Craig Murray sur “l’exécution au ralenti” de Julian Assange

Le plus incroyable est cette compétence universelle revendiquée par les USA qui s’arrogent le droit de placer Julian, citoyen australien, sous leur juridiction pour avoir publié des secrets US. Craig Murray, ancien ambassadeur britannique et lanceur d’alerte, décrit le calvaire auquel Julian Assange a été soumis pendant plus d’une décennie.

 

Alors que Julian Assange continue de lutter contre son extradition vers les États-Unis pour y être poursuivi en vertu de l’espionnage Act, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander qu’il soit mis fin à sa persécution. Traqué par l’administration américaine et ses alliés depuis plus de dix ans, Julian Assange a été privé de toutes ses libertés personnelles et civiques pour avoir révélé l’ampleur des atrocités commises par les États-Unis pendant la guerre contre le terrorisme. Depuis, il est évident que l’intention du gouvernement américain n’est pas seulement de réduire Assange au silence, mais aussi d’envoyer un message aux lanceurs d’alerte et aux journalistes du monde entier sur les répercussions que risquent les potentiels diseurs de vérité sur le pouvoir. L’ancien ambassadeur britannique en Ouzbékistan, Craig Murray, qui a été démis de ses fonctions pour avoir dénoncé l’utilisation de la torture par la CIA dans ce pays, rejoint le Chris Hedges Report pour discuter de ce que le combat de Julian Assange signifie pour chacun d’entre nous.

Production studio : David Hebden, Adam Coley, Cameron Granadino – Post-production : Adam Coley

Transcription

Chris Hedges : Craig Murray, l’ancien ambassadeur britannique en Ouzbékistan, a été démis de ses fonctions après avoir rendu publique l’utilisation généralisée de la torture par le gouvernement ouzbek et la CIA. Depuis, il est devenu l’un des plus importants avocats britanniques des droits de l’homme, un fervent défenseur de Julian Assange et un partisan de l’indépendance de l’Écosse. Sa couverture du procès de l’ancien premier ministre écossais Alex Salman, acquitté d’accusations d’agression sexuelle, lui a valu d’être accusé d’outrage au tribunal et d’être condamné à huit mois de prison. Cette condamnation très douteuse, dont Craig a purgé la moitié, a bouleversé la plupart des normes juridiques. Il a été condamné, selon ses partisans, pour l’empêcher de témoigner dans l’affaire pénale espagnole contre le directeur mondial d’UC, David Morales, poursuivi pour avoir installé un système de surveillance dans l’ambassade d’Équateur où Julian Assange avait trouvé refuge, système utilisé pour enregistrer les communications privilégiées entre Julian et ses avocats.

Morales est soupçonné d’avoir effectué cette surveillance pour le compte de la CIA. Murray a publié certains des rapports les plus prémonitoires et les plus éloquents sur les audiences d’extradition de Julian, et faisait partie de la demi-douzaine d’invités, dont moi-même, au mariage de Julian et Stella à la prison de Belmarsh en mars 2022. Les autorités pénitentiaires ont refusé l’entrée à Craig, sur la base de ce que le ministère britannique de la Justice a déclaré être des problèmes de sécurité, ainsi qu’à moi-même, pour assister à la cérémonie.

Craig Murray se joint à moi pour discuter de ce qui arrive à Julian Assange et de l’érosion rapide de nos droits démocratiques les plus fondamentaux. Pour commencer, Craig, j’ai lu tous vos reportages sur le procès, qui sont à la fois éloquents et brillants. C’est la meilleure couverture que nous ayons eue des audiences. Mais je voudrais que vous nous informiez de l’état d’avancement de l’affaire à l’heure actuelle.

Craig Murray : Oui. Les procédures juridiques ont été extraordinairement alambiquées après les premières audiences du magistrat qui a décidé que Julian ne pouvait pas être extradé, essentiellement pour des raisons de santé, à cause des conditions de détention dans les prisons américaines. Les États-Unis ont fait appel de ce verdict. La High Court a accepté l’appel des États-Unis sur des bases extraordinairement borderline, fondées sur une note diplomatique donnant certaines garanties soumises à condition, et basées sur le comportement futur de Julian. Et bien sûr, le gouvernement américain a l’habitude de ne pas respecter ces garanties. De plus, ces garanties auraient pu être offertes au moment de l’audience initiale, ce qui n’a pas été le cas.

