Paul Delmotte : “Le côté unilatéral des médias est dangereux pour la démocratie”

Nous avons interviewé Paul Delmotte, professeur retraité de politique internationale et d’histoire à l’Ihecs. Pour aborder le traitement médiatique de la guerre en Ukraine. Il y dénonce le manque de nuances, de vérifications et le parti pris, dans la logique de l’OTAN. 

Tout d’abord, concernant la Finlande, il y a plusieurs similitudes dans l’histoire entre ce qui se passe maintenant et ce qui s’est passé depuis plusieurs décennies avec la Russie. Est-ce que vous pouvez nous donner quelques éléments intéressants pour les personnes qui nous lisent?

Oui, une première chose – je ne veux pas dire « qui saute aux yeux » parce qu’on n’est malheureusement pas très tourné vers la géopolitique en général -, surtout dans nos médias, c’est qu’une dimension commune à ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine et ce qui s’est passé en Finlande, c’est le fait que ces deux pays sont tout à fait proches, ou verrouillent même l’accès aux mers de la Russie, qu’elle soit impériale, soviétique ou la Russie de Poutine. En l’occurrence la mer Noire pour l’Ukraine et la mer Baltique pour la Finlande. La Finlande, justement, est à quelques kilomètres de Saint-Pétersbourg. Si elle entre dans l’OTAN, avec la Suède, ça veut dire que la mer Baltique deviendra un lac otanien. Ça c’est clair. De l’autre côté, la mer Noire a toujours été, et la formule est connue dans l’histoire,  l’accès aux mers chaudes de la Russie. C’est par là que les Russes ont pu, après avoir repoussé les Tatars, passer en mer Noire puis en Méditerranée. C’est vital pour eux depuis Catherine la Grande, au 18ᵉ siècle. Depuis la chute du Mur, on peut remarquer que les pays riverains de la mer Noire sont entrés dans l’OTAN. Avant ça, on n’avait que la Turquie, membre de l’OTAN depuis 52. Aujourd’hui, la Roumanie, la Bulgarie sont entrées dans l’OTAN. Donc ça y est, on dira ce qu’on veut, c’est un étranglement de la Russie.

Et il y avait un enjeu très important aussi lors de la deuxième guerre mondiale. J’ai vu ça avec Annie Lacroix-Riz entre la Finlande et la Russie par rapport à la proximité, justement. Est-ce que  vous pouvez nous en parler un peu, des bases des bases militaires qui étaient utilisées par l’Allemagne nazie si je ne me trompe pas.

Staline, même s’il avait conclu un accord – pas un « accord », le pacte germano-soviétique, c’est à dire un pacte de non-agression mutuelle avec l’Allemagne nazie se méfiait de l’Allemagne et de ses ambitions. Ainsi, l’Allemagne essayait de faire de la Finlande une partie de sa zone d’influence et donc les Soviétiques ont demandé, en cas de guerre avec l’Allemagne, que la Finlande lui permette d’utiliser certaines bases. Ce que les Finlandais ont refusé … les Russes ont alors attaqué la Finlande, c’est ce qu’on a appelé la « Guerre d’hiver », en 39, qui a duré quelques mois. Là, on a quelque chose qui ressemble très fort à l’« opération spéciale » actuelle de Poutine… Et bon, les Finlandais ont perdu, mais ils sont devenus un peu les héros de l’Occident parce qu’ils résistaient à l’épouvantail soviétique à l’époque. Ça ressemble très fort à ce qui se passe maintenant. Je parle de la vision que les gens ont. On soulignait très fort l’héroïsme des Finlandais face à l’ogre russe, c’est clair.

Et les Finlandais qui soutenaient Hitler ?

Cette « Guerre d’hiver », les Finlandais l’ont perdue, et ils ont dû céder des territoires. Ça explique pourquoi ils se sont alliés à l’Allemagne pendant la deuxième Guerre mondiale. Encore qu’ils n’ont jamais eu, par exemple, le comportement des Allemands vis à vis des Juifs. Ça, il faut le rappeler. Mais bon, les Finlandais étaient dans le camp de l’Allemagne nazie jusqu’en 1944.

Ils ne l’étaient pas même déjà avant ?

