US Vice President Joe Biden speaks at the Atlantic Council Energy and Economic Summit on November 22, 2014 in Istanbul. US Vice President Joe Biden on Saturday meets Turkish President Recep Tayyip Erdogan aiming to ease strains over the crisis in Syria and persuade Turkey to step up its support for the coalition against Islamic State (IS) jihadists. AFP PHOTO/BULENT KILIC (Photo by Bulent KILIC / AFP)AFP

Comment les think tanks sponsorisés par l’industrie de l’armement promeuvent la guerre permanente

Imaginez des organismes financés par les plus grosses multinationales. Ils brasseraient des budgets colossaux, recruteraient les plus hauts responsables de la politique et du renseignement étasuniens et influenceraient l’opinion publique, les médias et les décideurs dans le but d’entretenir des conflits permanents, source de profits pour l’industrie de l’armement. Ces organismes existent et pèsent de tout leur poids sur la politique étrangère des États-Unis et les guerres qui déstabilisent notre mode. Mais les médias n’en parlent pratiquement jamais. Coup d’œil sur les think tanks pro-guerre. (I’A)

L’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie, l’Ukraine, la Russie, la Chine et maintenant l’Iran

Quelques jours seulement après les attaques du 7 octobre sur le nord d’Israël, le Think Tank américain Atlantic Council publiait sur son site web un article incendiaire de Jonathan Panikoff intitulé « Peu importe que l’Iran ait ou non planifié l’attaque du Hamas, Téhéran n’en est pas moins responsable »1. La conviction de cet ancien directeur adjoint du Renseignement national (office of the director of national intelligence-ODNI ) s’appuie sur un article paru dans le Wall Street Journal qui affirme, sans en apporter de preuve, que l’Iran a organisé les attaques et estime que, même si Téhéran ne les avait pas planifiées directement, il peut être tenu pour responsable puisqu’il a soutenu le Hamas par le passé.

L’article soutient qu’une réponse militaire des États-Unis et d’Israël ciblant également l’Iran serait appropriée. Bombarder ce pays et renverser le régime des Ayatollahs, c’est le rêve des néo-conservateurs depuis la révolution de 1979 qui a destitué le Shah, un ancien client des États-Unis et d’Israël.

Dans l’ouvrage « The Think Tank Racket : Managing the Information War with Russia » (Clarity Press, 2023), Glenn Diesen examine comment l’influence de ces Think Tanks (littéralement : réservoir à idées) conduit à l’attribution de budgets militaires gargantuesques et à l’engagement dans des guerres sans fin. Par exemple, l’Atlantic Council a adopté une position particulièrement belliqueuse à l’égard de la Russie, contribuant à alimenter une guerre par procuration sur le sol ukrainien, guerre qui a décimé une génération de jeunes ukrainiens et russes et nous a menés au seuil d’une troisième guerre mondiale.

Glenn Diesen est professeur à l’Université du sud-est de la Norvège (University of Southeast Norway- USN) et collabore à la revue Russia in Global Affairs. Son livre met en lumière l’influence indue des pseudo-intellectuels des Think Tanks sur la politique extérieure des États-Unis. Cette influence s’exerce à travers une omniprésence dans les médias dominants et le monde académique, ainsi que par la production de rapports destinés à guider la politique du gouvernement. Loin d’être impartiaux ou même un tant soit peu objectifs dans leurs analyses, les Think Tanks suivent un narratif préétabli. D’après Diesen, leur rôle consiste à fabriquer du consentement autour des objectifs des bailleurs de fonds, en l’occurrence les industriels de l’armement et les compagnies pétrolières qui tirent profit de la guerre ainsi que les gouvernements étrangers sollicitant l’aide militaire américaine.

Cet auteur considère que « les Think Tanks sont le symptôme de l’hypercapitalisme pour lequel tous les aspects de la société sont soumis au marché. Même l’influence politique est régulée par le libre marché dont les Think Tanks sont une composante importante. » Il note qu’une indéniable réussite a été de convaincre la population que la propagande est l’instrument des seuls états autoritaires – que les États-Unis sont supposés combattre – et non des démocraties libérales.

Les Think Tanks contribuent ainsi, sous couvert d’expertise indépendante, à instiller dans le public la crainte de menaces étrangères et à pousser en conséquence à soutenir les guerres d’agression.

