère du parti du travail de Corée du Nord dirigé par Kim Il Sung.
Il n’y aura pas de quartier et le « massacre de Jeju » est passé dans l’histoire pour un des épisodes les plus noirs de ce qui n’est pas encore la guerre déclarée de Corée mais y conduira inexorablement.
En 1948 donc la révolte des habitants de Jeju est matée par l’armée sud-coréenne. L’armée des Etats-Unis est peu représentée sur l’ile elle-même ce qui permettra à la propagande US de jouer l’innocence alors que le plan de bataille est évidemment arrêté par l’Etat-Major US qui en suit simplement l’exécution. La répression dure plus d’un an et fait, chiffre le plus couramment admis, 60 000 victimes , soit prés de 20% de la population de l’époque. L’expression « massacre de Jeju » est donc largement justifiée et a laissé un souvenir très douloureux aux survivants comme à leurs descendants.
Or les Etats-Unis veulent à nouveau remettre lourdement le pied sur Jeju toujours sous le v couvert de la bannière sud-coréenne. Non contents d’entretenir en permanence et depuis 60 ans 30 000 hommes sur le sol de la Corée du Sud disposant de l’arme nucléaire et appuyés par une puissante escadre croisant aux alentours ils veulent désormais clairement se rapprocher des côtes chinoises. Telle est en effet la nouvelle politique annoncée par Obama celle du « pivot asiatique » consistant à encercler la République populaire chinoise et subsidiairement la Russie par la côte Pacifique.
Jeju est donc appelée à accueillir un important échelon du dispositif de missiles étasunien AEGIS.
AEGIS est un système maritime de missiles anti-missiles balistiques, c’est-à-dire qu’après la détection d’un missile balistique ennemi, les missiles de la riposte sont tirés depuis des navires en mer qui peuvent être soit des croiseurs soit des destroyers. Il nécessite une coordination étroite et extrêmement rapide des moyens de détection (satellites et radars) avec les navires eux-mêmes. La Corée du Sud, après le Japon, prend sa place dans ce système, ce qui permet aux Etats-Unis de poursuivre leur politique aux frais des pays alliés car mis à part les navires lanceurs, le reste du système (missiles, satellites, radars…) resterait aux mains de l’armée US.
La Russie, confrontée à la mise en place chez ses voisins, Pologne et République tchèque, d’un système de missiles anti-missiles balistiques basé lui à terre a sérieusement mis en doute le caractère défensif d’un tel système observant que, présenté comme destiné à une riposte il peut effectuer aussi une première frappe.
La Corée du Sud possède déjà trois destroyers (la marine coréenne a récemment demandé au gouvernement d’en construire trois autres à 3 milliards de $ l’unité). aptes à être intégrés au système AEGIS. Fabriqués en partenariat par Lockheed Martin et Hyundai mais ils ne détiennent pas les missiles correspondants. Il est certain que la mise à bord des missiles serait perçue par la Chine comme un acte menaçant et donc le gouvernement coréen hésite avant de franchir le pas
Cette inquiétude chinoise ne peut qu’être renforcée par le projet en cours de développement d’installation de la base coréenne d’AEGIS sur l’ile de Jeju.
Un nouveau port est déjà en construction sur la côte Sud de l’ile pour les accueillir les navires AEGIS. Rien ne dit que cette base coréenne ne pourrait pas être utilisée aussi par les navires US du système AEGIS très nombreux dans la région.
Depuis que ce projet a été connu des habitants de Jeju, ils se sont mobilisés sans relâche pour s’y opposer, d’abord via les élus locaux et les tribunaux, ensuite par une série ininterrompue de manifestations faisant appel à toutes les techniques de la non-violence et qui ont le soutien de la grande majorité de la population. Mais il reste que pour les bellicistes étasuniens Jeju présente l’immense avantage d’être à moins de 500 km de la côte chinoise alors que l’ile est la région sud coréenne la plus éloignée de la République Démocratique et populaire de Corée du Nord, épouvantail toujours agité pour justifier officiellement la politique militaire de la Corée du Sud et des Etats-Unis dans la région.
Dans leur lutte les habitants de Jeju ont de nombreux soutiens militants dans la région entre autres, le soutien des japonais de l’ile d’Okinawa où la forte présence de l’US Navy est régulièrement contestée, des groupes pacifistes d’Hawaï.
Cette lutte est peu connue en France et en Europe mais elle montre que les mauvais souvenirs des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki et de la très meurtrière guerre de Corée (de l’ordre de 1,5 millions de victimes) demeurent vivaces.
Source: comaguer
Titre originel : Jeju. Une pure contradiction géopolitique