Il y avait avant, comme on dirait aujourd’hui, un lobby allemand. C’est clair, parce que bon, la Finlande, historiquement, a toujours été coincée entre la Russie d’un côté et de l’autre, la Suède et ce qui allait devenir l’Allemagne. Ça, c’est depuis le Moyen Âge. La Finlande est restée suédoise jusqu’en 1809. Et puis elle est passée à la Russie. Et donc il y avait, à part les Suédois qui sont devenus neutres en 1814, la montée de l’Allemagne. Les Allemands voulaient justement faire de la Finlande au minimum une zone d’influence. Ils ont même voulu faire de la Finlande une monarchie germanique puisqu’il y a eu à un moment un prince, un cousin de Guillaume II, qui a été pressenti pour devenir roi de Finlande. Les Finlandais n’ont pas voulu. C’est à choses-là qu’il faut réfléchir quand on parle de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN. La Finlande est plus importante aux yeux de l’OTAN, à mon avis, que la Suède, parce que la Finlande a une armée beaucoup plus développée et plus aguerrie que la Suède. Et elle a une frontière avec la Russie, une très longue frontière : 1340 km !
Çe qui fait encore que l’OTAN va devenir frontalier de la Russie, encore plus qu’avant. Or, on sait que c’est quelque chose qui gêne très fort les Russes, peu importe qui est au pouvoir en Russie. Le fait d’avoir des frontières directes avec l’OTAN, c’est vraiment quelque chose de dangereux pour eux.

C’est un peu compréhensible comme on entend parfois la comparaison avec la crise des missiles à Cuba.

En 1962, oui, la crise des missiles. Et ben oui, c’est toujours la même chose. C’est vrai que Kroutchev a fait installer des missiles à Cuba d’où il pouvait toucher les Etats-Unis très facilement. C’était inadmissible pour les Américains et ça on peut le comprendre. On a alors risqué la guerre dit-on, mais Khrouchtchev a fait marche arrière, ce qui à mon avis lui a coûté sa place un peu plus tard.

Je vais utiliser un mot que vous avez employé pour faire la transition avec le traitement médiatique. Vous avez parlé de la neutralité de la Finlande. Ce matin, RFI parlait aussi de ce statut de neutralité de la Finlande qui est fini désormais. Est ce qu’on peut dire que les médias sont en guerre avec l’OTAN, aux côtés très souvent de leur gouvernement ?

Tu parles de la Finlande ou de l’Ukraine ?

Les médias en général. Donc sur la Finlande ou sur l’Ukraine depuis des mois.

Je trouve qu’il y a une évolution. On en reparlera bien sûr. Mais il y a une évolution dans les médias qui non seulement fait qu’on est absolument partial. Il y a, en effet, une partialité indiscutable et je pense n’avoir jamais vu jusqu’à présent un tel niveau de partialité. Il y a aussi un côté va-t-en-guerre auquel on est confronté en tant que public. Il y a une fascination comme ça, qui est très, très dangereux je pense. Je viens de lire qu’il y a deux mille journalistes qui sont allés en Ukraine depuis le début du conflit. Deux mille, c’est beaucoup.

Deux mille par rapport à l’Europe ?

Des journalistes européens. Oui, enfin peut-être d’autres, mais deux mille journalistes sont allés sur le terrain en Ukraine depuis le début du conflit, donc depuis fin février.

Oui, et on entend des fois aussi que pour qu’une actualité soit bien traitée, il faut être sur le terrain. Et pourtant on voit que c’est quand même le même discours.

Ils sont sur le terrain, mais sur un et même terrain. Combien de fois a-t-on vu des journalistes travailler du côté des, comme on dit, « pro-russes », du côté des républiques autoproclamées et du côté russe ? C’est très rare. Il y a un média, Donbass Insider, qui est le seul où j’ai vu des reportages faits de l’autre côté.

