Le procureur général Alejandro Ordóñez accuse la sénatrice Piedad Córdoba d’avoir donné des conseils, ou émis des demandes, aux guérilleros des FARC. Elle aurait, détail saugrenu, essayé de convaincre la guérilla de ne pas rendre publiques certaines vidéos des personnes séquestrées, mais de préférer des documents audios. Selon les accusations d’Ordóñez, Piedad Córdoba aurait échangé des mails avec de hauts responsables des FARC, lesquels mails auraient été trouvés dans le fameux ordinateur, inépuisable, de Raúl Reyes. Les pseudonymes utilisés par la sénatrice seraient « Teodora » ou « Teodora de Bolívar ». Comment le lien est-il fait avec Piedad Córdoba ? Mystère. Autre pseudonyme : « La Negra », ou « La Negrita ». Assez pour confondre la sénatrice noire.
La vie de Piedad Córdoba est nettement moins mystérieuse. En 2007, elle avait été désignée Facilitatrice pour faire avancer le dossier de l’accord humanitaire avec la guérilla. Elle avait ensuite été le sherpa assumant tout le travail préalable à l’Opération Emmanuel, débouchant sur la libération de Clara Rojas et Consuelo González. Uribe Vélez lui-même avait alors été contraint de remercier publiquement Piedad Córdoba. Ce résultat positif évident, de quelque point de vue que l’on se place, eût-il été possible sans que Piedad Córdoba n’entrât en contact avec la guérilla ? Son rôle de Facilitatrice étant par ailleurs accepté par Uribe Vélez et par les FARC-EP, validé et reconnu à l’échelle internationale, on peut douter de l’intérêt des pseudonymes.
L’Opération Emmanuel avait donné un résultat concret, la libération des otages, mais elle avait aussi suscité un immense espoir. Piedad Córdoba, soucieuse de maintenir la dynamique de paix face à la stratégie belliciste de l’oligarchie, s’est investie dans l’organisation Colombiennes et Colombiens pour la Paix (CCP), organisation dont le but est d’humaniser le conflit colombien et de l’achever. Piedad Córdoba est vite devenue la figure de proue de la CCP, la porte-parole naturelle, et donc la cible de prédilection de tous les ennemis de la paix, si nombreux dans l’oligarchie colombienne.
À vrai dire en effet ces accusations d’Alejandro Ordóñez à l’encontre de Piedad Córdoba ne sont ni nouvelles ni originales. Elles frappent toutes les personnes qui en Colombie ont à cœur l’humanisation du conflit et défendent la solution négociée. Piedad Córdoba tout au long de son parcours militant, dans le courant gauche du parti libéral, a dû affronter toutes les variantes de la violence oligarchique. Un temps contrainte de s’exiler, elle a vaillamment fait le choix de revenir au pays, vivant sous la stygmatisation permanente des puissantes voix médiatiques, à la merci de la folie meurtrière des paramilitaires, criminels exécutants des basses œuvres de l’oligarchie. Ainsi l’infatigable Jaime Gómez, très proche collaborateur de Piedad Córdoba, a été retrouvé assassiné en avril 2006. Des marques sur son corps montraient qu’il avait été torturé. Ses assassins courent toujours, inutile de dire.
Piedad Córdoba avait par ailleurs joué un rôle de premier plan dans la révélation de la Yidispolitica, scandale politique concernant la réélection d’Uribe Vélez. Alejandro Ordóñez avait joué un rôle trouble en cette affaire, laquelle se trouve maintenant entre les mains de la Cour suprême de justice. Alejandro Ordóñez a donc de bonnes raisons, personnelles, de vouloir nuire à Piedad Córdoba.
En portant ce coup déloyal à Piedad Córdoba, Ordóñez a certainement eu l’impression de prendre un risque très limité, tant les milieux oligarchiques, la presse dominante, les radios et les télévisions vouent aux gémonies la sénatrice noire. Cependant, cette manœuvre hasardeuse pourrait avoir des résultats inattendus.
L’action durable de Piedad Córdoba lui a donné un grand prestige dans le monde, de nombreuses personnalités de renom la soutiennent depuis maintenant plusieurs années, ainsi parmi tant d’autres le prix Nobel de la Paix Adolfo Pérez Esquivel. La sanction qui frappe Piedad Córdoba émeut les démocrates du monde entier. Beaucoup se sont prononcés en sa défense. En Colombie, nombreux sont ceux qui courageusement dénoncent la décision arbitraire d’Ordóñez.
Piedad Córdoba va devenir un puissant symbole de la lutte pour la paix en Colombie. Un large mouvement de soutien à la tenace sénatrice, en Colombie et à l’échelle internationale, se dessine à l’horizon. Doivent s’y joindre tous les défenseurs de la solution négociée au conflit colombien et tous les amis de la paix latino-américaine. La Pluma en fait déjà partie.
Source: [La Pluma->http://www.wae-energy.com/job/lapluma/fr/index.php?option=com_content&view=article&id=447:colombie-piedad-cordoba-la-voix-de-la-paix&catid=58:opinion&Itemid=451]