La « Justice » française a accédé à la énième demande de libération formulée par Georges Ibrahim Abdallah après plus de 40 années de détention dans l’Hexagone. Le résistant communiste propalestinien de 74 ans a rejoint son Liban natal ce vendredi 25 juillet. Au cœur du Bassin minier du Pas-de-Calais (France), ses partisans se réjouissent. Retour sur une mobilisation sans faille enfin couronnée de succès !
« Cette libération est l’aboutissement d’une vingtaine d’années de mobilisation dans le Nord-Pas-de-Calais », se félicite le Collectif « Bassin minier » pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah (62). « Après treize ans de combat pour sa libération, je ressens un immense soulagement mêlé à une profonde émotion. C’est comme si la justice pouvait, enfin, l’emporter », commente Laëtitia Hamel, militante de la première heure de ce collectif qui s’ancre, dès 2012, au cœur du« Pays noir ». Il s’engage alors aux côtés du Comité « Libérez-les ! » (59 – 62) et du Comité Solidarité Basque de Lille préalablement actifs dans le soutien aux prisonniers politiques (Action Directe, ETA, etc.) incarcérés à la prison de Bapaume. Ces trois organisations travailleront désormais main dans la main.
Georges Ibrahim Abdallah, « citoyen d’honneur »
En février de cette année-là, André Delcourt, maire « communiste et chrétien » de Calonne-Ricouart, élève l’ex-dirigeant des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL) au rang de « citoyen d’honneur ». Christian Champiré, son homologue PCF de Grenay, lui emboîte le pas dans la foulée. A l’époque, « nous n’imaginions pas que c’était un combat au long court. Celui-ci nous a permis de rencontrer des militantes et des militants magnifiques et généreux. Des camarades convaincus que la lutte pour le peuple palestinien et contre l’impérialisme, se jouait aussi et d’abord pour nous en France », estime aujourd’hui l’ex-maire de Grenay. Ces distinctions offrent une visibilité inédite à ce combat. Une dynamique s’enclenche. Les médias locaux s’emparent de cette affaire. Des parlementaires à l’instar du député Serge Janquin ou de la sénatrice Odette Duriez, tous deux membres du Parti socialiste, interpellent le gouvernement au sujet du « scandale d’État », selon l’expression de Jacques Vergès, son avocat, que constitue le maintien en détention de Georges Ibrahim Abdallah.

Dans le Bruaysis, terre de charbon où la mémoire des luttes ouvrières reste vive, des militants de divers horizons (CGT, PCF, écologistes, Jeunesses communistes…) prennent l’habitude de se réunir à La Mouffe, un café de Rebreuve-Ranchicourt, autrefois tenu par Joseph Tournel, un ancien houilleur et militant maoïste de la Gauche prolétarienne. Tout comme la métropole lilloise où s’active le groupe Solidarité Georges Abdallah Lille, le Pas-de-Calais se positionne en « place forte » de la mobilisation. Les initiatives se multiplient alors avec d’autant plus d’acuité que la « Justice » examine, cette même année, une nouvelle demande de libération de celui qui deviendra le plus ancien prisonnier politique d’Europe. A Arras, chef-lieu du département, une banderole est déployée au Mur des fusillés (juin), puis sur le beffroi (novembre). Une dernière intervention « en forme de pied-de-nez à la bourgeoisie qui, au Moyen Âge, avait fait de cet édifice le symbole de son émancipation du carcan féodal, mais qui aujourd’hui se soumet aux pressions des États-Unis et d’Israël. Dans la ville qui a vu naître l’Incorruptible Maximilien Robespierre, le message affiché du haut du beffroi et les slogans criés à l’heure du marché hebdomadaire, n’en avaient que plus de sens », souligne alors le Collectif « Bassin minier ».

Ses militants revendiquent tout autant sa libération au pied des terrils jumeaux de Maisnil-lès-Ruitz ou lors de l’occupation du musée du Louvre à Lens à l’occasion de l’exposition d’un tableau (La Liberté guidant le peuple) d’Eugène Delacroix. Tout un symbole !

En novembre 2012, le tribunal d’application des peines se prononce pour la libération du résistant communiste à condition que Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, l’expulse vers le Liban prêt à l’accueillir. André Delcourt s’empresse d’inviter le ministre de l’Intérieur à Calonne-Ricouart « à un débat public. On verra s’il a le courage de ses actes ». S’estimant lié « pour l’éternité à l’État d’Israël », Manuel Valls ne daigne pas lui répondre. Pire, sur pression américaine, faisant fi de l’indépendance de la Justice française, il refuse de signer le fameux décret d’expulsion. La sanction tombe en avril 2013 : Abdallah reste en prison. Par son acte, Manuel Valls confirme l’analyse de Jacques Vergès qui reprochait à la France de se conduire comme « la putain de l’Amérique ». « La France continue de retarder sa libération pour des raisons politiques », estime alors Joseph Abdallah, le frère du détenu. « Georges Ibrahim Abdallah incarne un engagement marxiste, communiste et internationaliste. C’est pour cela qu’il est resté si longtemps emprisonné », complète Christian Champiré.
Poursuite de la mobilisation
C’est la douche froide pour ses soutiens. L’heure aurait pu être au découragement. Il n’en est pourtant rien. La mobilisation reprend de plus belle. En juillet 2013, autour de Christian Delépine, ouvrier de l’agro-alimentaire engagé sur le front de classe, des militants interviennent dans l’Arrageois au sommet d’une usine (Fraisnor) occupée par ses salariés pour rappeler « l’engagement de la classe ouvrière au côté du résistant communiste libanais toujours en détention pour n’avoir jamais renié son engagement anti-impérialiste et antisioniste ». Comptant parmi les fondateurs du Comité « Libérez-les ! » (59 – 62) avec le journaliste Jacques Kmieciak (CGT), Stéphane Hardy a puisé « sa motivation à ne rien lâcher dans la personnalité de Georges. Il est demeuré à l’avant garde à produire des analyses politiques en dépit de toutes ces années d’enfermement, restant en contact avec les soubresauts terribles du monde, en gardant comme principe la nécessaire résistance, sous toutes ses formes, qu’il a pratiquée avant son arrestation ».