Paul Craig Roberts, le secrétaire adjoint au Trésor pour la Politique économique sous le mandat de Ronald Reagan, avait qualifié l’Atlantic Council d’« arme marketing du complexe militaro-sécuritaire ». Diesen pour sa part parle d’« organe de la propagande de l’OTAN. »

Le rapport financier 2019/2020 de l’Atlantic Council révèle que le groupe a bénéficié de plus d’un million de dollars des Émirats arabes unis. Il a également reçu des contributions majeures du British Foreign and Commonwealth Office, de Facebook, de Goldman Sachs, de la fondation Rockeffer, de la National Endowment for Democracy (NED), du département d’État américain, du milliardaire saoudien Bahaa Hariri, de l’oligarque ukrainien Victor Pinchuk, de Crescent Petroleum, et de Burisma, une société d’énergie détenue par des oligarques ukrainiens et dont le conseil d’administration comptait parmi ses membres Hunter Biden et Cofer Black, ancien directeur du contre-terrorisme à la CIA.

Les liens entretenus par l’Atlantic Council avec la CIA sont apparus plus clairement encore lorsque son vice-président exécutif, Damon Wilson, a obtenu le siège de PDG de la NED, une branche de la CIA qui promeut la propagande et soutient les dissidents des pays dont les États-Unis souhaitent changer le régime politique.

L’ancien directeur de la CIA, James R. Woolsey, figure dans la liste des directeurs à vie de l’Atlantic Council ; d’autres anciens directeurs de la CIA apparaissent aussi dans le conseil d’administration, comme Leon Panetta, Robert Gates et David Petraeus, aux côtés de criminels de guerre comme Henry Kissinger et Condeleezza Rice.

Au cours des dix dernières années, l’Atlantic Council a publié quantité de rapports sur la kleptocratie russe et la désinformation soi-disant propagée par Vladimir Poutine ; il a accueilli les dissidents anti-russes et des figures de l’opposition biélorusse telle Svetlana Tikhanovskaya qui militent pour une intervention plus agressive des États-Unis dans la politique biélorusse.

Un membre de l’Atlantic Council, Michael Weiss, diffuse ses invectives anti-russes sur un média populaire en ligne, The daily Beast, dont il est le rédacteur en chef. Il contribue également à la gestion d’un site néo-maccarthyste, PropOrNot, qui cherche à répandre la peur, attaquant les médias indépendants, y compris le Ron Paul Institute pour la paix et la prospérité, en les accusant de divulguer de la propagande pro-russe.

En 2015, l’Atlantic Council a contribué à élaborer une proposition destinée à équiper l’armée ukrainienne d’armes offensives comme les missiles anti-tank Javelin. La même année il attribuait le prix d’excellence en matière de leadership au PDG de Lockheed Martin de l’époque, Marillyn Adams Hewson, qui produit les missiles Javelin parmi de multiples autres armes létales.

Suite au lancement de l’opération spéciale de la Russie en Ukraine, l’Atlantic Council a redoublé d’ardeur anti-russe, appelant au bombardement de la Russie et au déclenchement de la troisième guerre mondiale. En février 2023, Matthew Kroening, le directeur adjoint du Centre Scowcroft pour la stratégie et la sécurité, affilié à l’Atlantic Council, a plaidé en faveur de l’utilisation préventive d’armes nucléaires « tactiques » par les Etats-Unis2. Non seulement une telle initiative tuerait directement des milliers de personnes, mais elle serait susceptible de conduire à ce que les scientifiques appellent un hiver nucléaire : l’énorme quantité de poussières et de débris projetés dans les airs bloquerait la lumière du soleil et provoquerait une chute brutale de température, affectant la production de nourriture sur terre.

Déclencher de nouvelles guerres chaudes ou froides

Le soutien de l’Atlantic Council à la guerre en Russie est caractéristique des Think Tanks qui ont joué un rôle crucial dans la décision prise à la fin de la guerre froide d’étendre l’OTAN vers l’est.

George F. Kennan et d’autres experts de politique internationale avaient mis en garde contre cette position, car l’OTAN est, du point de vue de la Russie, une alliance militaire hostile ; sa présence saperait les nouvelles initiatives de sécurité européenne qui impliquent la Russie. À la même époque l’architecte de la guerre du Vietnam, Robert S. McNamara appelait à bénéficier des dividendes de la paix en réduisant le budget militaire et en utilisant l’argent des contribuables pour répondre aux besoins sociaux.