Ça, il faut chercher, et ce média n’est pas vraiment un média autorisé…

Non autorisé ? je ne sais pas. Enfin, il s’oppose aux autres. Donc je trouve qu’il y a un niveau de partialité jamais atteint jusqu’à présent dans nos médias et il y a là un côté très inquiétant, parce que ce côté unilatéral des médias, c’est vraiment quelque chose de dangereux pour la démocratie. Disons-le puisqu’on se gargarise toujours avec « la démocratie »…
C’est dangereux pour la démocratie, y compris le côté va-t-en-guerre de ces politiciens qui jouent les matamores. Je pense à monsieur Charles Michel par exemple…

Pouvez-vous illustrer un peu. Quand vous dites Charles Michel…

On l’entend toujours prendre les positions les plus radicales Vous avez aussi monsieur De Croo qui s’affiche avec un petit ruban bleu et jaune au revers de son veston et qui montre donc vraiment qu’il est un caniche fidèle de l’OTAN. Et côté médias aussi, il y a vraiment une sorte d’embarquement dans le camp de l’OTAN.

Oui, et on voit aussi quand on fait un peu une revue de presse, des médias francophones ou belges. Souvent les experts sont des anciens de l’OTAN ou des gens liés à l’OTAN.

Je n’ai pas fait la recherche, mais c’est fort probable. Il y a beaucoup de généraux qui interviennent sur les chaînes françaises, d’anciens généraux de l’OTAN donc…

Comme si c’était la voix de la raison, automatiquement. Mais tu parles de la démocratie, justement, comme il y avait des élections présidentielles en France, j’ai l’impression que ça a aidé un peu Macron comme on sait, d’éviter une réelle campagne sur les enjeux de l’élection. Je me rappelle aussi le Mali et François Hollande, les médias qui disaient « il a enfin sa stature présidentielle ». Ça plait beaucoup pour les grands médias, les « grands éditorialistes », cette soi-disant carrure que se donnent les présidents. Mais en même temps, le traitement médiatique n’est pas très différent en Belgique. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça ?

Je n’oserais pas me prononcer sur le traitement en France, mais en Belgique je ne vois pas de différence vitale ou décisive. En tout cas, bon, la première réserve que je vais faire, c’est que moi, je n’ai pas une vision générale de toute les couvertures médiatiques en Occident. Les couvertures dont je suis familier, ce sont celles du JT de la RTBF, de France 2, que je regarde le soir devant la télé, ou alors les articles du Monde que je lis régulièrement. Plus toute une série d’articles que je tire de multiples autres sources que je reçois. Notamment d’un petit groupe d’experts qui planchent sur la question et qui me communiquent leurs échanges.
Je ne prétends donc pas avoir une vision générale et maitrisée de l’ensemble des couvertures médiatiques. C’est probablement différent ailleurs. C’est certainement différent déjà au Sud, dans les pays du Sud, ça c’est clair. Moi, je me base sur ce que, pour être très court, j’entends au JT le soir…

Et là, vous voyez des exemples, des anecdotes, de choses qui ont été dites, qui vous ont frappé, qui vous ont choqué ?

Justement, hier ou avant hier, ça m’a vraiment surpris et ça prouve la méconnaissance des journalistes. Je ne veux pas tous les mettre dans un même sac, mais je constate la méconnaissance des journalistes en matière internationale et par rapport à l’Ukraine. Vous aviez une journaliste de France 2, en l’occurrence, qui se montrait toute étonnée parce qu’elle avait rencontré des gens en Ukraine, dans le Donbass, qui se disaient qu’ils attendaient les Russes avec impatience et qu’ils étaient pour les Russes et que c’était mieux avec les Russes etc. Tout le monde sait qu’il y a une partie de l’opinion ukrainienne qui est pro-russe. Elle s’est réduite avec l’offensive de Poutine, ça c’est clair. Ça, c’est encore une gaffe de Poutine ! Mais bon, c’est clair qu’il y a des gens qui se sentent plus proche de la Russie que du régime de Kiev.

Sur un élément peut être un peu fondamental, qui est de dire que la guerre, ou en tout cas ce qui a amené à la guerre, a commencé en 2014. Est-ce que vous pensez que les médias en ont assez parlé ?

