Protesters stage a gathering in support of Palestine on the sidelines of a rally as part of a nationwide day of demonstrations called by French trade unions to demand wage hikes and gender equality, in front of the courthouse of Lyon, central-eastern France, on October 13, 2023. (Photo by JEFF PACHOUD / AFP)

Au-delà du choc des images, soutenir la résistance palestinienne

Cher supporter indéfectible d’Israël, tu m’as demandé si je pourrais être amie avec un résistant palestinien qui use de son arme contre des civils. Voici ma réponse.

La réponse est non. Je ne pourrais pas être amie avec un humain qui colle une balle dans la tête d’un autre être humain non armé et sans défense, ou qui commet une autre atrocité du même genre. Peu importe ses souffrances passées et son vécu, peu importe la justesse de son combat, je ne pourrais pas copiner, aller boire des coups et me taper des barres avec un individu capable d’assassiner de sang froid. C’est une réaction épidermique, cela va au-delà de l’intellect, des convictions politiques.

Je ne pourrais pas devenir amie avec lui, mais j’essayerais de comprendre. Tenter d’imaginer ce que ça fait de naître dans une enclave où la vie semble avoir moins de valeur qu’ailleurs ; où il est si facile de perdre un copain de classe, son père, sa soeur, un oncle, ou un instituteur, tué.e dans un des nombreux bombardements que mène régulièrement l’armée israélienne. Entendre en permanence le bourdonnement des drones au-dessus de sa tête et savoir qu’à tout moment, l’enfer venu du ciel peut recommencer. Faire des études, mais n’avoir aucune perspective d’avenir. Car quand on vit sous blocus, on n’a pas le droit de rêver, juste de survivre. Servir de main-d’oeuvre sous-payée à une puissance occupante qui, en plus, ferme quand ça lui chante les points de passage qui permettent à cette même main-d’oeuvre de se rendre au travail, la privant de son unique moyen de subsistance.

Je peux comprendre la rage, le désespoir, la perte de repères d’un individu qui aurait grandi dans un tel environnement et qui, pour peu qu’il ait moins de 20 ans, n’aurait jamais rien connu d’autre. Mais en tant qu’être humain, je ne peux pas accepter, soutenir et cautionner un militant qui commet des atrocités.

Pourtant, ne comptez pas sur moi pour, à travers lui, condamner la résistance palestinienne dans son ensemble. Des images de violences insoutenables perpétrées par des combattants palestiniens, comme tout le monde, j’en ai vu au J.T. Mais, via d’autres canaux, j’ai aussi vu des images d’otages israéliens conduits à l’hôpital pour qu’on soigne leurs blessures, ou des civils témoignant à la télévision israélienne s’être trouvés nez à nez avec des combattants qui ne les ont pas touchés. Dans tout épisode de guerre, certains perdent leur boussole morale et d’autres la maintiennent quoiqu’il arrive. C’est une réalité qui s’applique aussi aux résistants palestiniens et qu’on ne peut masquer, sauf à vouloir se faire le relai de la propagande d’Israël en les dépeignant comme des bêtes humaines.

Surtout, ne comptez pas sur moi pour, bien au chaud à l’abri en Europe, faire des leçons d’éthique et décréter comment un mouvement de résistance, qui dispose de moyens ridicules au regard de la puissance de feu d’Israël, devrait agir ou non. Ne comptez pas sur moi pour me joindre à celles et ceux qui, ici, affirment que « le Hamas déforce la résistance palestinienne ». Ça, c’est aux Palestiniens et aux Palestiniennes d’en juger. Or, ni à Gaza, ni en Cisjordanie, ni à Jérusalem, nous n’avons assisté à des mouvements de colère contre les actions des groupes armés. Ne demandez pas à un peuple qui, pour reprendre les mots de l’historien israélien Ilan Pappé, est la cible d’un génocide lent, de condamner des actions qui ne feraient tout au plus qu’accélérer sa destruction programmée. Ne demandez pas à ce même peuple de pleurer de jeunes Israéliens tués lors d’une rave-party quand, quasi chaque semaine, une mère palestinienne enterre son enfant victime des colons ou de l’armée, dans le silence le plus total de nos médias en Occident.