Chris Hedges : Je ne pense pas que ces garanties aient une quelconque valeur juridique.

Craig Murray : Elles n’ont aucune valeur juridique. Et, comme je l’ai dit, elles sont soumises à condition. Elles stipulent qu’elles peuvent être modifiée à l’avenir.

Chris Hedges : Sur la base de son comportement…

Craig Murray : – Exactement, en fonction de son comportement, dont ils seront les seuls juges.

Chris Hedges : Bien sûr.

Craig Murray : Ce qui n’impliquera aucune autre procédure judiciaire. Ils décideront qu’il va aller dans une prison supermax parce qu’ils n’aiment pas la façon dont il s’adresse aux gardiens ou un prétexte de ce genre. C’est totalement dénué de sens. Les États-Unis ayant gagné cet appel pour que Julian puisse être extradé, c’était au tour de Julian de faire appel sur tous les points qu’il avait perdus lors de l’extradition initiale. Il s’agit notamment du Premier Amendement, de la liberté d’expression, évidemment, et du fait que le traité d’extradition en vertu duquel il est extradé stipule qu’il ne peut y avoir d’extradition politique et qu’il s’agit manifestement d’une affaire très politique, ainsi que de plusieurs autres motifs importants. Ce recours a été déposé. Il ne s’est rien passé pendant un an. Ce recours est un document extraordinaire. Vous pouvez le trouver sur mon site web, CraigMurray.org.uk.

J’ai publié l’intégralité du document d’appel, et c’est un document extraordinaire. Il s’agit d’une argumentation juridique incroyable. Et certaines des choses exposées, comme le fait que le témoin clé américain pour les accusations était un Islandais payé pour son témoignage. Il s’agit d’un pédophile et d’un fraudeur condamné. Depuis, il a déclaré qu’il avait menti et qu’il l’avait fait uniquement pour l’argent. Et ce n’est qu’un exemple de ce qu’on trouve dans le dossier. La documentation n’est pas du tout une documentation juridique technique et aride. Cela vaut la peine de consulter l’appel de Julian. Ce recours fait 150 pages, plus les documents annexes.

Et pendant un an, rien ne s’est passé. Puis, il y a deux ou trois mois, il a été rejeté en trois pages A4 à double interligne, dans lesquelles le juge Swift a déclaré qu’il n’y avait pas d’arguments juridiques, pas d’arguments juridiques cohérents dans ces 150 pages, et qu’il ne suivait aucune forme reconnue de plaidoirie, et il a été totalement rejeté. Cet appel a été rédigé par certains des plus grands avocats du monde. Il a été supervisé et rédigé par Gareth Pierce, qui est, selon moi, le plus grand avocat vivant spécialisé dans les droits de l’homme. Ils ont vu le film Au nom du père, avec Daniel Day-Lewis.

Gareth est l’avocat, interprétée dans le film par Emma Thompson. C’est l’avocate qui a fait libérer toutes les personnes accusées par le gouvernement britannique d’être des membres de l’armée républicaine irlandaise et des terroristes. Et ils ne l’étaient pas, ils ont tous été piégés. C’est Gareth qui les a fait sortir. Elle a gagné de nombreuses affaires très médiatisées. Elle jouit d’un énorme respect dans le monde entier et ce juge, qui n’est personne, affirme que ses plaidoiries, qui ne suivent aucune forme connue de plaidoirie, ne sont pas valables. C’est tout à fait incroyable.

Chris Hedges : Est-ce vrai que ce juge a été le procureur du ministère de la Défense ? Il servait les intérêts du gouvernement britannique et c’est essentiellement ce qui lui a permis d’obtenir son poste. Est-ce exact ?

Craig Murray : Exactement. Il était le procureur principal des services de sécurité, spécialisé dans les affaires des services de sécurité. Il a déclaré publiquement que les services de sécurité étaient ses clients préférés, parce qu’ils sont organisés, brillants et convaincants, il est un outil des services de sécurité, et que c’est pour cela qu’on lui a confié ce travail particulier. Il y a donc normalement un droit de recours.

Chris Hedges : Permettez-moi de vous interrompre parce que c’est un peu différent du système américain et que j’ai essayé de me familiariser avec le système juridique britannique. Il s’agit d’un appel auprès d’un panel de deux juges, un peu comme notre cour d’appel. L’appel stipule que le juge n’avait pas de motifs suffisants pour rendre cette décision. Est-ce correct, en gros ?