Je pense qu’ils n’en n’ont pas ou quasiment pas parlé, à part une ou deux émissions qui ont fait le lien dont je me souviens. Puisqu’on parle des journalistes et de la couverture médiatique, j’ai donné cours à l’IHECS pendant plusieurs années et je me souviens qu’un de mes derniers cours, en 2014, portait sur l’Ukraine et Maïdan justement. J’avais exposé ce que le géostratège américain Brzezinski, qui n’était pas vraiment un fan de Poutine, disait de l’Ukraine. Et qu’est-ce que disait Brzezinski ? Il rangeait ce pays parmi ce qu’il appelle les « pivots géopolitiques », c’est à dire des pays qui n’ont pas tellement d’importance de par eux-mêmes, mais qui ont une importance du fait de leur localisation. Et il comptait comme pivot géopolitique l’Ukraine bien sûr, mais aussi l’Azerbaïdjan. Alors quand on regarde le conflit qui a eu lieu entre Arméniens et Azéris il n’y a pas longtemps, c’est intéressant.

Or bon, l’Ukraine, « pivot géopolitique ». Pourquoi est-ce si important ? Parce que l’Ukraine contrôlait quasiment l’entièreté de la façade de la rive nord de la mer Noire, encore une fois. Et si l’Ukraine était arrachée à la Russie ou à l’influence russe, comme le veut l’OTAN, ça voulait dire que la Russie était repoussée vers l’Est et devenait forcément une puissance asiatique et une puissance secondaire.
Donc, cela explique le côté vital qu’a l’Ukraine aux yeux des Russes. Et ça explique – je ne dis pas justifie – pourquoi Vladimir Poutine s’est emparé de la Crimée avec, précisons-le quand même, l’approbation de la majorité des habitants de la Crimée. Donc, c’est très important ce que nous disait Brzezinski. Ça faisait aussi quelque chose comme 52 millions de ressortissants en moins pour la Russie… Or Brzezinski, qui, je l’ai dit, était loin d’être un poutinien, voulait simplement donner des « recettes » pour maintenir l’hégémonie américaine. Et il disait il fallait mettre la main sur l’Ukraine pour affaiblir la Russie. On y est !

Ça, ça date de quand ?

Ça date du début des années 90. Dans « le Grand échiquier ». Or, je n’ai pas entendu parler de Brzezinski une seule fois dans un JT. Pas une seule fois ! Or ; je trouve que c’est quelque chose de fondamental pour comprendre ce qui se passe maintenant.

Et même avant 2014, l’Ukraine était déjà convoitée…

Oui 2004 et puis 2014 évidemment, ce qu’on a appelé la « révolution européenne » de Maïdan dont tout le monde a oublié qu’elle avait des aspects très, très louches. Par exemple, des dirigeants baltes et européens ont dit qu’on avait retrouvé les mêmes balles dans les corps des manifestants des deux côtés, ceux qui étaient pour le président soi-disant pro russe et les opposants. On a trouvé les mêmes balles dans les corps des deux côtés. C’est pour ça que beaucoup de gens considèrent que Maïdan a été un coup d’Etat, mené e. a. avec les groupes néo-nazis ukrainiens. Et donc, à partir de Maïdan, ça a été de plus en plus tendu. Aujourd’hui les Ukrainiens résistent à l’invasion russe et l’on peut trouver que c’est admirable. Mais, depuis 2014, les Ukrainiens ont été abreuvés d’armes modernes par les Etats Unis et  cela explique en partie aussi leurs capacités de résistance. Sans ça, l’Ukraine serait tombée tout de suite, même si l’armée russe est en très mauvais état, aussi. On l’a vu avec l’envasement des chars russes dans la boue près de Kharkiv.
Donc tout ça, ce sont des choses que l’on dit peu. Je trouve qu’il n’y a aucune vision informative de la part de nos médias. On n’essaye pas de nous faire comprendre ce qui se passe, on essaye de nous ranger dans un camp et de nous émouvoir. L’émotion, c’est le grand mot. C’est sûr, on essaye de nous émouvoir avec des images sanguinolentes, avec des situations lacrymogènes, etc. Je ne dis pas qu’il ne faut pas montrer ce qui se passe, mais là, c’est tellement flagrant que je crois que les gens commencent à s’en rendre compte.