Cependant, l’impératif de l’industrie de l’armement était tout autre. Il s’agissait de revitaliser l’esprit de la guerre froide afin de garantir des budgets militaires élevés et d’assurer l’expansion de l’OTAN. Les Think Tanks ont été mis à contribution pour atteindre cet objectif.

Diesen souligne que le Brookings Institute, un des plus vieux groupes de réflexion américains,  a joué un rôle central dans le canular du Russia Gate qui a instillé dans le public le soupçon d’une ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine. Cet épisode a fortement contribué à propager la russophobie qui sous-tendra la guerre par procuration menée contre la Russie en Ukraine.

C’est un employé du Brookings Institute appelé Igor Danchenko qui a été l’un des principaux chercheurs et contributeurs au dossier Steele, le document phare du Russia Gate qui faisait état d’un chantage exercé sur Donald Trump à la suite d’une prétendue rencontre avec des prostituées russes. Igor Danchenko a, par la suite, été inculpé par le conseiller spécial John Durham pour avoir menti au FBI.

Danchenko travaillait sous les ordres de Fiona Hill, un membre senior du Brookings Institute connu pour ses positions de faucon anti-russe. Il avait aussi affirmé avoir accumulé des informations compromettantes sur Donald Trump à propos d’une réunion avec le président de la Chambre du commerce américano-russe, Sergey Millian, mais ce dernier a démenti qu’une telle réunion ait même eu lieu.3

L’Atlantic Council était un autre pourvoyeur de fausses informations alimentant le Russia Gate. Les revenus de ce Think Tank ont été multipliés par dix au cours de la décennie 2006-2016 quand il commença à diaboliser Vladimir Poutine et à diffamer des responsables politiques comme Tulsi Gabbard qui préconisaient une diplomatie coopérative entre les États-Unis et la Russie.

Omettant de dire que Vladimir Poutine avait revitalisé l’économie russe après l’échec de la thérapie de choc et des privatisations entreprises dans les années 1990, l’Atlantic Council a fait croire au public que Poutine avait envahi l’Ukraine sur un coup de tête et déstabiliserait toute l’Europe si rien n’était fait pour l’arrêter.

Ce type d’analyse dissimule les vraies origines du conflit ainsi que le rôle joué par les Occidentaux dans l’expansion de l’OTAN et le coup de force de 2014 contre le gouvernement élu de Viktor Yanukovych qui a débouché sur une guerre civile.

L’Atlantic Council et d’autres Think Tanks continuent sur cette voie en dissimulant les crimes de guerre ukrainiens, la corruption et les liens étroits du gouvernement avec l’extrême droite et les néonazis.

Michael McFaul du Hoover Institute va jusqu’à célébrer les mesures répressives adoptées par le président ukrainien Volodymyr Zelensky contre les oppositions politiques et les médias, tout en qualifiant hypocritement la guerre de lutte de la démocratie contre l’autoritarisme.

McFaul et d’autres ont clairement annoncé que l’objectif principal de la politique étrangère américaine est de couper les liens entre l’Ukraine et la Russie, mais aussi, plus généralement, de couper les liens existants entre l’Europe et son voisin russe, afin d’augmenter la vente de gaz liquéfié américain en Europe.

En 2019, le Think Tank des agences de renseignement, la RAND Corporation, a produit un rapport incitant à menacer les Russes par l’expansion de l’OTAN et l’armement de l’Ukraine dans le but d’entraîner la Russie dans un conflit. De cette manière, la Russie serait amenée à augmenter démesurément ses dépenses militaires et économiques et perdrait en conséquence le soutien des populations à l’intérieur du pays, mais aussi à l’international.

Le rapport plaidait également en faveur d’une intensification de la guerre idéologique et de l’information contre la Russie afin d’affaiblir la légitimité et la stabilité de son gouvernement. Dans ce cadre, il convenait de soutenir la croisade anticorruption de l’opposant Alexei Navalny, que Diesen considère comme un atout du renseignement britannique dans son dessein d’affaiblir la Fédération de Russie.

La RAND Corporation avait déjà plaidé pour l’utilisation d’actions secrètes et de guerre de l’information pour saper le régime nationaliste d’Assad et entraîner la Russie dans le conflit, notamment en capitalisant sur le différent chiite-sunnite.