Craig Murray : C’est exact. À ce stade, l’appel s’adressait à la High Court, et maintenant il s’agit d’un appel en Cour d’appel C’est physiquement le même lieu, mais le juge Swift ne sera pas concerné. L’appel est maintenant interjeté auprès d’un panel de deux juges, il s’agit d’un appel pour le droit de poursuivre l’appel. Il ne s’agit pas d’un appel pour l’annulation de l’ensemble du jugement. Le juge Swift, dans son jugement, rejetant avec mépris l’ensemble de l’affaire et ne prenant même pas la peine de répondre à aucun des arguments, a déclaré que cet appel devait être limité à 20 pages A4 et qu’il serait programmé comme un appel de 30 minutes. Il ne s’agit pas de 30 minutes pour la défense. Il s’agit de 30 minutes pour l’ensemble de l’audience. Il s’agit donc clairement d’une procédure sommaire visant à clôturer la dernière voie de recours.

Tout cela est tout à fait extraordinaire. Il n’y a pratiquement aucune caractéristique d’une procédure régulière, mais cela a été le cas tout au long de la procédure. L’une des choses dont j’ai été témoin au cours des premières audiences d’extradition, c’est que lorsque des motions de procédure étaient déposées, par exemple pour déterminer si certaines preuves étaient admissibles, la défense se levait et expliquait pourquoi les preuves devaient l’être. L’accusation prenait ensuite la parole et expliquait pourquoi les preuves ne devaient pas être admissibles, puis le juge rendait sa décision. Mais le juge est entré dans le tribunal, et la galerie publique est située au-dessus du juge : vous êtes donc placés au-dessus du juge, vous pouvez le voir d’en haut. Et j’ai vu, j’en suis sûr à 100 %, que la juge est arrivée au tribunal avec sa décision déjà rédigée avant d’entendre les arguments, et qu’elle s’est assise là en faisant presque semblant d’écouter les arguments de la défense et de l’accusation. Puis elle a simplement lu sa décision.

Chris Hedges : Elle est comme la Reine de cœur dans Alice au pays des merveilles, qui donne le verdict avant d’entendre la sentence.

Craig Murray : Exactement. Tout-à-fait. C’est tellement pratique. J’ai de fortes présomptions que ce n’est pas le juge qui a rédigé cette décision.

Chris Hedges : Et avant de poursuivre, vous et moi avons couvert ces audiences… Vous les avez couvertes plus largement que moi, mais je les ai couvertes aussi, et j’étais à Londres pour certaines des audiences. Au niveau le plus élémentaire, la violation du secret professionnel, UC Global ayant enregistré les réunions entre Julian et ses avocats, devant un tribunal britannique, comme devant un tribunal américain, devrait entraîner l’invalidation du procès…

Craig Murray : Dans n’importe quelle démocratie du monde, si vos services de renseignement ont enregistré les consultations avocat-client, l’affaire serait rejetée. Ce que les Américains prétendent, devant le tribunal, et que le gouvernement et le juge britanniques ont accepté, c’est que la CIA, après avoir enregistré tous les documents, n’en aurait rien fait. Elle ne les aurait transmis à personne, ni au ministère de la Justice ou qui que ce soit d’autre au sein du gouvernement américain. Si c’était vrai – et je n’y crois pas un instant – mais si j’étais un contribuable américain, je voudrais savoir pourquoi la CIA se donne tant de mal et dépense tant d’argent pour obtenir des enregistrements secrets et… et n’en fait rien. Comment cela peut-il être vrai ? Cela n’a absolument aucun sens et n’importe quel juge se moquerait éperdument de cet argument.

C’est comme si je disais que, d’accord, j’ai volé la banque au coin de la rue, mais que je ne vais pas dépenser l’argent, que je le garde dans le placard. Ce n’est donc pas grave. C’est complètement ridicule. Le fait que cette décision ait été acceptée est l’une des nombreuses décisions extraordinaires rendues dans cette affaire et, pour être honnête, elle m’a déçu. Je croyais encore un peu au système judiciaire. Je croyais que dans les démocraties occidentales, les procédures étaient régulières et qu’il existait un certain degré d’équité. Aujourd’hui, je n’y crois plus du tout. J’en suis arrivé à la conclusion qu’il s’agit d’une mascarade et d’un semblant de procédure, et que ce sont les grandes puissances en coulisses qui dictent ce qui se passe dans les grandes affaires du système judiciaire.