Et ça n’améliore en rien la situation politique

Ah non, ça tend la situation. Ça risque de prolonger la guerre. Parce que l’entourage de Monsieur Zelensky se félicite de cette situation puisqu’ils se sentent tout permis.
Quand je dis après 2014, j’ai parlé de l’approvisionnement massif d’armes modernes à l’Ukraine. Il y a aussi le fait qu’il y a eu les offensives sanglantes de l’armée ukrainienne contre le Donbass et contre les régions qu’ont dit prorusses et qui voulaient s’autonomiser. Parce que justement, il y a des clivages linguistiques importants en Ukraine et, en plus il y avait encore aussi une nostalgie de l’URSS puisque l’on voit parfois passer des drapeaux rouges dans les convois des séparatistes et des choses pareilles.

Donc, il y a eu des offensives très forte, une intolérance radicale, des Ukrainiens contre le Donbass. On a supprimé le russe comme deuxième langue. C’est clair que ça n’a fait que tendre les choses. Cela à partir de 2014 et si j’en crois ce que j’ai lu, ça n’a été pas – ou quasiment pas été dit dans les médias. Justement, un peu avant l’offensive de Poutine, il semble qu’il avait été décidé à Kiev de lancer une grande offensive contre le Donbass.

Ça, je l’ai lu. Bien sûr, on ne sait jamais si ce qu’on a lu est vrai. Il y a une guerre de l’information, c’est clair. Et je suis bien conscient qu’on ne sait pas si telle chose est vraie. L’un dit une chose qui est immédiatement contredite par l’autre dès le lendemain. Je ne peux pas savoir, par exemple, avec certitude qui a tué à Boutcha. Il y a eu des choses très bizarres dans le compte rendu de Boutcha, des accusations réciproques assez graves. Tous les arguments de dénégation des Russes ont soi-disant été contredits par les services de l’OTAN et par les services d’information des Ukrainiens. Mais il y a une chose, un argument qui n’a, à mon sens, jamais contré. C’est le fait que le bourgmestre de Boutcha, au moment où l’armée russe avait quitté l’agglomération, avait fait un discours absolument dithyrambique, ravi que les Russes étaient partis et que la paix allait revenir et qu’on devait être fier de cette journée etc. Mais, à ce moment, il n’a pas dit un mot sur ces morts qu’on a retrouvés dans sa ville. Il avait fumé, le bourgmestre, ou quoi ? Je ne sais pas. Donc ça, c’est un argument qu’on n’a pas traité, avec tous les autres, comme quoi les « morts » avaient bougé, mais que c’était une illusion d’optique due à un reflet dans un rétroviseur… enfin, vous avez tous vu tout ça. Tout ça, enfin bref, pour dire que je ne prétends pas savoir qui a tué à Boutcha. Les Russes ou les Ukrainiens radicaux du bataillon Azov ? Peut-être que tout le monde a tué, comme tout le monde dans une guerre. Les crimes de guerre, ils sont partout. Justement, qui parle des crimes de guerre de l’armée ukrainienne ? Quand il y a des crimes de guerre dans l’affaire ukrainienne, on ne parle que de ceux des Russes. C’est aussi quelque chose qu’on pourrait reprocher à nos médias.

Comment expliquer cette évolution ? C’est pire ? Cette partialité est encore plus forte qu’avant, plus forte que l’Irak, la Libye ? Comment expliquer cette évolution ?

En Irak, le traitement vis-à-vis de Saddam Hussein, c’était pas triste…
Bon, je n’ai plus une vision aussi précise de ces événements. Ils remontent quand même à il y a longtemps. Mais bon, d’abord, c’est vrai que l’image de Poutine n’est pas très positive dans nos contrées, notamment grâce à nos médias, Il y a depuis très longtemps une dénonciation des actions de Poutine, notamment en matière de liberté de la presse, etc. Donc, je ne me prononce pas là-dessus. Ce que je veux dire, c’est qu’il y avait au départ une image absolument négative de Poutine qui joue très fort. Et puis je crois qu’il y a tous les souvenirs plus ou moins conscients de la guerre froide, qui jouent encore.

Avec du maccarthysme?

C’est vrai qu’il y a un petit côté maccarthyste dans la façon dont les gens qui osent poser des questions, qui font des remarques par rapport à la vision dominante, sont traités. Vous faites une remarque, vous êtes immédiatement taxé de « pro-Poutine », ce qui est grotesque. Donc ça, ça a un côté maccarthyste, effectivement.
La guerre froide, je suis né au tout début, c’est toute mon enfance et mon adolescence qui se sont déroulées pendant la guerre froide, donc je m’en souviens quand même, comment était l’ambiance.