Les années suivantes, le Collectif « Bassin minier » participe à des rassemblements à Lille, Paris, Bruxelles avec le Secours rouge Belgique (devant l’ambassade de France) ou encore Lannemezan (Hautes-Pyrénées) où est détenu le plus ancien prisonnier politique d’Europe.

De 2013 à 2023, Grenay la Rouge et son maire fidèle à la tradition internationaliste du mouvement ouvrier sont à la pointe de ce combat : multiples courriers au président de la République et aux ministres de la Justice, campagne de cartes-pétitions, déploiements de banderoles sur le fronton de l’hôtel de ville, financement du documentaire de Pierre Carles intitulé Dans les Oubliettes de la République. En juillet 2016, Christian Champiré se rend à la fête du Parti communiste allemand (DKP) plaider la cause d’Abdallah. Début 2020, il prend l’initiative de l’ érection en centre-ville d’un panneau d’informations sur le parcours de Georges. Seul bémol, durant toute cette période, ses tentatives d’entraîner d’autres municipalités communistes du secteur à sa suite n’aboutiront pas pour des raisons qu’il ne s’explique toujours pas…

Un second souffle
En 2024, la campagne prend un tour nouveau. La Justice est conviée à se prononcer sur une énième demande de libération conditionnelle. A Calonne-Ricouart, sous l’impulsion de Sébastien Bertinet, Virginie Lecomte et Sylvie Way, des Calonnois qui se revendiquent de l’héritage d’André Delcourt disparu en 2021, se crée Solidarité calonnoise Georges Abdallah. Favorable à la libération de « son » citoyen d’honneur, Ludovic Idziak, maire (divers gauche), ne répond cependant à aucune de leur sollicitation. A quelques mois de l’élection municipale de 2026, le sujet semble ici sensible… A Grenay, en octobre 2024, le Collectif « Bassin minier » appelle à un rassemblement au square de l’Amitié qu’il rebaptise square Georges Ibrahim Abdallah. A l’heure des pratiques génocidaires d’Israël à Gaza, le soutien à la résistance palestinienne à laquelle Abdallah se dit plus que jamais attaché, est réaffirmé avec force. En octobre toujours, le Pôle de renaissance communiste en France (PRCF) revendique sa libération à la braderie de Lens.

Un mois plus tard, en novembre, la Justice ordonne son élargissement. Mais comme en 2003 et 2012, le Parquet fait appel ! Cet acharnement a au moins le mérite d’intensifier la mobilisation. En décembre 2024, Solidarité Calonne Georges Abdallah interpelle les maires du Bruaysis les invitant à l’ élever au rang de « citoyen d’honneur ». En vain ! Le 1er mai suivant, est scandée l’exigence de sa libération au pied du chevalement-potence Pierre-Overney érigée à Calonne-Ricouart en hommage à la corporation minière. Quelques jours plus tard, Christian Champiré, de retour de Lannemezan où il s’est entretenu avec Abdallah le 7 mai, entame un cycle de conférences qui le conduit à Sin-le-Noble, Lens, Calonne-Ricouart, Ferfay et enfin Lillers.
« Continuons le combat ! »
Le jeudi 17 juillet 2025, la cour d’appel ordonne sa libération. Plus rien ne s’y oppose désormais. A l’ombre des terrils, cette nouvelle est accueillie avec soulagement et une joie incommensurable. « Je serais rassuré une fois Georges dans l’avion », réagit d’emblée, prudent, Sébastien Bertinet qui met ce succès sur le compte de « la mobilisation sur le long terme » tout en saluant « l’engagement initial d’André Delcourt ». La Bruaysienne Lisette Sudic (Les Écologistes) savoure le fait que « la justice joue encore son rôle. On lui souhaite un excellent retour à la vie en liberté ». Même son de cloche du côté d’Arnaud Vanderhaeghe. Conseiller municipal (LFI) à Bruay-La-Buissière, celui-ci se réjouit « de le savoir prochainement chez lui parmi ses proches. Dans cette affaire, la justice française s’est enfin honorée en lui permettant de retrouver la liberté dont il a été injustement privé. Cet homme a subi toutes les outrances de notre système judiciaire conjuguées aux décisions iniques de certains responsables politiques français et des pressions exercées par des États ». Pour Christian Champiré, « l’annonce de cette décision n’a pas été une surprise. La justice a estimé que cet emprisonnement était disproportionné. Lors de notre rencontre Georges m’avait donné tous les éléments juridiques pour justifier sa libération. Les raisons de son maintien en détention auraient été politiques et non juridiques ». « Après quarante années d’incarcération illégitime voir illégale. Ce jugement ne saurait pourtant laver la France de cette flétrissure et l’exonérer d’un des plus grands dénis de droit international de l’Histoire », embraye Luc Weingartner (CNT) qui appelle à soutenir « les militants aujourd’hui en proie à la répression en raison de leur soutien à la cause palestinienne ». « La libération de Georges n’est qu’une étape, magnifique évidemment, dans la lutte pour le droit du peuple palestinien à vivre librement en Palestine et pour le peuple libanais à vivre en paix. Alors continuons le combat ! », renchérit Christian Champiré. Ce vendredi 25 juillet, un avion a décollé de Paris pour Beyrouth et ainsi ramené Georges Ibrahim Abdallah auprès des siens. Enfin !

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