Chris Hedges : Et vous avez pris trois mois de prison pour vous convaincre de ce point.

Craig Murray : [Rires] Et il a fallu six mois de prison pour s’y habituer.

Chris Hedges : Mais cet appel est le dernier recours possible dans le cadre du système juridique britannique. Si j’ai bien compris, il y a trois mois, n’y avait-il pas un délai de six semaines pour rendre une décision dans les six semaines ?

Craig Murray : Eh bien, la défense avait six semaines pour soumettre ses 20 pages. On pensait que cela signifiait que les choses seraient traitées très rapidement, mais tout cela est terriblement arbitraire. Après le dépôt du premier appel, il s’est écoulé un an, plus d’un an, sans aucune justification. Et puis, une réponse de trois pages. Il ne faut pas un an pour rédiger une réponse de trois pages. Parfois, on a l’impression que la procédure est une punition et qu’ils sont très heureux d’avoir enfermé Julian dans une prison de haute sécurité, dans des positions épouvantables, et qu’ils le tuent à petit feu. Ils ne sont donc pas pressés. Parfois, on a l’impression que tout est délibérément traité le plus lentement possible.

Chris Hedges : Eh bien, c’est ce que Nils Melzer, l’ancien rapporteur spécial sur la torture des Nations Unies, a appelé une exécution au ralenti, selon ses propres mots.

Craig Murray : Et comme vous le savez, ils m’ont mis en prison. Et je suis convaincu que cela n’avait rien à voir avec les articles que j’avais publiés sur le procès d’Alex Salman. C’était l’excuse.

Chris Hedges : Bien sûr.

Craig Murray : C’était à cause de la défense et de mon amitié avec Julian. C’est pour cela qu’ils m’ont mis en prison. J’étais en cellule, ma cellule mesurait 3,5 x 2,5 mètres, ce qui est légèrement plus grand que la cellule de Julian, et j’ai été maintenu en isolement 23 heures par jour, parfois 23,5 heures par jour pendant quatre mois. Et c’est extrêmement difficile, extrêmement difficile. Mais je savais qu’en partant, j’avais une date butoir. Être incarcéré dans ces conditions, comme Julian l’a été pendant des années et des années, sans savoir si cela s’arrêtera un jour, sans savoir si on vous laissera sortir vivant, sans parler du fait de ne pas avoir de date de fin, je ne peux pas imaginer à quel point cela peut être psychologiquement écrasant.

Chris Hedges : Nous avons entendu des témoignages très troublants lors de l’audience sur son état psychologique, que Baraitser, et c’est tout à son honneur, a transmis au juge.

Craig Murray : Oui c’est ce qu’elle a fait.

Chris Hedges : Elle en a tenu compte. Il a passé quatre ans dans cette prison de haute sécurité, à Londres, à Belmarsh, puis sept ans à l’ambassade.

Craig Murray : Ce qui se passe est incroyable. C’est un éditeur, pour l’amour du ciel. Il n’est même pas lanceur d’alerte lui-même.

Chris Hedges : Contrairement à Ellsberg, les gens oublient qu’Ellsberg avait volé les documents.

Craig Murray : Oui, exactement.

Chris Hedges : Julian les a publiés. Il ne les a pas volés.

Craig Murray : Oui. C’est tout à fait exact. Et lorsque j’ai moi-même tiré la sonnette d’alarme, le Financial Times a publié l’information.

Chris Hedges : À propos des sites noirs ?

Craig Murray : Sur les sites noirs, les restitutions extraordinaires. Oui, je m’attendais vraiment à aller en prison à ce moment-là. Je me suis dit : “Je suis un lanceur d’alerte, j’ai fait cela pour des raisons morales et je suis prêt à aller en prison pour cela. Il faut mettre un terme à ce programme de restitutions extraordinaires. Si cela signifie que je dois aller en prison, je suis prêt à le faire.” J’aurais été étonné que l’on enferme le rédacteur en chef du Financial Times pour avoir publié des informations. Ce n’est pas ainsi que le système fonctionne : c’est le lanceur d’alerte qui assume la responsabilité morale. Julian est un éditeur, et il est enfermé avec les pires terroristes d’Europe détenus dans cet établissement de haute sécurité. Pourquoi ? C’est sidérant. Regardez-moi. Je suis un vieil homme qui écrit, et j’ai été maintenu en isolement pendant quatre mois. Pourquoi moi, pourquoi Julian, pourquoi sommes-nous si dangereux qu’il faille être enfermé dans les mêmes conditions que des tueurs en série ?