Et donc des souvenirs pareils, ça joue. On ne peut pas être pro-russe en étant ici. Et quand vous avez un conflit – et ça, c’est encore une des conneries qu’on peut attribuer à Monsieur Poutine -, c’est quand vous avez un conflit, le premier qui cogne, c’est lui le le principal coupable. Il a frappé le premier ! C’est comme dans la cour de récré et personne ne se demande ce qui s’est passé avant, pourquoi il a frappé ? Donc ça, c’est aussi un aspect qui fait que l’on nous montre les choses de cette manière. L’on a présenté l’Ukraine comme un petit David face à un énorme Goliath, ce qui est à relativiser, comme je viens de le dire. Et voilà, je pense que tout ça explique pourquoi l’opinion a été complètement enrôlée dans un consensus pro-OTAN.

Une dernière question, vous envoyez parfois des courriers ou des articles pour faire quelques remarques sur des fautes déontologiques de la presse ou des médias belges, est-ce que vous avez des réponses ?

J’ai envoyé un petit courrier sur une des têtes d’affiche de la RTBF, Sacha Daoust, qui témoignait justement de ce côté maccarthyste dont tu viens de parler et qui s’en prenait violemment, même il exprimait « du dégoût » face aux gens qui avaient une vision différente de la sienne par rapport au conflit. Là, je me suis fendu d’un petit papier. Il y a aussi quelque chose qui était en creux, c’était tout ce ramdam qu’on a eu sur les réfugiés ukrainiens. Et Monsieur Sammy Mahdi, aujourd’hui président du CD&V, qui a traité ces réfugiés ukrainiens de façon tout à fait différente des réfugiés du Sud ou du Moyen-Orient. Ça m’a paru scandaleux, comme à beaucoup de gens issus des pays du Sud. C’est quelque chose qui a vraiment choqué. La différence de traitement entre les réfugiés ukrainiens, les « blancs », et les « bronzés ».

Vous avez titré ça dans un article…

Oui, j’avais titré « Une guerre de Blancs ». On pense ce qu’on veut de ce titre, mais ça disait ce que ça voulait dire. Et bon, je pense que c’est quelque chose qui a choqué beaucoup de gens, cette histoire, ces deux poids deux mesures dans le traitement des réfugiés. J’ai eu des réactions de gens de l’émigration. C’est aussi ultra-révélateur de nos pays, de l’inconscient de nos concitoyens.

Ce qui oblige à relativiser aussi, c’est quand on nous parle de « communauté internationale ».

Tout d’abord, ce terme de « communauté internationale », j’en ai aussi parlé à mes cours, je me souviens. Le terme de « communauté internationale » est une formule qui vient directement, comme l’ont démontré les auteurs, du soft power américain.

Vous pouvez expliquer ?

Ça renvoie au Far West, à la communauté. La diligence a été attaquée et tous les gens du village, tous les hommes du village, sautent sur leur cheval pour poursuivre les bandits. Ils serrent tous les rangs contre ces bandits. C’est ça, les origines américaines, je veux dire, de l’image de la communauté internationale. Quand, à l’ONU, nous avions ce président iranien très, très décrié…

Ahmadinejad ?

Oui. Quand Ahmadinejad se présentait à la tribune de l’ONU, vous aviez tous les représentants occidentaux qui quittaient la salle. Tous les autres restaient. C’est quoi, la communauté internationale ? Donc c’est une formule absolument polémique et une formule qui n’est pas neutre. Et évidemment, tous nos journalistes l’ont reprise… Il n’y a plus moyen de parler, d’avoir un article, une émission qui ne parle pas de la « communauté internationale » ! Or, si l’on regarde de près, les relations entre Etats sont tout, sauf celles d’une « communauté unie : elles ne sont que rivalités d’intérêts ! C’est aussi quelque chose d’important, ça. Le soft power, c’est ça. C’est qu’on reprend des arguments qui viennent d’un pays et qui sont orientés.

Source: Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.