Ne demandez pas non plus aux Palestiniens et aux Palestiniennes de faire comme si l’histoire n’existait pas. L’histoire, ils la connaissent très bien et ils savent que la libération des peuples colonisés s’est toujours fondée à la fois sur la résistance pacifique et sur la lutte armée. Ce n’est pas pour rien si les rédacteurs de la Charte de l’ONU ont conféré aux populations vivant sous occupation le droit à la résistance armée, quand bien même celle-ci s’est toujours accompagnée d’un lot plus ou moins important de violences injustes ou moralement condamnables. Si l’Occident l’a perdu de vue, le Sud n’a quant à lui jamais oublié que, sans la résistance armée des mouvements décoloniaux du siècle dernier – à l’époque également traités de « terroristes » – les terres et les populations d’Afrique et d’Asie seraient encore en train d’être exploitées par les colons européens. Le cas des Palestiniens est pire, puisque le projet sioniste ne consiste pas à les exploiter, mais à, petit à petit, les remplacer.

Et toi, soutien d’Israël, à qui va ton amitié ?

Ce qu’il y a d’étonnant avec la question qui me fut posée, c’est qu’elle n’est jamais servie à celles et ceux qui martèlent sans cesse leur soutien indéfectible à Israël. Pourtant, en Israël, des assassins et des criminel.le.s, il y en a, et leur office est même souvent payé par l’État.

Alors, à ces soutiens indéfectibles d’Israël, j’aimerais poser une question similaire : pourraient-ils être amis avec un pilote de Tsahal qui lâche sa bombe sur un immeuble de Gaza de 14 étages, sachant pertinemment bien qu’il va tuer des dizaines de personnes, dont des vieillards, des femmes, des enfants, des bébés ?

Pourraient-ils être amis avec ce soldat envoyé à la frontière de Gaza, avec pour mission de coller des balles qui font des trous de la taille d’un poing dans les jambes des gamins qui s’approchent trop près de la barrière de séparation ?

Pourraient-ils être amis avec ce soldat qui réplique à balles réelles sur des enfants qui lui jettent des pierres dans les territoires occupés ?

Pourraient-ils être amis avec ce juge qui, suivant une règle non-écrite mais pourtant scrupuleusement respectée, ne condamne jamais un soldat ou un colon coupable du meurtre d’un Palestinien, fût-ce un bébé de deux ans et demi comme le petit Mohammed Tamimi au printemps dernier ?

Ou ce magistrat qui ordonne la destruction d’une maison, ou d’une école, parce que construite sans un permis qui, de toute façon, n’est jamais octroyé ?

Ou ce membre de l’autorité militaire qui, pendant des années, renouvelle tous les six mois la détention dite « administrative » de civils palestiniens – en ce compris de mineurs – qui n’ont même pas le droit de savoir de quoi ils sont accusés ?

Ou cet autre représentant du système pénitencier qui annonce à la famille d’un détenu mort en prison qu’elle ne récupérera son corps qu’au terme de la peine qui lui fut infligée de son vivant ?

Pourraient-ils être amis avec ce fonctionnaire qui refuse à une Palestinienne atteinte d’un cancer du sein l’autorisation de sortir de Gaza pour recevoir un traitement pourtant vital, ou qui reporte sa date de sortie à une date indéfinie ?

Il s’agit de crimes réguliers, voire quotidiens. Des crimes reconnus et avérés, liés à un système d’apartheid, et dont certains méritent légalement l’appellation de crimes de guerre. Des crimes commis par des citoyens israéliens durant leur service militaire, ou dans le cadre de leur emploi dans la fonction publique. Des crimes que ces derniers ne perçoivent même plus comme tels, vu que commis au nom et pour le compte de l’État.

Ces crimes, les nations occidentales en sont indirectement coupables. Historiquement, puisque le projet sioniste n’est rien d’autre que la dernière entreprise coloniale européenne qui se maintient au Moyen-Orient. Politiquement, car quoi que fasse Israël, l’Occident se tait (ou réprouve en murmurant) et, de toute façon, maintient coûte que coûte sa collaboration avec Israël.

Alors aux soutiens indéfectibles d’Israël, je retourne la question qui me fut posée. Et je m’en permets une dernière. Jusqu’où ira votre indéfectible soutien à l’État qui décide aujourd’hui de priver d’eau, de nourriture et d’électricité une population entièrement à sa merci ? Jusqu’où ira votre soutien à l’État qui qualifie cette population d’ « animaux humains », soit le genre de termes précis qui, toujours, a fait office de prélude aux génocides ?

Continuez donc à passer à côté de l’histoire en pointant la violence du faible et du martyrisé. Les fascistes au pouvoir en Israël ne vous en remercieront jamais assez.

Source: Investig’Action

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