Chris Hedges : Eh bien, parce que vous exposez des vérités, des vérités très dérangeantes sur la réalité des systèmes dans lesquels nous vivons. Vous avez raison, il ne s’agit que d’une façade démocratique, mais ça n’a plus rien de démocratique comme la République romaine.

Donc, une fois que cette audience à deux juges sera terminée, et on peut supposer qu’ils rejetteront l’appel, que se passera-t-il ensuite ?

Craig Murray : Dans l’immédiat, les avocats de Julian essaieront d’aller devant la Cour européenne de Strasbourg…

Chris Hedges : La Cour européenne des droits de l’homme.

Craig Murray : La Cour européenne des droits de l’homme pour faire appel et obtenir l’abandon de l’extradition, dans l’attente de l’appel. La crainte est que Julian soit instantanément extradé, et que le gouvernement n’attende pas l’avis de la Cour européenne.

Chris Hedges : Pouvez-vous s’il vous plaît expliquer aux auditeurs américains ce qu’est la Cour européenne, et quelle est sa compétence au Royaume-Uni.

Craig Murray : Oui, la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas un organe de l’Union européenne. C’est un organe du Conseil de l’Europe. Elle est compétente en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit les droits de l’homme fondamentaux, et elle a donc une compétence juridiquement contraignante sur les violations des droits de l’homme dans tout État membre du traité. Elle a donc une compétence juridiquement contraignante et est reconnue comme telle, normalement, par le gouvernement britannique. Mais des voix très puissantes s’élèvent au sein de l’actuel gouvernement conservateur britannique, qui souhaite sortir de la Convention des droits de l’homme. Mais pour l’instant, ce n’est pas le cas. Le Royaume-Uni fait toujours partie de ce système. La Cour européenne des droits de l’homme a donc une autorité juridiquement contraignante sur le gouvernement du Royaume-Uni, uniquement sur les questions qui contreviennent aux droits de l’homme.

Chris Hedges : Et s’ils l’extradent, c’est qu’ils auront globalement annulé ce processus, et la crainte est que, bien sûr, les services de sécurité soient au courant de cette décision à l’avance. Il arriverait sur le tarmac, transporté par navette, sous sédatifs, avec une couche et cagoulé ou quelque chose de ce genre, et mis sur un vol de la CIA à destination de Washington. Je veux parler de la possibilité que cela se produise. C’est certainement possible. Ce que nous devons faire ici, et je sais que c’est en partie la raison pour laquelle vous êtes aux États-Unis, c’est de nous préparer à cette éventualité. Vous essaierez de couvrir les audiences et le procès ici comme vous l’avez fait au Royaume-Uni, mais parlons de ce que nous ferons si cet événement se produit.

Craig Murray : Oui. La première chose à dire, c’est que si cela se produit, le jour où cela se produira, ce sera l’info du jour dans le monde. Nous devons donc nous préparer. Nous devons savoir qui, du mouvement Assange ou de son équipe de défense, sera le porte-parole, qui parlera à toutes les grandes agences de presse. Nous devons traiter l’histoire dès le premier jour. Parce que si vous vous retrouvez à la traîne – et nous savons quelle sera leur ligne de conduite – ils publieront tous les mensonges possibles et imaginables. Ils publieront tous ces mensonges sur les personnes prétendument tuées à cause de WikiLeaks, sur la sécurité américaine mise en danger… nous connaissons déjà toute la propagande qu’ils essaieront de déverser sur les ondes – Nous devons donc être prêts et avoir une longueur d’avance pour savoir qui parmi nous sera proposé pour des interviews, qui agira de manière proactive dans les médias, et pas seulement dans les médias alternatifs comme celui-ci, mais aussi dans les soi-disant médias grand public, pour qu’ils diffusent l’histoire.

Il faut donc prendre ces mesures. Et puis il y a toutes les aspects pratiques. De nombreux membres de la famille de Julian devront venir le soutenir. Nous devrons savoir immédiatement comment les faire venir, où les emmener, où ils seront hébergés. Ce jour-là, les militants devront être prêts à sortir et à commencer à manifester dans tous les États-Unis.

