“Il faut rétablir la rationnalité dans notre lecture des événements” – Préface du livre “Ukraine: La guerre des images”

Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, beaucoup nous rappellent que la vérité est la première victime de la guerre, mais très peu en tirent les conséquences. De fait, comme dans tous les conflits, chaque belligérant tente de mettre en évidence son point de vue et nous présente son propre éclairage des événements. C’est ce que l’on appelle la propagande.

Or, les conflits ne peuvent être analysés selon une simple grille binaire « noir/blanc » et la réalité des choses se situe toujours dans les nuances de gris. Qu’on le veuille ou non, la compréhension de cette réalité est incontournable pour trouver la solution au conflit. Elle implique un attachement aux faits, une grande discipline intellectuelle, la force de résister aux préjugés et l’intégrité pour atténuer les exagérations et omissions de part et d’autre.  

Durant la guerre froide, l’information vivait selon un principe darwinien préconisant que la « bonne information » finissait par s’imposer d’elle-même. Nous avons vécu près de 50 ans de guerre froide où la diversité de l’information nous a permis de vaincre la désinformation et la propagande sans « fact-checkers ». Les générations précédentes étaient-elles donc plus intelligentes ?

Aujourd’hui, la situation est radicalement différente. La diversité de l’information qui existait il y a encore quarante ans a totalement disparu. Nos médias présentent invariablement les mêmes titres, les mêmes articles et les mêmes idées.

Le conflit en Ukraine a exacerbé cette tendance. Il en résulte que l’image que nous en avons est strictement homogène, partiale et profondément polarisée. Exclusivement basée sur la propagande de l’un des acteurs, sa nature est extrêmement fragile. C’est pourquoi, il faut imposer le discours officiel. À cette fin, des mécanismes de censure sont mis en place, externalisés auprès des réseaux sociaux, des médias traditionnels, voire d’officines financées par des gouvernements étrangers.

L’information qui nous est proposée est si épurée et si aseptisée que les voix discordantes sont vues à travers le prisme simpliste de « pro-Russie » ou « pro-Ukraine », et sont systématiquement stigmatisées et qualifiées de « conspirationnistes » (sans savoir réellement ce que cela veut dire) et ostracisées lorsqu’elles ne sont pas condamnées pénalement. Comme me confiait récemment un journaliste français, « notre rédaction ne nous permet pas de dire la vérité car cela signifierait que nous sommes pro-Poutine ».

Certains ne partageront pas toutes les analyses de cet ouvrage. C’est normal et c’est mon cas. Mais là n’est pas la question. L’essentiel, ici, est moins le contenu que la démarche. Le mérite indiscutable de Michel Collon est d’apporter un autre éclairage sur les événements, en s’appuyant sur les faits qui ont été délibérément écartés par le narratif officiel. Il renoue ainsi avec une des valeurs fondamentales de la démocratie, que nos médias traditionnels ne pratiquent plus : s’informer, pour comprendre et juger. Car la paix ne se construit pas autour de « narratifs », mais autour des faits ; et, en dépit d’une rhétorique qui s’est généralisée depuis quelques années, ce n’est pas parce que ces faits ne sont pas cités par nos médias qu’ils n’existent pas.

Ceux qui défendent la démocratie ne sont pas ceux qui tentent d’imposer un discours au prétexte qu’un autre serait anti-démocratique, mais ceux qui proposent un discours libre. L’opposé de l’obligation n’est pas l’interdiction, c’est le choix.

La diversité qui fait la richesse d’un écosystème s’applique tout autant à l’information. Notre capacité à résoudre les problèmes découlera de notre capacité à intégrer tous les facteurs et toutes les perceptions dans l’équation. Il ne s’agit donc pas de créer un contre-narratif, mais de rééquilibrer notre lecture des problèmes afin d’y trouver des solutions durables.

Ce que nous appelons nos « valeurs » ne sont devenues qu’un alibi pour justifier nos propres entorses au droit international. Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ! Notre politique est plus guidée par la haine de la Russie que par l’amour de l’Ukraine et nous n’avons pas plus de compassion pour les Ukrainiens russophones et ukrainophones, que nous n’en n’avons eu pour les Afghans, les Irakiens, les Libyens, les Syriens ou les Maliens.

Au fil des semaines, le narratif occidental sur le conflit s’effrite inexorablement, démontrant que l’on avait créé une réalité fictive qui nous a servi de base de décision. Or, on perçoit de moins en moins la stratégie qui permettrait à l’Ukraine de vaincre la Russie, voire de revenir à un statu quo ante. La guerre qui se mène aujourd’hui se fait au détriment de l’Ukraine et de sa population. Le narratif occidental est devenu le principal obstacle à un processus de paix et il est essentiel de rétablir de la rationalité dans notre lecture des événements.

Il ne s’agit donc pas ici d’attribuer des « bons » ou des « mauvais » points à l’un ou l’autre des belligérants, mais de rétablir les éléments pertinents pour un jugement rationnel. Pour comprendre l’essence de cet ouvrage, il faut partir de l’adage « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire ». Une formule souvent citée, mais bien peu suivie…

 

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