Palestinians inspect the damage amid the rubble of a building where two hostages were reportedly held before being rescued during an operation by Israeli security forcess in Rafah, on the southern Gaza Strip on February 12, 2024, amid ongoing battles between Israel and the militant group Hamas. - Israel announced on February 12 the rescue of two hostages in the southern Gaza city of Rafah, where the Hamas-run health ministry said "around 100" Palestinians including children were killed in heavy overnight air strikes. (Photo by SAID KHATIB / AFP)AFP

Trois questions à Hasni Abidi sur le risque d’une offensive contre Rafah

Face à la double menace d'un assaut israélien sur la ville de Rafah et l'escalade militaire régionale, toujours en phase ascensionnelle : trois questions à Hasni Abidi, directeur du CERMAM et auteur de plusieurs livres sur le Moyen-Orient.


Comment analysez-vous la haute probabilité d’une attaque terrestre de Rafah par l’armée israélienne, tandis que cette ville du sud de Gaza concentre plus d’un 1,3 million de réfugiés palestiniens plongés dans le dénuement le plus total ? 

C’est une décision lourde de conséquences qui risque d’emporter  les minces espoirs de la paix dans la région. C’est un acte de guerre qui s’assied sur les bases élémentaires du droit humanitaire et qui défie la communauté internationale y compris  les plus proches alliés d’Israël.

Une offensive terrestre à Rafah est synonyme d’un permis de tuer sans distinction. Vider la ville de sa population et rendre la totalité du territoire de la bande de Gaza inhabitable.

Ce projet intervient alors que le chef du renseignement israélien négociait, à Paris, avec ses homologues américains et qataris un document de travail sur une trêve humanitaire de longue durée et une libération de tous les otages. En réalité, le cabinet israélien avait déjà pris sa décision d’envahir Gaza et même Rafah depuis longtemps.

Washington et les États européens portent une grande responsabilité en martelant le droit d’Israël à se défendre sans se soucier de l’usage excessif de la force et sans se soucier du sort des millions de civils. 


L’Égypte a haussé le ton, se disant prête « militairement » à empêcher tout Palestinien de Gaza d’entrer sur son territoire… Ce positionnement égyptien, soudain  « critique » envers Israël, peut-il avoir une influence sur les autres pays arabes de la région ?  

L’Égypte est un allié de taille pour Israël. Elle a fait le choix stratégique de préserver les accords de paix de Camp-David signés en 1979, même en cas d’une incursion de l’armée israélienne à Rafah. Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, ne cesse de rassurer son voisin israélien sur la pertinence des accords de paix, même en cas d’une invasion israélienne à Rafah. Selon lui, « l’accord de paix entre l’Égypte et Israël est en vigueur depuis 40 ans et continuera de l’être ».

Certes, Le Caire dit s’opposer à l’exode forcé des Palestiniens vers le Sinaï égyptien, décrit par le président Sissi comme « une liquidation de la cause palestinienne ». Mais cette déclaration n’est pas en mesure de contrarier Tel-Aviv qui continue d’exercer un contrôle strict sur l’aide humanitaire, acheminée par les deux points de passages que sont Rafah et Abou Salem. Soucieuse de ne pas envenimer ses relations avec l’État hébreu et paraître comme un État coopérant et fiable, l’Égypte n’a jamais remis en cause les restrictions draconiennes imposées et s’accommode de la politique dictée par Israël.

Il est aussi utile de se rappeler des informations qui faisaient référence à un deal égyptien avec les États du Golfe, les États-Unis et l’Europe afin de passer l’éponge sur la dette qui étrangle l’Égypte contre l’accueil des Palestiniens ; d’autant que le Caire est sur le point de conclure un accord avec le FMI portant sur un prêt de 12 milliards de dollars. Une telle option est porteuse de risques majeurs. L’acceptation de ce deal confirme une « nouvelle Nakba » dont Le Caire est complice. Accepter le déplacement forcé des Palestiniens en Égypte ne résoudra pas la nature du drame, cela ne fera que le déplacer… 

Ce changement de ton égyptien relève donc du changement d’approche mais pas d’un changement de politique. Il est révolu ce temps où l’Égypte avait une influence sur le système régional arabe en matière de politique étrangère au niveau bilatéral et au niveau de la Ligue des États arabes. Les accords de paix et ses retombées financières et militaires ont contribué au rétrécissement  de la marge de manœuvre de l’action égyptienne.

S’ajoute à cela une gouvernance catastrophique couplée d’une crise économique sans précédent. Le leadership arabe a changé de main. La montée en puissance des monarchies du Golfe a opéré un changement majeur dans la région. Les regards sont tournés du coté de Riyad, d’Abou Dhabi et de Doha et moins du coté égyptien. En revanche, les pouvoirs politiques restent attentifs quant à la position de la rue qui est soumise à une véritable pression pour ne pas s’emparer de la question palestinienne…

Un autre sujet à surveiller de près réside dans l’éventuelle escalade dictée par les organisations faisant partie de l’axe de la résistance et qui pourrait faire voler en éclat la retenue arabe actuelle.



Les Houthis du Yémen, le Hezbollah du Liban, l’Iran et maintenant l’Égypte : l’embrasement régional ne cesse de croître. Les États-Unis de Joe Biden vont-ils enfin contraindre à l’ordre pacifique leur allié qu’ils appellent encore « la seule démocratie du Moyen-Orient » ? 

Il est illusoire de croire au « Grand prix » rêvé par le président Biden en cas d’un accord de paix entre l’Arabie saoudite et Israël. Oui, le royaume wahhabite est un poids lourd du monde arabe et musulman sur les plans économiques et religieux, mais normaliser avec Israël ne signifie en rien l’avènement de la paix dans la région. L’Égypte est passée par là sans pour autant que la région s’installe dans la paix et la prospérité.

L’Occident plaide pour une paix froide signée par des régimes politiques et non pas par les peuples. Israël est conscient des limites de cette paix. Pour lui, seuls les régimes qui détiennent le pouvoir sont utiles pour ne plus constituer une menace. Les autres, en Palestine, au Yémen, au Liban, en Irak et en Syrie, leur sort est scellé. Ils seront classés « terroristes » et seront combattus par les États arabes qui craignent l’émancipation de ces mouvements.

Donc, ce n’est pas du coté égyptien que l’ordre américain sera contesté et ce n’est pas le président Biden qui va contraindre Israël à se soumettre à la légalité internationale.

La guerre en Ukraine et celle contre Gaza sont deux séquences qui ont largement mis à l’épreuve l’ordre international porté par les États-Unis depuis la chute du mur de Berlin. Désormais, le monde est entré dans une transition vers un système non identifié. C’est la phase la plus critique de cette décennie…

Propos recueillis par Olivier Mukuna


Hasni Abidi est directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERAM) et auteur de plusieurs livres sur le Moyen-Orient dont « Le Moyen-Orient selon Joe Biden » (Éditions Erick Bonnier, 2021) et « Moyen-Orient : le temps des incertitudes » (Éditions Erick Bonnier, 2018).


Source: Investig’Action



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