Autre chose en quoi je crois vraiment : dans la tournée que je fais actuellement aux États-Unis, j’ai rencontré des militants et cette base d’activistes très expérimentés et extrêmement impressionnants qui s’intéressent à l’affaire Assange est énorme, mais il n’y a pas encore de véritable étincelle. Le jour où il sera extradé, la presse comme le Washington Post et le New York Times, publiera des éditoriaux disant que cela ne devrait pas se produire. Le public sera alors beaucoup plus conscient de ce qui se passe et de ce qui se cache derrière tout cela. Et je pense que ce jour-là, beaucoup de gens seront prêts à passer à l’action. Encore faut-il qu’ils sachent quoi faire. Nous devons savoir, dans chaque ville et village des États-Unis, où il y aura une manifestation le jour de son arrivée, où les gens doivent se rendre et à quelle heure ils doivent le faire. Nous devons commencer à préparer cette organisation de base de l’activisme.

Chris Hedges : J’ai rendu visite à Julian avec mon ami Michael Radner, qui était l’avocat de Julian. Nous avons perdu Michael il y a quelques années, un grand avocat spécialisé dans les droits civils qui avait fondé le Center for Constitutional Rights. Mais je me souviens que Michael m’a dit que pour suivre ces affaires – et il a obtenu une représentation juridique, par exemple, pour les prisonniers de Guantanamo – il faut des gens dans la rue. C’est extrêmement important. Et il parle de son travail en salle d’audience, du fait que des gens sont présents au dehors – et vous avez peut-être été dans la salle d’audience quand j’étais à Londres – avec Baraitser, la juge, se plaignant à un moment donné du bruit à l’extérieur de la salle d’audience.

Craig Murray : Oui. C’est tout à fait exact. Nous aurons besoin de personnes au sein même du tribunal. Et bien sûr, nous ne savons pas encore exactement quand… Il y aura au préalable toutes les étapes procédurales, et les motions déposées, etc, avant que le tribunal lui-même, le procès à proprement parler, ne commence. Mais à chaque étape, il est très important d’avoir du monde disponible, présent dans la salle d’audience, et dehors.

Chris Hedges : Qu’en est-il de l’argument selon lequel Biden ne veut pas s’occuper de cette question ? L’élection présidentielle va être très serrée. Il est au coude à coude avec Trump. Parlons aussi de la spéculation selon laquelle il pourrait y avoir un accord de plaidoyer, et que Julian pourrait être envoyé en Australie. Il est citoyen australien, bien sûr.

Craig Murray : Tout d’abord, je me demande parfois si le gouvernement américain se rend compte de l’image qu’il renvoie au monde extérieur. Nous avons ici un gouvernement dont le principal opposant politique – et je ne suis pas un fan – est Donald Trump. Je n’en suis pas fan, mais c’est son principal adversaire politique. Et ils essaient de le mettre en prison pour qu’il ne puisse pas participer aux élections. Qu’en pense le reste du monde ? Qu’accusez-vous constamment la Russie de faire ? De quoi accusez-vous constamment les autres nations ? Comment cela affecte-t-il la position des États-Unis ? Nous avons une élection présidentielle qui approche, alors le type qui est en tête dans les sondages, mettons-le en prison pour qu’il ne puisse pas se présenter.

Et si, en même temps, vous essayez de mettre en prison l’éditeur le plus célèbre du monde, quel message cela envoie-t-il au monde ? C’est le message que vous n’êtes qu’une fausse démocratie, et que votre bilan en matière de droits de l’homme n’est pas meilleur que celui de la Chine, de la Russie ou de n’importe quel autre pays que vous critiquez constamment. L’administration Biden serait donc complètement folle d’amener Julian ici et de l’extrader. Je n’arrive pas à comprendre comment ils ne voient pas la dangerosité de leurs agissements, en termes de liberté d’expression dans le monde entier, ni l’opinion des gens sur la répression et la censure dans le monde entier.