De même, la RAND avait recommandé de déstabiliser le Caucase afin de créer des tensions entre la Russie et l’Arménie, son alliée traditionnelle, toujours pour affaiblir Moscou. Cet objectif fut atteint quand le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a exprimé des doutes sur la capacité de la Russie à protéger son pays après que l’Azerbaïdjan, armée jusqu’aux dents par les États-Unis et Israël, eu envahi l’enclave arménienne de Nagorno-Karabakh.

La RAND Corporation a également recommandé des politiques visant à réduire l’influence russe en Moldavie, à saper le commerce de la Russie avec l’Asie Centrale et à promouvoir un changement de régime en Biélorussie pour déstabiliser cet allié de la Russie et favoriser un régime pro-occidental.

Suivant ces recommandations, la NED et d’autres agences américaines ont provoqué en 2020 un soulèvement contre le leader socialiste de Biélorussie, Alexander Lukashenko. Ce dernier a été diabolisé par les médias occidentaux bien qu’il ait réduit considérablement les inégalités et la pauvreté dans son pays tout en résistant aux sirènes de la privatisation telle qu’elle a été engagée par d’autres anciennes républiques soviétiques.

Le Center for a New American Security (CNAS) et l’équipe Biden

Un des Think Tanks les plus influents aujourd’hui est le Centre pour une nouvelle sécurité américaine (CNAS) qui a reçu de très importants financements de compagnies pétrolières comme Chevon et BP, de géants de la finance comme la Bank of America et J.P. Morgan Chase ou encore de l’économie numérique comme Amazon et Google.

En 2018 le poste de directeur général du CNAS a été attribué à Victoria Nuland, une ancienne conseillère de Dick Cheney et qui a été l’architecte principale du coup d’État en Ukraine de 2014.4

Le CNAS a été co-fondé en 2007 par Michèle Flournoy qui en fut également la directrice générale à plusieurs reprises. Michèle Flournoy était membre du conseil d’administration du cabinet de conseil en défense Booz Allen Hamilton. Lorsqu’elle a occupé le poste de sous-secrétaire à la politique de défense de 2009 à 2012, elle a contribué à développer la politique contre-insurrectionnelle en Afghanistan et à convaincre Barack Obama d’envahir la Libye. Plus récemment elle a milité pour la constitution d’une force militaire offensive dans la mer de Chine méridionale dans le but de contrer une montée en puissance de la Chine.

Lorsque Joe Biden prit ses fonctions à la Maison-Blanche, au moins 16 anciens membres du CNAS furent sélectionnés pour occuper des postes en politique étrangère. Le CNAS a œuvré pour que Kamala Harris soit nommée vice-présidente, car la majeure partie de son équipe de politique étrangère était issue du CNAS, dont Michèle Flournoy.

Le recrutement d’anciens du CNAS à des postes prestigieux et leur activité de lobbying illustre parfaitement le système dit des portes tournantes, dans lequel les fonctionnaires de la Maison-Blanche et du Pentagone qui servent les intérêts des entreprises de l’armement lorsqu’ils sont aux affaires, sont récompensés ensuite par des postes lucratifs dans lesquels ils continuent de servir les mêmes intérêts cachés.

À la fin de son ouvrage, Diesen souligne que les Think Tanks dans l’Amérique moderne ont contribué à subvertir la démocratie et à détourner la politique étrangère des États-Unis au profit des entreprises florissantes qui profitent des guerres sans fin. Selon lui, la réduction de leur influence passe en premier lieu par la divulgation publique des financements dont ils bénéficient et à davantage de pressions populaires à leur encontre.

Une solution plus radicale consisterait en une révolution de type socialiste qui nationaliserait l’industrie de l’armement et réorganiserait la recherche, le développement et la production dans l’objectif de répondre aux besoins de la population.


Source originale: Covert Action Magazine
Traduit de l’anglais par Françoise Breton pour Investig’Action


Notes

1. Panikoff is the Atlantic Council’s Director of the Scowcroft Middle East

Security Initiative. ↑

2. In John Bellamy Foster, John Ross, and Deborah Veneziale, Washington’s

New Cold War: A Socialist Perspective (New York: Monthly Review Press,

2023), 42. ↑

3. The New Knowledge think-tank fabricated a story of Russian interference

in the 2017 Alabama state election with the intent of causing the defeat of

Republican candidate Roy Moore. ↑

4. Nuland was also a fellow at the Brookings Institute. ↑

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.