Chris Hedges : Parce que c’est dirigé par la CIA. La CIA qui, avec l’affaire Vault 7, qui a exposé les outils de piratage que la CIA y compris dans nos téléphones ou nos télévisions, et même nos voitures. Et c’est bien sûr à ce moment-là que Trump a annoncé la procédure d’extradition. Auparavant, le président Obama avait utilisé l’Espionage Act contre des lanceurs d’alerte, mais il ne l’avait pas utilisé contre des journalistes. Trump a fait monter les enchères en requérant l’utilisation de l’Espionage Act pour extrader un journaliste. Mais selon moi, ils ne se soucient pas de l’apparence. Il veulent envoyer un message. Peu importe votre nationalité, peu importe l’endroit où vous vous trouvez. WikiLeaks n’est pas une publication basée aux États-Unis. Si vous divulguez les informations que Julian et WikiLeaks ont divulguées, nous viendrons vous chercher. N’est-ce pas là le message ?

Craig Murray : Tout à fait. Et là encore, il est étonnant qu’ils ne voient pas les dangers de revendiquer cette compétence universelle. Les États-Unis ne seront plus le pays le plus puissant du monde, ils ne le sont sans doute déjà plus. Et la Chine devient de plus en plus forte. Que diront-ils lorsque les Chinois commenceront à arrêter des journalistes américains pour avoir publié des propos désobligeants sur la Chine, alors qu’ils n’ont jamais mis les pieds en Chine ? Cette revendication de compétence universelle est extraordinaire. Et ce qui est encore plus extraordinaire, c’est qu’ils revendiquent la juridiction universelle, et ils s’arrogent le droit de placer Julian sous leur juridiction parce qu’il a publié des secrets américains, même s’il n’est pas américain et qu’il n’était pas en Amérique. Et en même temps, alors qu’ils revendiquent cela, ils prétendent qu’il n’a pas de droits au Premier Amendement parce qu’il est un Australien.

La combinaison de leur juridiction, de tous les devoirs qui en découlent, mais d’aucun des droits parce que vous n’êtes pas l’un de leurs citoyens, est incroyablement pernicieuse. C’est tellement illogique et vicieux. En fait, longtemps, je n’arrivais pas à y croire. Je pensais qu’il s’agissait de Pompeo, jusqu’à ce que la Cour suprême rende un arrêt, il y a environ deux ans, dans l’affaire opposant l’USAID [United States Agency for International Development : l’agence du gouvernement des États-Unis chargée du développement économique et de l’assistance humanitaire dans le monde] aux agences de développement d’outre-mer. La Cour a déclaré en substance que les personnes bénéficiant de l’aide de l’USAID à l’étranger n’avaient pas droit au Premier Amendement et qu’une des conditions pour bénéficier de l’aide pouvait supposer ne pas dire certaines choses. Si vous lisez le jugement, vous constaterez qu’il spécifie qu’on ne peut pas accorder les droits du Premier Amendement à des personnes qui ne sont pas des citoyens américains parce que, sinon, il devrait s’appliquer aux citoyens d’outre-mer pris en charge par l’armée américaine.

Chris Hedges : Je voudrais terminer sur les rumeurs australiennes. L’ambassadrice Caroline Kennedy a déclaré qu’ils pourraient envisager un accord de plaidoyer. Je n’y crois pas du tout. Ce n’est que de l’enfumage, mais je me demandais ce que vous en pensiez.

Craig Murray : Il s’agit d’une tentative de calmer l’opinion publique australienne. L’opinion publique australienne est extrêmement forte. Plus de 80 % des Australiens veulent que Julian soit libéré, et qu’il puisse rentrer chez lui en Australie. Blinken, de passage en Australie, a fait des déclarations très hostiles et peu diplomatiques à un moment où l’Australie autorise les États-Unis à installer des armes nucléaires chez eux selon l’accord AUKUS. L’affirmation de Caroline Kennedy est un mensonge, franchement. Il n’y a eu aucune approche de la part du ministère de la Justice ou du Département d’État en vue d’un quelconque accord. C’est de la poudre aux yeux pour essayer de distraire le public australien. Caroline Kennedy a menti au public australien. C’est aussi simple que cela.

Chris Hedges : Merci, Craig.

Craig Murray, est l’ancien ambassadeur britannique en Ouzbékistan et l’un des grands défenseurs de Julian Assange. Je tiens à remercier The Real News Network et son équipe de production, Cameron Granadino, Adam Coley, David Hebden et Kayla Rivara. Vous pouvez me retrouver sur chrishedges.substack.com.

source : chrishedges

TraductionSpirits Freespeech 

 

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